Critique

Pourquoi Better Call Saul est une (très) grande série

© Netflix/AMC
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

La cinquième et avant-dernière saison de la série spin-off/prequel de Breaking Bad vient de tirer sa révérence sur AMC et Netflix. Un nouveau coup de maître qui confirme que Better Call Saul a tout d’une (très) grande.

Comme à chaque fois, les affaires reprennent sur un long flash-forward post-Breaking Bad en noir et blanc qui rappelle ce que l’on sait déjà: les choses ne peuvent que mal finir pour Jimmy McGill, alias Saul Goodman. L’occasion, au passage, de rendre un dernier hommage au regretté Robert Forster (Jackie Brown, Mulholland Drive), à qui le premier épisode de cette cinquième saison de la série, toujours diffusée par la chaîne câblée américaine AMC mais également relayée sur Netflix, est dédié.

Cet épisode d’ouverture s’intitule sobrement Le Magicien. Et Jimmy, en effet, y fait des merveilles en avocat du crime, jusque dans ses improbables chemises et costumes colorés. L’horizon pourtant, on l’a dit, est bien noir, et le roi du bobard et de l’arnaque ne tardera pas à mesurer l’étendue de l’enfer monochrome qui l’attend, au fil d’une funeste surenchère d’échantillons au goût de cendre. Comprenant que, sur le plan professionnel, il se trouve condamné à n’être jamais que le frangin raté de Chuck McGill, il s’accroche néanmoins tout d’abord à l’idée -vraie- que, en rusé renard adepte de la méthode Coué, l’avatar Saul Goodman lui offre un nouveau départ inespéré.

Et, pour sûr, Saul sait se créer sa chance, parfois même sans s’en rendre compte, puisque c’est un concours de circonstances digne de la théorie du battement d’ailes du papillon qui, in fine, contribuera à véritablement faire décoller son business. Mais aussi à croiser pour la première fois la route d’un certain Hank Schrader et, incidemment, à se retrouver catapulté « ami du cartel« . Cette fois, ça y est, le ver est dans le fruit, et l’âme de Jimmy évoque déjà l’image d’une crème glacée bouffée par une colonie de fourmis (cf. l’épisode 3). Autant dire qu’il n’en restera rien, ou presque. « Une fois impliqué, tu le restes« , l’avertit l’insaisissable Nacho Varga. Et cette simple maxime pourrait servir d’épitaphe à quelques-unes des pierres tombales à venir.

Le pouvoir des mots

Formellement, la série n’a jamais semblé aussi maîtrisée et mature que dans cette cinquième saison, alignant avec brio les instants mémorables porteurs de cette griffe stylistique identifiable entre mille: angles de vue étonnants voire carrément impossibles, rapport constant entre le micro et le macro à l’intérieur du cadre, sens bluffant de l’espace… Better Call Saul est un western mythique du tourment moral, qui annonce déjà, dans son esthétique et son langage, la terrible et traumatique traversée du désert qui scellera la fin de cette saison.

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Poussé à bout, Jimmy s’y distingue surtout en infatigable battant. « Votre homme, il est comme la cucaracha: un survivant-né« , dira d’ailleurs de lui le redoutable Lalo Salamanca à Kim Wexler, fascinante confidente et compagne qui n’en finit pas de gagner en imprévisibilité. Le lien complexe et indissociable qui la raccroche à Jimmy est exposé en un split-screen limpide au début du neuvième épisode, celui-ci en étant réduit à boire sa propre pisse au coeur d’un désert brûlant tandis qu’elle s’avale une pilule à l’eau claire dans l’angoisse domestique de l’attente, au son du Something Stupid de Sinatra revisité sur le mode idéalement murmuré d’une comptine pour enfants. Inconscience sacrificielle ou simple péché d’orgueil? La réponse tient peut-être dans l’hallucinant final de ce même neuvième épisode en forme d’intenable huis clos aux portes de la mort entre Jimmy, Kim et Lalo, qui illustre sans doute comme aucun autre moment de la série ce qui en fait aussi tout le sel inimitable: le pouvoir des mots. Capables d’infléchir une situation désespérée, de sauver des vies, d’en condamner d’autres… Ils s’aiguisent comme des lames et fusent comme des balles, laissant les uns et les autres exsangues, funambules kamikazes en équilibre fragile sur un fil invisible qui menace constamment de rompre.

« Les mauvais choix mènent aux mauvaises routes qui mènent aux mauvaises choses« , avait pourtant rappelé Jimmy, comme pour lui-même, quelques instants plus tôt. À la croisée des chemins, cette saison, d’une intelligence d’écriture hors norme, est sans conteste celle de la revanche et des choix de Kim. Prête à commettre « quelque chose d’impardonnable« , comme le titre brillamment l’ultime épisode, elle est celle qui ose désormais briser les règles et s’affirme plus que jamais en puissante figure compassionnelle qui détient la clé du destin de Saul -celui du futur, celui de Breaking Bad.

L’an prochain, la sixième saison de Better Call Saul en sera aussi la dernière. Toutes les planètes sont maintenant parfaitement alignées pour faire de cet événement majeur un grand, un très grand moment de télévision.

Better Call Saul (saison 5). Une série AMC créée par Vince Gilligan et Peter Gould. Avec Bob Odenkirk, Rhea Seehorn, Jonathan Banks. Disponible sur Netflix. ****(*)

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