Ulysse: « On aurait dû se faire bannir de MySpace à l’époque! »
BONUS TRACK | Chaque semaine durant tout l’été, on vous dévoile les secrets de fabrication des chansons d’une poignée de groupes belges dans une série d’interviews-fleuves. Premiers à s’y coller: Ulysse, qui ouvriront la grande scène des Ardentes ce samedi 9 juillet.
Quand on a appris, par le biais d’une interview de tUnE-yArDs, l’existence du génial et massif Songwriters on Songwriting de Paul Zollo, on s’est immédiatement jeté dessus. Et à lire sur les passionnants secrets de fabrication de quelques-uns des artistes les plus iconiques de tous les temps, on s’est dit que la scène belge mériterait bien le même traitement de faveur. D’où l’idée de cette série, qui durera tout l’été dans un premier temps.
On croisera idéalement autant de styles musicaux que possible dans ce Bonus Track, de la pop de Saule au métal de La Muerte, mais c’est aux jeunes pousses d’Ulysse que revient le privilège d’inaugurer la série. Auteurs de deux EP à l’électro pop aussi aérienne que maîtrisée, rappelant un Flume ou un Jamie XX, ceux que d’aucuns qualifient déjà « chefs de meute de la nouvelle scène électro pop du plat pays » sont de tous les bons plans cet été: Ardentes, Dour et Francofolies de Spa notamment. En compagnie de deux tiers du groupe, tentative de décryptage de ce qui peut faire un bon morceau dans une interview volontairement non coupée. On inspire…
Je veux tout savoir: comment attaquez-vous un morceau, comment les idées viennent-elles, quelle est votre recette…?
Arnaud Duynstee: Il n’y a pas du tout de recette toute faite. On a le luxe de chacun produire de notre côté, on a chacun notre manière de travailler. C’est vraiment au feeling.
Julien Gathy: L’élément de départ, c’est une production de l’un de nous trois. Ça peut être une suite d’accords, un beat, on travaille dessus, on s’envoie de nouvelles versions… On utilise un outil collaboratif sur Ableton, Splice, qui a été créé par des Belges. Des fois, on part de jams, mais de manière générale, on part de productions de l’un de nous trois.
Il y a un membre du groupe qui apporte plus de matière que les autres?
AD: Non, même s’il y a des choses pour lesquelles certains sont meilleurs que les autres.
JG: Avec le temps, on commence à attraper une bonne méthode de travail. Rien de fixé pour autant: on peut bosser même si l’un d’entre nous n’est pas là, par exemple.
Ce que vous amenez de votre côté, c’est une grosse base ou un morceau quasi fini?
AD: C’est au cas par cas. Julien a déjà fini un morceau de son côté sur lequel on a rajouté deux-trois grattes, mais la prod était là. Le truc, c’est de savoir quand le morceau est fini, quand on ne peut plus rien ajouter.
JG: Mais il ne faut pas ajouter pour ajouter, on ne veut pas surcharger. On voit le projet comme une entité complète à nous trois. Peu importe si le morceau vient plus de l’un ou l’autre. Ce n’est pas une mixtape de nos morceaux individuels. C’est vraiment au cas par cas, ça dépend des tracks.
AD: Parfois, l’idée de départ peut être un truc infime ou un morceau déjà très avancé.
JG: L’élément déclencheur, ça reste quand même quand Arnaud met sa voix. Là, on commence vraiment à voir une structure à la chanson. On ne voulait plus faire des pures prods: le but, c’est d’avoir de vraies chansons.
L’u0026#xE9;lu0026#xE9;ment du0026#xE9;clencheur, c’est la voix.
AD: Du coup, l’étape de la voix ne concerne plus que moi. Des fois, tout arrive en un jour, des fois on a des trucs qui traînent depuis plus d’un an. Le deuxième EP a des structures beaucoup plus pop et compréhensibles. On va dans ce sens et je pense que c’est un bon liant. C’est une manière d’avoir une patte commune sur tout le projet. J’aime beaucoup ce genre de structures « prévisibles » auxquelles on peut se raccrocher. Ça peut être très cool d’écrire aussi des morceaux complètement déstructurés, mais on n’est pas des grands musiciens. On est bons pour aller à l’essentiel.
JG: On a beaucoup d’influences différentes, mais la voix est un excellent liant. Tu peux avoir un album hyper acoustique d’un artiste, s’il se met à faire de l’électronique après, la voix amène un truc qui fait qu’on reconnaît le groupe immédiatement.
Par contre, la voix vient toujours en dernier dans la compo? Ça ne part jamais d’une idée de paroles, par exemple?
AD: Dans le meilleur des mondes, je trouve une suite d’accords et tout en découle. Il y a des morceaux comme ça qui se font en un jour ou deux, mais c’est toujours accompagné d’une mélodie instrumentale. Parfois, on a la mélodie de voix sur une instru hyper dépouillée et on habille autour de ça. C’est là qu’on sait que c’est une bonne chanson.
JG: Quand tu peux reprendre une chanson avec rien d’autre qu’un piano ou une gratte, c’est que c’est une bonne chanson. Il faut que ça puisse vivre seul.
AD: Ce n’est pas parce qu’on fait de la musique électronique que les morceaux ne peuvent pas fonctionner sans la production, tous les artifices. C’est de plus en plus ce qu’on essaie de faire.
JG: Il y a une tendance aujourd’hui, quand on va voir des concerts électro, à se retrouver face à des productions incroyables, mais quand on écoute la base des morceaux, la mélodie, la voix ne sont pas terribles: si on trouve ça cool sur le moment, ce n’est pas quelque chose qui va marquer. On recherche à avoir un truc qui touche un peu plus profondément qu’une prod qui sonne bien. Il y a des artistes comme Mount Kimbie qui font ça très bien, mais quand on fait de la pop, il faut quelque chose qui accroche plus sur le long terme.
AD: Pour Mount Kimbie, je ne suis pas d’accord. Je trouve qu’ils ont des vraies chansons.
JG: Oui, mais il n’y pas de voix, pas de structure…
AD: Mais c’est plein d’émotion.
Une bonne chanson doit pouvoir marcher sans arrangement, avec rien d’autre qu’un piano ou une gratte.
Dans le processus d’écriture, quand vous dites-vous que le morceau est bon, qu’il ne faut plus y toucher?
JG: Souvent, on se dit « OK, c’est bon, c’est terminé ». Puis on réécoute avant d’aller en studio, on trouve des passages dont on n’est pas convaincus… Quand on est à trois, certains peuvent être contents, d’autres pas. Il y a toujours une discussion. Mais au final, on arrive toujours à bien s’entendre.
AD: On pourrait faire des modifications sans arrêt sur les morceaux. J’avais vu un docu sur Mac DeMarco où il expliquait qu’il n’était pas du tout perfectionniste, que si il ratait un truc sur une prise de batterie par exemple, il finira par se dire « bon, tant pis » et le ratage fera partie du morceau.
JG: Il peut rester des éléments de structure, techniques, à améliorer, mais si on trouve que l’émotion est là, on va s’arrêter. On écoute des artistes qui font des trucs pas produits du tout, rough, mal enregistrés, des grattes qui sonnent dégueu… Supprimer ces erreurs, c’est enlever ce qui fait le charme de la chanson. Après, on essaie quand même d’aller au bout des choses, mais on ne va pas passer 5 heures sur une prise.
Mais vous passez quand même par un stade de maquettes avant de rentrer en studio?
AD: On enregistre tout nous-mêmes à part les voix, mais c’est Jean Vanesse qui mixe le tout. On n’oserait pas s’y frotter.
JG: En général, les grattes, on garde souvent les prises de bases, même la première prise.
AD: Il y a des morceaux qu’on avait depuis plusieurs mois qu’on écoutait en boucle, et on s’habituait à ce son sale. Un petit côté radio pirate à nous. On s’y attache, et une fois qu’on confie le son à quelqu’un d’autre, même si on lui fait confiance, c’est déboussolant. Mais nécessaire…
JG: Quand on entre en studio avec des morceaux qui ont parfois un an et demi, on s’est habitués aux paroles en yaourt et au son crade. C’est un peu compliqué, cette phase de mix.
AD: On veut que ça sonne écoutable.
JG: Ne pas juste être dans l’air du temps mais ajouter aussi de l’émotion. Et y mélanger toutes les influences qu’on a.
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Vous testez les morceaux en concert avant de les finir ou pas?
AD: C’est rare, parce qu’on préfère apporter un produit fini. On ne veut pas qu’en live, il y ait un trop grand fossé entre des morceaux bien bossés en studio et des trucs enregistrés dans notre cave.
JG: Quand on a gagné les tremplins des Ardentes et de Dour il y a deux ans, on s’est retrouvés avec 5 chansons pour les lives, avec des fiches avec ce que chacun devait faire pour ne pas s’y perdre. On s’est retrouvés à devoir faire un live de 45 minutes alors qu’on n’avait que 20 minutes de concert. On n’a pas eu le choix, on a jammé dans la cave. Au final, ça a été, en tout cas pour nos potes et ceux qui n’écoutent pas beaucoup de musique, mais les passionnés ont dû entendre qu’on n’était pas en place.
AD: Quand t’es un petit groupe pas connu, jouer un truc que les gens ne connaissent de toute façon pas trop, c’est difficile de doser exactement les réactions.
Vous avez gardé des morceaux de ce fameux passage de 20 à 45 minutes?
JG: Pas grand-chose, mais on a réadapté des trucs.
AD: Aujourd’hui, on a une idée plus précise de ce qu’on peut faire, de ce qu’on veut faire.
Comment est-ce que vous décidez qui jouera quoi dans tel ou tel morceau, comme vous avez des rôles similaires?
JG: Au départ, c’était vraiment aléatoire, mais on s’est vite rendu compte des problèmes techniques que ça pouvait causer. Arnaud a besoin d’une voix lead au milieu, c’est aussi plus compréhensible pour les gens. On a essayé de réduire les mouvements. Il y en a encore quelques-uns mais maintenant, on a plus ou moins décidé de places. Ben a un sampler à gauche, sur lequel il va jouer des basses ou des synthés, plus sa guitare; Arnaud va jouer des synthés et sa gratte au milieu, avec un SPD entre lui et moi; et j’ai un synthé Akai pour lancer les séquences. On se sépare le boulot…
AD: Je trouve ça cool qu’on puisse bouger encore un peu. Mais on a un peu exagéré dans le passé, on changeait de place durant les morceaux…
Pour en venir à l’écriture des morceaux, est-ce que vous sentez, quand vous écrivez, que ça va faire un bon single?
JG: Tu sens quand il y a une âme dans ton morceau…
AD: Tu l’écoutes en boucle, tu te dis que c’est un bon signe. Il y en a dont on est plus sûrs que d’autres. Après, on peut être surpris par l’accueil.
JG: C’est vrai que souvent, les tracks qu’on préfère, c’est pas forcément les plus « singles ». Mais d’une manière générale, quand on se met à composer, si on a un bon feeling au départ, c’est rare que le lendemain on se dise « ah, en fait c’est de la merde ». On le sent assez vite.
Vous mettez beaucoup à la poubelle?
JG: Comme on est trois à faire des prods, on a plein de trucs qui traînent dont on n’est pas convaincus, sur lesquels on n’arrive pas à s’accorder.
Mais ceux que vous décidez de mettre en avant, c’est fait de manière collégiale?
AD: On essaie de repérer ce qui va plaire aux gens. De manière générale, on est assez d’accord.
JG: En général, nos morceaux préférés sont souvent les mêmes.
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Vous faites aussi vos clips vous-même, j’ai l’impression qu’ils font aussi presque part intégrante de la composition…
JG: Pas faux. On les écrit ensemble, Ben les réalise. C’est un truc auquel on réfléchit de plus en plus, mais on ne se ferme pas à l’idée de bosser avec des gens dont on est fans du travail. S’ouvrir à des trucs auxquels on ne penserait pas forcément. On aime toujours bien avoir un pied dedans, mais le plus compliqué, c’est de trouver du temps pour ça. Ça prend un temps de malade et on aimerait bien mettre notre focus sur la musique pure. Au départ, on s’occupait aussi du booking même si aujourd’hui on a une structure un peu plus professionnelle. On travaille tous sur le côté, donc c’est chaud niveau temps.
Une question de moyens aussi, j’imagine.
AD: C’est sûr et certain que ça reste une manière de garder l’argent autre part: dans les lives, dans la comm’, dans des trucs immédiats qu’on ne saurait pas faire nous-mêmes.
JG: Il y a quand même un truc vraiment cool là-dedans. On est assez critiques, donc on aime bien avoir ce côté control freaks. Même si on aimerait bien pouvoir se focaliser plus sur la musique… Mais le temps, on le trouve. On travaille jusque tard le soir, on répète pas mal…
Pour composer, vous vous mettez plutôt derrière un ordinateur ou autour de vos instruments?
AD: Ça dépend vraiment. Il y a des morceaux qui sont arrivés à la guitare, d’autres sur un vieux synthé Casio pourri… C’est encore mieux si ça naît comme ça, il ne reste plus qu’à l’habiller.
JG: Ça a plus de sens quand on écrit à trois, on est plus à l’aise avec cette méthode-là.
Vous avez une base théorique ou c’est essentiellement du feeling?
AD: On n’est pas de grands musiciens mais on comble ça par de bonnes idées.
JG: Arnaud est un très bon guitariste mais il ne connaît pas les notes qu’il joue. Du coup, il crée des trucs qui ne sont pas spécialement attendus parce qu’il trouve ça cool et pas parce que c’est ce qu’il faut faire. Des accords un peu bizarres, etc. On joue les trucs au feeling. Ben s’y connaît beaucoup plus par contre.
Ne pas connau0026#xEE;tre le solfu0026#xE8;ge, u0026#xE7;a permet de cru0026#xE9;er des choses inattendues: parce qu’on trouve u0026#xE7;a cool et pas parce que c’est ce qu’il faut faire.
AD: Mais de mon côté, j’hésite vraiment à apprendre plus la théorie. J’ai joué sur un synthé pour la première fois il y a 4 ou 5 ans, je découvrais tous les sons en même temps que l’instrument. J’ai toujours un peu honte de me retrouver dans un musical et de ne pas savoir de quoi on parle.
JG: J’ai suivi beaucoup de cours de solfège quand j’étais petit mais je n’en ai pas retenu grand-chose. Je trouve ça bien plus intéressant de jouer au feeling que de suivre ces leçons où il fallait tout apprendre par coeur, tel accord va avec tel accord, etc. Ce qui est intéressant, c’est de surprendre. On est peut-être un peu complexés quand on se retrouve avec de « vrais » musiciens. On essaie de combler le fait qu’on n’ait pas une connaissance musicale parfaite, en amenant des sonorités originales entre autres.
Comment vous êtes-vous mis à faire de la prod, chacun de votre côté?
JG: J’ai commencé à faire de la musique à 14 ans, j’étais en secondaire avec Ben à Liège, et lui a commencé vers 16 ans. On faisait des horreurs, on aurait dû se faire bannir de MySpace à l’époque! Ce n’est que très tard qu’on a vraiment trouvé ce qu’on voulait faire. Arnaud a commencé à nous envoyer des voix qu’il faisait sur des beats enregistrés sur GarageBand. On a flashé sur sa voix et on a voulu faire des trucs ensemble dans les studios de l’IHECS. On s’est mis à enregistrer des trucs, mais c’est parti de tests qu’on a faits comme ça.
AD: J’ai toujours rêvé d’avoir un « vrai » groupe de rock, traditionnel. Mais j’étais le seul de mon école qui jouait d’un instrument. J’ai voulu apprendre à mes potes pour qu’on joue ensemble, mais tout le monde voulait faire de la guitare, ça n’aurait pas été terrible comme groupe. En soi, c’est hyper démocratique, la musique électronique aujourd’hui. Si t’as pas les moyens de t’offrir un grand studio, plein d’instruments, tu peux déjà bricoler chez toi. J’ai commencé avec un petit synthé Akai à 40 euros et c’est un nouveau monde où tu peux tout faire toi-même, des trucs qui sonnent sans dépenser trop d’argent.
JG: Alors que la musique, avant, c’était élitiste. Mais du coup, ça nous met en concurrence avec beaucoup plus de gens puisque tout le monde a accès à ça. Il suffit d’avoir de bonnes idées pour faire des trucs de malade.
u0026#xC0; l’u0026#xE9;cole, tout le monde voulait faire de la guitare, u0026#xE7;a n’aurait pas u0026#xE9;tu0026#xE9; terrible comme groupe.
Tant qu’on parle de groupes rock… Ça ne vous manque pas, de ne pas avoir de batterie sur scène?
JG: On se pose la question justement. On aimerait bien, au moins pour le live. Avec les ordis, on a des stress, ça plante et on ne sait pas pourquoi. Si ça arrive en live, on est baisés. Et puis, avoir plus de liberté sur scène, ce serait bien. Quand tu vois des groupes comme Caribou, la batterie amène à crever. C’est beaucoup plus vivant, c’est un musicien génial à regarder. On a été voir STUFF. au Beursschouwburg et leur batteur est incroyable. Ça ajoute un côté plus organique à ton projet. On y pense, on y pense, mais on n’est pas encore là.
Pour clôturer, est-ce que vous auriez des conseils aux musiciens qui se lancent pour aborder la composition?
AD: C’est vraiment au cas par cas. Il faut expérimenter et voir à quoi tu arrives. Essayer de ne pas trop recopier.
JG: Écoute des trucs, repère ce que tu trouves qui est cool, mais n’essaie pas de faire la même chose. Essaie de trouver ton son quitte à être influencé. C’est important de varier ses influences, d’écouter plein de trucs.
Ulysse, le 9 juillet aux Ardentes, le 13 juillet à Dour et le 19 juillet aux Francofolies de Spa.
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