Snoopy: la story de l’attachement

© Apple TV+
Nicolas Bogaerts Journaliste

Apple TV relance l’univers des Peanuts et de sa mascotte pour une nouvelle série animée, The Snoopy Show. Retour sur cette rassurante figure de la pop culture, bien plus subversive qu’il n’y paraît.

La présence de Snoopy sur Apple TV+ ne doit rien au hasard. La plateforme à la pomme diffusait déjà certaines des précédentes adaptations animées du comic strip créé par Charles M. Schulz en 1950 pour la presse US (voir encadré ci-dessous). Désormais aux manettes, elle propose une version toujours aussi attendrissante et spirituelle des aventures de Charlie Brown, de son chien philosophe Snoopy et de leur cohorte d’amis. Elle oublie en revanche quelque peu pourquoi ces personnages gardent leur pertinence aujourd’hui. Auteur du merveilleux petit essai Snoopy Theory (1), Nicolas Tellop nous rappelle la morosité inquiète qui hante Peanuts depuis ses premières cases. Et combien, dans ce monde investi de névroses, Snoopy est plus qu’un objet de libération comique: il est une image transitionnelle, rassurante, attachante, qui aide à surmonter l’angoisse et l’absurdité de l’existence.

« Peanuts » dans le langage familier américain, signifie des « petits riens ». Ce titre évoque déjà la dimension douce-amère de l’univers créé par Schulz…

Beaucoup de spécialistes ont glosé sur le fait que ce titre convenait formidablement bien à la série, qui repose effectivement sur des petits riens: quatre cases d’humour sophistiqué et contemplatif, des personnages d’enfants qui ont des comportements et des préoccupations d’adultes. Il n’y a pas de chute, ce n’est pas du comique hilarant ni du burlesque, plutôt des gags très légers, qui oeuvrent par petites touches impressionnistes. Il y a des obsessions qui reviennent sans cesse, sur lesquelles s’appuie le comique de répétition. La dimension presque existentielle de la série se construit sur cette temporalité.

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Au départ, Charlie Brown est le personnage principal des Peanuts. Comment Snoopy a-t-il réussi à le supplanter dans l’imaginaire du public?

Snoopy est devenu un produit dérivé parce que le public s’y est attaché. Schulz l’a développé comme un personnage très singulier mais il n’a jamais eu l’idée, je pense, d’en faire un personnage principal. Au départ, Snoopy est un chien tout à fait normal, passe-partout, aux proportions réalistes. Progressivement, il va prendre celles des autres enfants: un corps relativement petit et une tête énorme. Il devient ce chien qui se dessine à très peu de traits, comme un nuage, et qui dégage une pureté graphique absolue. Il est immédiatement reconnaissable et attachant.

Il est la projection de Charlie Brown?

Oui, et c’est ce qui le fait logiquement supplanter tous les autres personnages. Il y a un lien organique entre eux au sens où chacun révèle les travers et les sensibilités de l’autre. Charlie Brown est un personnage qui se manifeste par l’échec, la mélancolie, la difficulté à exister, à agir. Une forme très pop du syndrome de l’imposteur. A contrario, Snoopy incarne les possibles, le rêve. Il est dans le fantasme permanent, change constamment d’apparence, joue plusieurs rôles, tour à tour as de la Première Guerre mondiale, écrivain, super-héros, pirate, etc. Il se fait aussi passer pour d’autres animaux. C’est un transformiste qui peut être autre chose que lui-même, échapper à la spirale des échecs qui est invariablement la condition de Charlie. D’un autre côté, Snoopy, lui aussi, exprime énormément d’angoisse, de failles. Sa première apparition est un gag très curieux: il se balade dans la rue avec une fleur sur la tête, il est hyper content. En passant sous une fenêtre, il se fait arroser et il est complètement démoralisé avec sa fleur toute fanée sur le crâne. Son rêve, si insolite qu’il soit, est tombé à l’eau.

Snoopy fait écho à nos propres émotions, nos expériences?

Il nous renvoie à notre condition d’incomplétude. Un des stéréotypes attachés à la figure de Snoopy, c’est le chien philosophe constamment en train de penser. Allongé ou assis sur sa niche, il prend de la hauteur sur les événements, réfléchit sur les travers de l’existence. Dans un autre gag, il se réjouit d’une journée qui commence, il se sent en forme, tout va bien, et puis il se dit: « Et après? » Pour une série censée appartenir à l’univers naïf des enfants, c’est plutôt violent.

Snoopy: la story de l'attachement

Quand il incarne l’as de l’aviation face au Baron Rouge, en 1965, il convoque le spectre de la guerre, sa mémoire oubliée et sa répétition au Viêtnam. Peanuts a une dimension subversive?

Doucement mais clairement subversive, oui. Né en même temps que l’idéologie du rêve américain, Peanuts interroge ses origines. Le retour vers le temps de l’enfance et de l’innocence y est traité de manière contrastée: les personnages sont plein de gravité, voire de cruauté les uns envers les autres -Umberto Eco parlait de petits monstres. Dès sa première apparition, Charlie est appelé « ce bon vieux Charlie Brown » par ses amis. Quand il part, l’un d’eux dit: « Je le déteste. » Cela dit tout du rapport ambigu au bon vieux temps idéalisé qu’on a de bonnes raisons de haïr. En 1965, l’épisode du Baron Rouge évoque le début du XXe siècle: l’âge d’or des Roaring Twenties, le dynamisme économique, l’expansion urbaine qui entérinent la vision d’une Amérique conquérante. Sauf que, entre-temps, il y a eu la Grande Dépression, la Seconde Guerre mondiale, le Viêtnam, les tensions sociales et raciales. Snoopy réinvestit, de manière poétique et cryptique, un imaginaire qui est alors partagé par beaucoup d’artistes: la faillite d’une époque idéalisée. Peanuts est transgressif car Schulz introduit une dose considérable de cynisme à l’égard d’un rêve américain qui n’a en réalité jamais existé. La mélancolie des banlieues, le fatalisme face aux échecs inéluctables dialoguent avec les obsessions cycliques de cette Amérique traversée par les névroses.

Schulz avait conscience de l’impact qu’il pouvait avoir?

Son impact est réel parce qu’il est économique. À l’époque, Peanuts est déjà une marque, avec des jeux, des peluches, des figurines, des chansons inspirées de Snoopy. Schulz sait aussi que les gens se méprennent sur ce qu’il raconte. Parce que finalement, ce qui est retenu de Snoopy, c’est la forme trompeuse du petit chien, de Woodstock et des enfants mignons. Or, quand on creuse, ce que Snoopy met en scène est hyper inquiétant. Le grand public ne l’a jamais vraiment perçu ni même lu, parce qu’il s’attachait avant tout au dessin. Or, aujourd’hui, dans l’époque qui est la nôtre, Snoopy et les Peanuts ont leur rôle à jouer dans la manière de dire les angoisses de la jeunesse. Leur spleen transite un peu en contrebande d’une génération à l’autre à travers ces personnages joyeux, guettés par les angoisses. Il y a quelque chose de la catharsis, une forme d’échappatoire à une réalité très lourde, une aide pour faire face à nos failles potentielles, à ce qui nous empêche d’aller de l’avant et d’agir. Quand, dans les années 60, le personnage de Lucie dit « Les générations précédentes nous ont laissé un monde de merde« , elle dit la même chose que Greta Thunberg et une partie de la jeunesse aujourd’hui.

(1) Snoopy Theory, de Nicolas Tellop, éditions Le Murmure, 2018, 72 pages.

The Snoopy Show: série créée par Rob Boutilier, disponible sur Apple TV. ***(*)

Rien et tout à la fois

Earl & Mooch
Earl & Mooch

Snoopy et ses amis ont pratiquement lancé le concept de merchandising. Mais leur influence formelle s’est propagée tous azimuts, du strip au petit écran. « C’est assez amusant de noter que les silhouettes imaginées par Schulz, avec leur petit corps et leur grosse tête, préfigurent l’esthétique kawaii et les figurines Pop si populaires aujourd’hui. » Nicolas Tellop ne se trompe pas: cette ressemblance ne peut être le fruit du hasard et laisse apparaître une influence, même inconsciente. L’explosion et le succès des produits dérivés de l’univers de Snoopy depuis 70 ans ont également servi de modèle à une bonne part de la pop culture mondiale. Mais c’est avant tout dans le dispositif, aussi minimaliste que fécond, qu’il faut rendre hommage à Schulz. « Tous les strips animaliers, qui confrontent animaux et enfants doivent quelque chose à Snoopy, sa mélancolie et surtout son regard décalé sur la vie« , poursuit Nicolas Tellop. Les noms de Clifford, Garfield ou Simon’s Cat sautent à l’esprit. South Park également, pour les grosses têtes, l’univers en deux dimensions et la subversion.

La dimension existentielle de Peanuts se retrouve dans un comics qui, lui, a davantage résisté aux sirènes du merchandising: Calvin et Hobbes, de Bill Watterson. « Calvin et Hobbes est par principe mélancolique, avec ce garçon qui s’imagine des histoires à partir d’une peluche qui prend vie. Quand Hobbes s’anime, il y a ce va-et-vient entre le fantasme du petit garçon et les limites de son quotidien, de la réalité. Par ailleurs, on retrouve la tendresse qui se loge entre Snoopy et Charlie Brown dans un autre comics que j’affectionne beaucoup, Earl & Mooch , de Patrick McDonnell. »

Seinfeld
Seinfeld

Quant aux « petits riens » qui donnent son titre au comics, couplé à cette cruauté des personnages à la mesure de leur humanité, impossible de ne pas songer au « show about nothing« : la série Seinfeld dont les Jerry, Elaine, George et Kramer feraient de parfaits Peanuts à l’âge adulte. Dans ce petit théâtre absurde du qui aime bien châtie bien, balayant un large spectre d’émotions, le rire de Snoopy résonne encore.

Adaptations

TV: A Charlie Brown Christmas (1965-2011)

Snoopy: la story de l'attachement

Le producteur Lee Mendelson a engagé un ancien de Disney, Bill Meléndez, pour la première d’une longue série d’émissions spéciales programmées en 1965 sur CBS. La simplicité absolue de l’histoire et le choix de voix enfantines font mouche. Ce premier « Spécial Noël », qui inclut des passages des Saintes écritures, est financé par… Coca-Cola, sponsor officiel de Noël. La musique signée Vince Guaraldi, Linus & Lucy, deviendra un standard du jazz.

CINÉMA: A Boy Named Charlie Brown (1969)

Snoopy: la story de l'attachement

« Le film qui a cassé le monopole de Disney », « Le monde n’est plus fasciné par le fait que Mickey puisse cracher », s’enflamme la presse américaine à la sortie du premier long métrage inspiré des Peanuts. La fidélité à la matière première est remarquable, et la subtilité du dessin, la tonalité des dialogues en font un objet culte. A Boy Named Charlie Brown a cassé le box-office et s’est assuré une réédition dans tous les formats, jusqu’au Blu-ray, en 2016.

CINÉMA: The Peanuts Movie (2015)

Snoopy: la story de l'attachement

Visuellement, plutôt que le minimalisme qui a fait le génie de la série dessinée, cette adaptation numérisée a fait le choix d’une sophistication pour le coup technique, qui cède aux sirènes commerciale de la 3D. Faut-il vraiment bien vivre avec son temps? La question mérite d’être posée concernant Peanuts, qui trouve ici un écho inattendu. Ceci étant, les caractéristiques narratives si identifiables sont bel et bien présentes et le film est une réussite critique et commerciale.

TV: Snoopy in Space (2019-en cours)

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Créées par Rob Boutilier, un storyboardiste qui a trouvé sa place dans de petites séries animées du câble, les aventures de Snoopy dans l’espace tournent définitivement le dos à la part sombre et touchante des Peanuts. Snoopy y gravit, avec Woodstock, les échelons de l’exploration spatiale. Mi-savant, mi-rigolo, c’est un divertissement réussi, léger et humoristique, mais qui manque de cette profondeur si identifiable et attachante.

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