Laurent Raphaël
L’édito: Troisième vague (à l’âme)
Dis-moi ce que tu écoutes, ce que tu regardes, ce que tu lis, je te dirai comment tu vas. Face à la crise sanitaire, et au régime de semi-liberté qui l’accompagne, chacun conjure le sort comme il peut. Notamment en adaptant sa consommation culturelle à l’ambiance pesante de l’époque.
La première vague avait remis brutalement en question nos modes de vie. Pour beaucoup, la pandémie était porteuse de sens, une invitation pressante à ralentir et à jeter aux orties un modèle de société basé sur la compétitivité, la vitesse, l’injustice. On avait relu Camus, on avait célébré depuis sa fenêtre la solidarité retrouvée. À l’angoisse de la maladie se mêlait l’excitation de l’inconnu. Et même le soulagement pour certains de pouvoir mettre sur pause des vies frénétiques et vides de sens.
Pour la deuxième vague, le ton était déjà moins euphorique. Les grands espoirs de changement n’avaient pas fait long feu après un déconfinement estival qui avait montré que rien n’allait fondamentalement changer, sinon à la marge. L’homo numericus a la mémoire courte. Évaporées les transformations systémiques échafaudées entre la fabrication d’un pain maison et une séance de méditation.
Raison pour laquelle ce troisième épisode de la saison 1 a des accents plus introspectifs. La lassitude a eu raison des douces utopies. Fini les élans collectifs responsables, place à la dépression lancinante, aux humeurs noires, aux ruminations autodestructrices. On se replie sur soi et sur ses malheurs. Avec ce paradoxe que les vieux, dûment vaccinés, retrouvent la patate alors que la jeunesse s’englue et dépérit. Elle a l’impression d’avoir été sacrifiée sur l’autel de la pyramide démographique et du réalisme économique. On lui demande d’être patiente alors qu’à cet âge-là on vit deux fois plus vite, on lui demande de se serrer la ceinture alors qu’elle est le dernier maillon, le plus fragile, sur l’échelle de la précarité. Sans jobs d’appoint, sans entraide, elle crève la dalle. Sans vie sociale, sans dancefloors, sans voyages, sans bars, elle se dessèche, elle vieillit prématurément. Un trajet en bus ou en tram devient sa seule distraction dans une journée monotone et solitaire.
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On pense désormais plus au théâtre tragi-comique de Samuel Beckett pour résumer la situation actuelle. Nous sommes tous des Estragon et des Vladimir prisonniers d’une boucle spatio-temporelle. On ne sait plus trop ce qu’on attend ni quand tout ça finira.
Cette anxiété se reflète dans des choix musicaux étranges. Après l’hyperpop survitaminée de l’an passé, place à… l’ambient. Ce début de 2021 a des airs de 1995 sur les plateformes de streaming. Dans la quête de pansements affectifs et de tempos caressants pour agrémenter le télétravail ou pour chasser les pensées suicidaires, les playlists ont sorti les sonorités new age du placard. Brian Eno a la cote. Faute d’iode, d’ambiances moites et de sommets enneigés, on s’enivre de sons amniotiques, de paysages sonores, de bruits de cascade. Une sorte de traitement homéopathique à la mélancolie. Max Richter transforme son petit coin bureau en vaisseau cosmique.
L’autre option, c’est de fuir le plus loin possible de ce présent asphyxiant. En se réfugiant par exemple dans le passé. On n’a jamais autant regardé les films du patrimoine. Pas seulement parce que les salles sont fermées. Mais aussi parce que les De Funès, Delon, nous aspirent dans un monde qui semblait avoir encore un futur. Même les nouveautés jouent cette carte vermeil: la série Lupin remet en lumière l’oeuvre de Maurice Leblanc tandis que sur Apple TV débarque le chien philosophe Snoopy (lire notre article).
Autre technique d’évasion: prendre son ticket pour la campagne. Les films du festival de Rotterdam (lire notre article) font ainsi la part belle à la ruralité, ce paradis perdu. Un territoire physique et mental qui fait saliver les urbains coincés dans leurs boîtes à chaussures. Que restera-t-il de ce vaste mouvement de l’âme après la crise? Seul Godot pourrait répondre.
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