Laurent Raphaël

L’édito: Fragments d’ADN d’un discours amoureux

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. De 1985 à 1993, à une époque où les chaînes de télé se comptaient encore sur les doigts des deux mains et où Internet sortait à peine de la salle d’accouchement, un jeu télévisé faisait fureur tous les midis sur TF1.

Intitulé Tournez manège! (à ne pas confondre avec la « copie » de Sébastien Cauet, diffusée à la fin des années 2000), il mettait des couples à l’épreuve en leur faisant choisir séparément des articles dans un catalogue à faire rêver la ménagère de moins de 50 ans comme on disait alors. Si leurs préférences coïncidaient, ils repartaient avec l’objet convoité, sourire aux lèvres. Dans le cas contraire, on avait droit à la soupe à la grimace ou carrément à une scène de ménage en direct.

Un drôle de mélange entre expression des sentiments et consumérisme. L’amour n’était pas dans le pré mais dans le télé-achat. C’est toutefois pour une de ses autres séquences que cette émission populaire est devenue culte. Avec Le jeu des célibataires, on entrait dans la quatrième dimension du discours amoureux. Un petit avant-goût de la télé-réalité qui allait déferler sur la France et le monde quelques années plus tard. Installés sur un véritable manège de fête foraine et séparés par une cloison, trois hommes et deux femmes (ou l’inverse), ne se connaissant ni d’Ève ni d’Adam, se posaient des questions banales ou complètement loufoques pour faire plus ample connaissance et affiner leurs choix. Le tout à l’aveugle. À la fin, il n’en restait que deux, qui se découvraient en chair et en os lorsque l’animatrice Fabienne Égal ouvrait la porte. Les réactions de surprise, de stupéfaction ou de déception étaient légion. Le fantasme s’échouait souvent sur la réalité triviale des corps fatigués. Car les candidats, animés sans doute par une forme de désespoir pour se livrer ainsi en pâture, n’étaient pas franchement des top modèles. Comme dirait le romancier Aurélien Bellanger, auteur de Téléréalité (Gallimard), « la télé est un art, mais un art sans critique« . Et sans second degré, qui met en scène les passions tristes de son époque.

Du speed dating fait main, artisanal, mais pas moins scientifique au fond que la drague improvisée largement pratiquée en ce temps-là, laquelle charriait aussi son lit de déconvenues lorsque l’un des deux se mettait à parler.

Mais ça, c’était le monde d’avant. D’avant Internet. D’avant l’intelligence artificielle. D’avant les algorithmes. D’avant l’ADN. Il existait encore une place pour l’improvisation, le tâtonnement et les accidents heureux. En 2021, on entre dans l’ère de l’amour aux normes ISO, du mariage calibré à l’atome (crochu) près. C’est en tout cas ce que suggère de plus en plus la fiction, inspirée par les avancées de la science. La bascule a eu lieu avec les sites de rencontre en ligne, véritable révolution sur le marché des coeurs. Tout d’un coup, tout le monde montait volontairement sur ce manège qui avait tant fait ricaner. Il y a bien eu quelques pudeurs au début, et la crainte de tomber sur des « serial baiseurs » pas très romantiques, mais la pratique s’est banalisée.

Les mentalités sont visiblement déjà mûres pour l’étape suivante: choisir son ou sa partenaire sur des critères génétiques, sans interaction préalable. Adieu le coup de foudre, bonjour la carte du tendre digitale. C’est le pitch de la série The One, qui a débarqué sur Netflix et reprend en version longue un scénario déjà aperçu dans des épisodes de Black Mirror ou Soulmates. Une promesse de perfection et d’efficacité maximale que l’on croyait réservée à la logistique et aux flux financiers. Pas aux émotions. Pas aux territoires de l’intime. La perspective du « match » infaillible est un leurre car elle nie l’infini des possibles de la relation amoureuse. La tocade sous algorithme, cette variante 2.0 du mariage arrangé, non merci. Ovide doit se retourner dans sa tombe, lui qui déclarait il y a 2000 ans dans L’Art d’aimer que « l’amour a plus d’un style, on plaît quand on varie« . Erreur 404.

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