Ben Wheatley signe pour Netflix un remake d’Hitchcock. Un de plus…

Psycho (1998) vs Psycho (1960) © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

L’oeuvre du génial auteur des 39 Marches, Fenêtre sur cour et autre Vertigo a fait l’objet d’un nombre incalculable de citations, mais aussi de multiples remakes. Zoom à l’occasion de la sortie sur Netflix du Rebecca de Ben Wheatley.

Souvent imité, jamais égalé: la formule s’applique limpidement à Alfred Hitchcock, dont l’influence sur des générations de cinéastes ne s’est jamais démentie. Si un Brian De Palma a bâti une bonne partie de son oeuvre sur un fantasme hitchcockien, de Obsession à Body Double, en passant par Pulsions ou Blow Out, d’autres, innombrables, s’en sont tenus à des citations, plus ou moins littérales, constat valant pour Lynne Ramsay dans You Were Never Really Here, Olivier Masset-Depasse dans Duelles ou François Ozon avec Dans la maison, pour n’en citer que quelques récentes. Et l’on en passe: jusqu’à Paul Thomas Anderson qui ne manquait pas de présenter Phantom Thread comme une romance gothique en forme de variation sur le modèle du Rebecca du maître du suspense.

Amateur de talent vs professionnel

Tourné en 1940, ce chef-d’oeuvre absolu, le premier film américain de son auteur, fait aujourd’hui l’objet d’un remake signé Ben Wheatley (lire ci-après), prolifique cinéaste anglais au talent versatile, révélé en 2011 par Kill List avant de se multiplier sur les terrains les plus divers. Wheatley n’est pas le premier à se mesurer frontalement à l’oeuvre de Hitchcock (par Daphné du Maurier interposée pour le coup): sorti en 1926, The Lodger, considéré par Hitch comme son véritable premier film, fera l’objet, dès 1932, et devant la caméra de Maurice Elvey, du premier d’une série de remakes (dont, en 1944, celui de John Brahm, habité par la présence de Laird Cregar), ouvrant une brèche dans laquelle s’engouffreront de nombreux cinéastes.

Nul n’étant mieux servi que par soi-même, Hitchcock ne résistera d’ailleurs pas à la tentation lui qui, en 1956, réalisera à Hollywood un remake de l’un des classiques de sa période anglaise, L’Homme qui en savait trop, sorti en 1934. L’intrigue voit un couple de touristes britanniques (Leslie Banks et Edna Best) en vacances avec leur enfant à Saint-Moritz faire la connaissance de Louis Bernard (Pierre Fresnay), un Français bientôt assassiné sous leurs yeux, non sans leur avoir confié un secret. Enchaînement qui va les entraîner dans une aventure cauchemardesque, entre l’enlèvement de leur fillette et un complot visant à tuer un diplomate pendant un concert à l’Albert Hall. Vingt-deux ans plus tard, le couple est américain (il est interprété par James Stewart et Doris Day) et séjourne avec son fils Hank à Marrakech, quand Louis Bernard (Daniel Gélin) est poignardé, début d’un suspense haletant culminant, cette fois encore, à l’Albert Hall de Londres.

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D’une version à l’autre, Hitchcock ne s’est pas contenté de modifier le décor ou d’adapter la distribution, il a modernisé l’oeuvre et a peaufiné son style. À Peter Bogdanovich qui lui demandait pourquoi avoir tourné un remake de son film de 1934 (1), son plus grand succès anglais, Alfred Hitchcock répondait: « J’ai estimé que pour un public américain, il renfermait des éléments sentimentaux qui seraient plus intéressants à développer que ceux d’autres de mes films. La seconde version de L’Homme qui en savait trop fut réalisée avec plus de soin que la première. La première était, disons, une création spontanée, irréfléchie. » Ce qu’il formulera différemment à François Truffaut lors de leurs fameux entretiens (2): « Disons que la première version a été faite par un amateur de talent tandis que la seconde l’a été par un professionnel. » Et si les deux films sont objectivement fort réussis (avec dans le premier encore une composition mémorable de Peter Lorre), le second est un classique, la séquence du Royal Albert Hall notamment, avec sa montée de tension culminant dans un coup de cymbales, étant entrée dans la légende.

Un remake n’est pas l’autre

Le phénomène de l’auto-remake n’est pas unique: Leo McCarey, pour citer un exemple fameux, devait tourner deux versions de Elle et lui, la première en 1939, la seconde en 1957. Et plus près de nous, Michael Haneke, réalisait, à dix ans d’écart, deux versions de Funny Games, imité par les frères Pang pour Bangkok Dangerous, et d’autres encore. Olivier Masset-Depasse devrait ainsi s’atteler prochainement à Mother’s Instinct, remake américain de Duelles réunissant Anne Hathaway et Jessica Chastain. Beaucoup plus rare est le remake plan pour plan, entreprise à laquelle se risquait Gus Van Sant en 1998 avec Psycho, copie-carbone (en couleurs) du film culte signé par Hitch en 1960. Une expérience menée quasi religieusement, le Psycho revisité ne s’écartant que par d’infimes nuances de son modèle dont il reproduisait les plans tout en épousant le rythme, Van Sant poussant le zèle jusqu’à s’offrir un caméo dans la scène-même où Hitch faisait sa traditionnelle apparition. Le résultat, pour autant, ne dépasse pas la curiosité non dénuée de charme vintage un peu trouble, mais d’une nécessité toute relative, cela va sans dire.

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La même année, Andrew Davis s’emparait pour sa part dans A Perfect Murder de Dial M for Murder (Le crime était presque parfait, en VF), opus mineur même si tout à fait fréquentable tourné par Hitchcock en 1954, avec Ray Milland, Grace Kelly et Robert Cummings dans les rôles principaux. Déplacée d’un Londres cossu au New York de la haute finance, l’intrigue met en scène un aigrefin de Wall Street (Michael Douglas) qui, découvrant que sa jeune épouse (Gwyneth Paltrow) file le parfait amour avec un peintre bohème (Viggo Mortensen), décide d’éliminer sa femme infidèle pour mettre la main sur sa fortune, tout en compromettant son amant au prix d’une machination machiavélique. Plan en apparence infaillible rattrapé par l’imprévu, ce meurtre n’ayant de parfait que le nom, comme ce remake glacial référencé -l’épisode de la clé notamment- et efficace, mais pas renversant pour autant.

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Un maître insurpassable

Tourné en 2008 par Stephen Elliott, le réalisateur de Priscilla, Queen of the Desert, Un Mariage de rêve est pour sa part une relecture de Easy Virtue, adapté en 1927 par Alfred Hitchcock d’une pièce de Noël Coward. Partie s’installer sur la Côte d’Azur, Larita Filton, une Anglaise dont le divorce avait fait scandale, y rencontre un jeune homme de bonne famille qui, tombé raide amoureux, l’épouse et la ramène au pays où elle est confrontée à l’hostilité de sa belle-mère, avant d’être rattrapée par son passé et y faire face avec une pointe d’insolence non dénuée de panache. Sans être un grand film, Easy Virtue annonce par certains aspects Rebecca, tout en permettant à Hitchcock de témoigner de son ingéniosité précoce -ainsi, dans la scène téléphonique de demande en mariage, où la caméra ne quitte pas l’opératrice, les sentiments exprimés par son visage permettant au spectateur de deviner la réponse. Elliott, pour sa part, fait de l’héroïne une jeune aventurière américaine, et tire le drame vers la satire mondaine, pétillante et désinvolte, où, aux côtés de Jessica Biel et Colin Firth, Kristin Scott Thomas joue déjà la marâtre de service…

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Des remakes d’un bonheur inégal de films d’Hitchcock, il y en a eu beaucoup d’autres encore, qu’ils puisent à une source identique, comme The Secret Agent, de Christopher Hampton (1996), tiré du même roman de Joseph Conrad que Sabotage, en 1936, qu’ils proposent une déclinaison fantaisiste de son univers (Lifepod, téléfilm de Ron Silver transposant le canevas de Lifeboat dans l’espace en 2168), ou qu’ils en soient des copies plus ou moins avouées -ainsi de Mission Impossible II, de John Woo, dont le récit est calqué sur celui de Notorious. Quelques exemples parmi d’autres, mais ce que vient surtout confirmer aujourd’hui le Rebecca de Ben Wheatley, c’est que si son oeuvre a souvent été revisitée, nul n’a jamais réussi à surpasser le maître…

(1) Cité par Patrick Brion dans Hitchcock, éditions de la Martinière, 2000.

(2) Hitchcock/Truffaut, édition définitive, éditions Ramsay, 1983.

Rebecca

Drame/romance de Ben Wheatley. Avec Lily James, Armie Hammer, Kristin Scott Thomas. 2h02. Disponible sur Netflix. ***

Ben Wheatley signe pour Netflix un remake d'Hitchcock. Un de plus...
© Kerry Brown / Netflix

Écrit en 1938 par Daphné du Maurier, Rebecca avait fait l’objet d’une première adaptation au cinéma signée Alfred Hitchcock deux ans plus tard, un chef-d’oeuvre ayant valu son seul Oscar du meilleur film au cinéaste britannique. Quatre-vingt ans plus tard, c’est au tour de Ben Wheatley, le prolifique réalisateur de Kill List, Sightseers et autre High-Rise, de s’en emparer. Mais là où l’oeuvre de Hitchcock était un drame à combustion lente, installant son mystère vénéneux dans une atmosphère toute de noirceur gothique, cette nouvelle version, si elle en reste proche par l’argument, s’avère cependant plus convenue.

Part d’ombre bienvenue

Située dans les années 30, l’action débute dans un palace de la Côte d’Azur, où la narratrice anonyme (Lily James), naïve demoiselle de compagnie d’une femme mondaine, rencontre fortuitement Maxim de Winter (Armie Hammer), un jeune veuf fortuné. De balades en décapotable en baignades, l’amitié cède bientôt le pas à l’amour, si bien qu’il lui propose de l’épouser, et l’invite à venir s’installer dans son vaste manoir des Cornouailles, Manderley. Et la nouvelle venue de tenter de trouver sa place dans cet environnement intimidant, tâche d’autant plus ardue que le souvenir de la première épouse de Maxim, Rebecca, disparue dans des circonstances incertaines, semble hanter les lieux comme les êtres, la gouvernante, la revêche Mrs Danvers (Kristin Scott Thomas) ne manquant d’ailleurs pas une occasion de rappeler à la jeune femme qu’elle ne saurait en aucun cas l’égaler. À quoi l’ingénue va pourtant s’employer, s’aventurant, en quête de vérité, sur les traces de l' »irrésistible » Rebecca au risque de se brûler…

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Premier film américain de Hitchcock, Rebecca tenait de la féerie cauchemardesque, drame exerçant son charme insidieux sur le spectateur, rivé au désarroi de son héroïne-victime, arc-boutée à la sauvegarde de son amour -un personnage qu’incarnait subtilement Joan Fontaine face à un Laurence Olivier tourmenté. Ben Wheatley en propose pour sa part une lecture plus superficielle et illustrative, semblant vouloir appuyer chaque intention, tant dans un volet romantique ramené à quelque bluette insignifiante, que dans la partie dramatique, épousant les contours d’un thriller efficace mais dénué du trouble qui enrobait l’original. Si Lily James (en dépit d’un profil tirant vers la caricature) et Armie Hammer se montrent l’un comme l’autre convaincants, c’est toutefois Kristin Scott Thomas qui emporte le morceau, impériale sous les traits de la gouvernante acariâtre et manipulatrice. De quoi conférer à ce film à l’élégance léchée une part d’ombre bienvenue…

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