Dr Slowthai & Mr Tyron: le « Brexit Bandit » est de retour
Sur son second album, l’excellent Tyron, Slowthai continue de ruer dans les brancards, tout en baissant la garde, laissant entrevoir des côtés plus intimes. Entre le bouffon et le clown triste. Entretien.
Il est un peu passé 14 heures. De l’autre côté du Zoom, Slowthai n’a pas l’air d’être levé depuis très longtemps. Capuche bleu électrique sur la tête, il est assis devant une étagère en métal, remplie de brol en tous genres: qu’a-t-il bien pu faire pour être condamné à donner ses interviews depuis un débarras? Avachi, les yeux mi-clos, il garde en permanence un sourire béat sur le visage. Plus que jamais, Slowthai ressemble à un mix entre Flea des Red Hot Chili Peppers et Sid Vicious. Avec, pour la voix, un petit côté Homer Simpson… Il faut s’accrocher: l’accent est chuintant, et la liaison franchement capricieuse. Mais impossible de pester contre Tyron Frampton. Derrière la fausse indolence, il y a plus de timidité que d’agressivité. Derrière les provocs, moins d’arrogance que de bravade fanfaronnesque.
Pour faire court, Slowthai est un peu le dernier représentant en date d’un certain type de pop star, un profil qui n’existe quasi qu’en Grande-Bretagne: le héros prolo. Le plouc devenu star mais qui continue d’écluser au pub. Ce costume, il l’endosse selon les codes de sa génération, entre rap, grime et énergie punk. Dans ses clips, Slowthai affiche volontiers la grimace du sociopathe, et cultive l’humour goofy. C’est le fou du roi, outrancier et grinçant. En 2019, son premier album s’intitulait Nothing Great About Britain. Il y insultait la Reine, fumait, buvait, crachait sur les flics racistes et l’ennui comme seul horizon pour les banlieues déclassées. Sur la pochette, il apparaissait ricanant, la tête coincée dans un pilori médiéval. Nominé pour le Mercury Prize, il montera sur scène en tenant celle de Boris Johnson à bout de bras… Deux ans plus tard, le « Brexit Bandit » revient avec Tyron (lire la critique). On retrouve cette tendance à cracher ses humeurs avec la même candeur carnavalesque. Mais aussi, une facette plus sensible et intime du personnage. Plus proche, dit-il, du vrai Tyron…
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Zwangere Tyron
Le scénario de départ n’était pourtant pas forcément celui-là. « Non, c’est vrai. Logiquement, ce disque devait venir après. Mais vu la situation, il prenait plus de sens. » La « situation » en question, c’est bien sûr la pandémie, et tout ce qu’elle a pu générer comme isolement et solitude. « Ça a affecté plein de gens au niveau de la santé mentale. Je n’étais moi-même pas forcément bien… » Sur Twitter, il expliquait encore récemment avoir même pensé au suicide. « I’m so thankful I’m still here… Persevere and it will get better. »
https://twitter.com/slowthai/status/1354023917174849536TYRONhttps://twitter.com/slowthai
No matter what your going through just know your not alone, we all get down sometimes. I know it feels like there’s a rain cloud above your head but persevere and it will get better I promise ?
— TYRON (@slowthai) January 26, 2021
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550rich3153600000Twitterhttps://twitter.com1.0
Depuis toujours, Slowthai a dû s’accrocher. Quand il est né, en 1994, à Northampton, sa mère n’avait que seize ans. Elle l’a élevé seule, enchaînant les petits boulots (« 12-hour shifts all week« , explique-t-il sur l’autobiographique Northampton’s Child), comptant sur les bons alimentaires pour boucler les fins de mois. Le petit Tyron aura une petite soeur, et un petit frère, qui mourra à l’âge d’un an d’une malformation musculaire. À l’adolescence, l’école devient vite une prison dont il s’échappe régulièrement. La rue prend la place, avec ses petites combines. C’est la musique qui finira par le canaliser…
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De ce parcours, Slowthai tire une rage, toujours bien présente sur son nouvel album. Principalement sur la première moitié du disque, mais aussi sur un morceau comme NHS. Il y rend hommage au National Health Service, le service de santé britannique -« Chaque soir, je voyais les gens applaudir le personnel soignant. OK, très bien, mais pourquoi maintenant? Je ne dis pas que la pandémie n’existe pas, que la situation n’est pas grave. Mais on doit pouvoir apprendre à apprécier et chérir ce que l’on a, soutenir ce système social plutôt que d’assister sans réagir à sa destruction. » Sur le même morceau, il se fait aussi plus personnel. Par exemple quand il annonce « I’m happy being sad« . Ou encore plus loin, « What’s a rapper without jewelry? A real person, surely« … Il était donc temps de tomber le masque? « Il y a assez de raisons d’être plus ouvert. C’est bullshit que de penser que vous ne pouvez pas être vous-même une fois que vous êtes sous les projecteurs. Comment écouter quelqu’un qui n’est pas honnête, à commencer avec lui-même? Slowthai, c’est moi, mais dans une version plus agressive, directe. Je voulais aussi montrer celui que je suis quand je rentre chez moi, un mec comme tout le monde, plus calme et aimant. »
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Tyron est donc découpé en deux parties bien distinctes, la face A énervée, la face B plus posée. Avec, dans les deux cas, son lot d’invités. Du patron Skepta (déjà présent sur le premier album), aux Américains A$ap Rocky et Denzel Curry. « Je veux bosser avec les meilleurs, ceux qui ont su développer leur propre vibe. Des gars comme Hamza, par exemple. Il est Belge, non? J’adorerais collaborer avec lui. » En attendant le featuring avec le Saucegod, le visiteur le plus inattendu de Tyron est sans doute James Blake. Chantre de la fragilité masculine, il apparaît sur Feel Away. Dédiant le morceau à son petit frère, Slowthai s’essaie pour l’occasion à la ballade amoureuse (« I took you higher than a note from Mariah« ). À sa manière évidemment. Le clip, par exemple, est particulièrement absurde, où Slowthai se retrouve enceint. « Mec, j’ai toujours rêvé de pouvoir avoir un bébé dans le ventre. Il y a quelques années, j’étais tombé sur cette nouvelle d’un homme qui avait pu être enceint. J’ai trouvé ça fascinant! Et puis, pour ce morceau en particulier, ça permettait de se mettre dans la peau de ta partenaire. Souvent, c’est le type qui se barre et laisse la femme seule avec son gamin. Ici, on retourne la situation. » Le tout, sans tout à fait abandonner son sens de la farce grotesque -le bébé finissant par se faire découper et manger comme un gâteau de mariage. Même si la plus grande provoc’ n’est pas forcément celle que l’on croit… « S’il y a une frontière, j’aime bien la franchir. Et tant pis si ce n’est pas « cool ». Je déteste tellement ça, tout ce truc de pose. Le fait est qu’au plus c’est bizarre, au plus je veux le faire. I love the weird shit » (rires).
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