Turner Cody, un cow-boy en Belgique

Turner Cody, l'ami américain. © Charles Paulicevich
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Issu de la communauté antifolk new-yorkaise, le cow-boy Turner Cody s’est acoquiné avec Nicolas Michaux et ses Soldiers of Love. Ou quand Hank Williams rencontre Serge Gainsbourg… Rencontre.

Avec son chapeau de cow-boy et sa moustache, il a un petit côté Josh Brolin dans No Country for Old Men, voire Leonardo DiCaprio sur les photos de Killers of the Flower Moon, le prochain Scorsese… « Je ne suis pas fan de tous les westerns mais j’aime beaucoup Peckinpah, avoue Turner Cody. The Wild Bunch est probablement mon film préféré. » S’il ne se considère pas comme un cinéphile et ne sait pas dire à quel point le 7e art teinte ses chansons, le singer-songwriter est un grand amoureux de cinéma. « Il m’influence surtout moi en tant que personne. C’est moins perceptible dans le contenu de mon écriture et de ma musique que dans ma sensibilité esthétique. Ma manière de me présenter, de présenter ma musique visuellement. À quoi ressemblent mes pochettes, ma manière de m’habiller. Un mec comme Wes Anderson a beaucoup marqué ma génération d’artistes. Parce qu’il a offert une sensibilité visuelle singulière. Très différente de ce qu’on avait connu dans les années 90. C’est quelqu’un de très important pour moi. Mais, je suis aussi fan du cinéma des années 70. De French Connection, de Serpico. Puis aussi de Woody Allen et de Quentin Tarantino. »

Avant de découvrir Bob Dylan, Turner Cody se voyait plus acteur que chanteur. En attendant les Grammy, il s’est déjà glissé à Cannes et aux Oscars. Une de ses chansons (Corner of My Room) a été utilisée dans Un Prophète de Jacques Audiard… « Tout ce que je savais c’est que c’était un film. Je n’étais pas au courant de l’intrigue. Je ne connaissais pas le réalisateur. Comme la plupart des Américains, je ne suis pas un expert du cinéma français et je n’avais pas conscience que c’était aussi important jusqu’à ce que j’aille voir le film en salles à Paris avec un pote. Un Prophète est devenu un classique. Il a rencontré un incroyable succès. Mais je n’ai pas l’impression que cette chanson soit représentative de mon travail. Je ne sais pas clairement comment tout ça est arrivé. Ce que je sais, c’est que je n’en ai pas tiré autant avantage que j’aurais pu. Je n’ai pas réussi à capitaliser. »

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Si le clip de Boozing and Losing, le premier titre extrait de son nouvel album, a été réalisé par Frédéric Fonteyne (Une liaison pornographique, La Femme de Gilles…), la carrière de Turner Cody semble à la fois être une succession de miracles et une suite d’actes manqués. Turner est né le 22 décembre 1980 à Boston. Il a grandi en périphérie de la ville avec une mère enseignante et un père qui bossait dans les ordinateurs. Très tôt attiré par l’art et le early rock’n’roll des années 50 qu’il écoute à la radio, il commence la guitare vers l’âge de dix ans. « C’est la découverte d’Highway 61 Revisited et l’écoute de Desolation Row qui ont tout changé. Ça m’a frappé comme rien d’autre auparavant. Je connaissais Dylan mais pas vraiment sa musique. Peut-être quelques chansons via Peter, Paul and Mary. Et là, vers treize ou quatorze ans, je me prends une claque et découvre la plus grande forme d’art qui soit pour moi. Ce mélange de poésie et de chansons. Je comprends alors que tu peux être un poète et un musicien en même temps. Ce morceau a bouleversé mon existence et m’a donné envie de devenir un songwriter. »

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Esprit de communauté

Turner a 18 ans quand il décide d’aller tenter sa chance à New York fin des années 90. Il pense au départ écumer les scènes ouvertes de Boston quand, lors d’un concert à Cambridge, un inconnu lui recommande de pousser une pointe au Sidewalk Café. « Je ne l’ai plus jamais vu après mais ce mec m’a ouvert à mon avenir. J’ai suivi son conseil. J’ai emménagé avec ma copine et ses parents à New York et je me suis mis à fréquenter le Sidewalk. Le premier soir, j’ai rencontré Adam Green et Jeffrey Lewis… C’est dingue qu’un étranger te montre ainsi la voie. Le Sidewalk était vraiment ce dont je rêvais. Je ne pensais pas que ça existait. Adam, Jeffrey et moi avions des points communs dans notre approche de la musique et de l’écriture. On voulait réinventer le folk à notre manière. »

En gros, combiner l’éthos de l’indie rock ou du punk avec le songwriting. « Le folk de la fin des années 90 était très coffee house… Pas nerveux pour un sou. Une forme très élémentaire. Sans couilles, sans beaucoup de personnalité. Rien de bien intéressant. Notre idée était de l’associer à l’indé. Jeff mélange le punk au folk. Adam venait d’un truc indie remis à sa sauce. Moi, je venais du traditionnel mais je ne voulais pas devenir le prototype du chanteur folk de l’époque. Je voulais que ce soit plus cool. »

Les trois hommes partagent une sensibilité esthétique et culturelle. « On réfléchissait à quoi l’art devait ressembler et à comment il devait être présenté en réaction à ce qu’on avait connu adolescents. Quelle était la phase suivante de l’art. Pas juste de la musique. Jeff est un maître du comics. Adam s’est de plus en plus intéressé aux arts visuels. Lors de ma première année à New York, je dessinais beaucoup. Mais c’est dur d’assurer sur plusieurs médiums… »

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Si Green et Lewis ont tous deux signé chez Rough Trade au début des années 2000, Cody a continué à enregistrer des disques de son côté, à presser ses CD, à en dessiner l’artwork à la main, à vendre ses albums lors de ses concerts… « J’ai fait cinq ou six disques comme ça. Adam et Jeff étaient plus avancés que moi en tant qu’artistes et que songwriters. Je ne pense pas qu’un label aurait pu être réellement intéressé par ce que je faisais. Je me développais alors qu’ils arrivaient à maturité. Adam a commencé à s’enregistrer quand il avait douze ans… Il comprenait mieux l’indie rock que moi. Je cherchais encore ma voix. Et Jeff a grandi à New York. Il était déjà sophistiqué quand je l’ai rencontré. »

Ses cinq ou six premiers disques font partie de son catalogue public et sont disponibles sur Bandcamp. Par contre, la discographie de Turner Cody sur Spotify ne commence qu’avec son sixième ou son septième album. La rencontre d’Herman Dune a été un tournant dans sa carrière. « Je me suis mis à aller vers le son que je voulais. J’ai quitté l’indie folk Do It Yourself pour un truc plus direct et traditionnel davantage inspiré par Bob Dylan. Ça a commencé avec The Great Migration (2005). Plus roots. Je ne voulais plus être cet indie rock guy. Un petit label s’est mis à sortir mes trucs. Ça a été un processus très lent. Ma musique n’a jamais été vraiment populaire. J’ai beaucoup tourné avec Herman Dune et j’ai bénéficié d’une certaine exposition. Quelques chansons ont mieux marché. Je ne sais pas si j’ai rencontré plus de succès. Mais moi j’aimais mieux ce que je faisais. Jeff a toujours préféré mes premiers trucs. Encore aujourd’hui. À son avis, je suis parti dans la mauvaise direction. En tout cas, j’ai fait ce que je voulais. »

Nicolas Michaux et Turner Cody. Le dandy et le cowboy...
Nicolas Michaux et Turner Cody. Le dandy et le cowboy…© Olivier Donnet

Transition

Depuis un an et demi, Turner Cody a quitté New York et est parti s’installer à Saint-Louis, où sa femme étudie. Ça faisait un bout de temps déjà qu’il pensait à déménager. « J’ai vécu à New York pendant 20 piges et j’ai passé les dix dernières à livrer des pizzas. Ce n’était plus très amusant. D’autant que j’ai eu un gosse. Tout est dur à New York. La vie est beaucoup plus facile ici. Je devrai peut-être trouver un autre boulot. On va voir ce que va donner le nouvel album. »

Friends in High Places doit être le quinzième ou le seizième maintenant. « Ça dépend de toutes façons d’où tu commences à compter. » Il a été fabriqué à Bruxelles avec le Liégeois Nicolas Michaux et ses Soldiers of Love et sort sur leur label Capitane Records. Le cow-boy a rencontré le dandy au Canada durant l’été 2017 grâce à leur pote commun Grégoire Maus. « J’ai failli ne pas traverser la frontière, se souvient Turner. Je pensais avoir besoin d’un visa pour jouer et comme je n’y allais que pour quelques jours, je n’ai pas pensé fort opportun de déclarer que j’allais y donner un concert. J’étais en gueule de bois. Je m’étais bourré la gueule dans un hôtel la veille. Et quand la sécurité m’a demandé le motif de ma visite, je n’ai pas été très convaincant. Ils ont décidé de fouiller ma voiture. Je ne prends pas de drogue. Je n’en consomme plus depuis longtemps. Mais j’avais emprunté la bagnole de mon boss à la pizzeria qui est un gros fumeur de marijuana et la boîte à gants n’ouvrait pas. Le flic l’a forcée et n’a rien trouvé. Mais il a vu dans mon agenda que je donnais des concerts. Il m’a dit: « Je sais maintenant que tu nous mens et je ne veux pas te laisser rentrer dans le pays. » Heureusement la loi avait changé. C’est passé tout juste. Sans ça, rien ne serait peut-être arrivé. »

Turner Cody qui s’acoquine d’une bande de Belges. L’association est moins saugrenue qu’il y paraît. « Il semblerait que ma famille a vécu en Belgique. Il y a 400 ans ou je ne sais pas trop. Je suis flamand ou un truc du genre. Je n’ai jamais entrepris de recherches mais c’est ce que mon père m’a toujours dit. Mon vrai nom n’est pas Cody. » On ne va pas lui jeter la pierre… Turner Van Pelt Kniffin n’est pas ce qu’il y a de plus facile à googler ou à demander aux disquaires.

« À la base, j’ai un peu pensé le truc comme un album de transition. Un trait d’union entre mes derniers disques et ce vers quoi j’ai envie de me diriger à l’avenir. Je l’avais imaginé à moitié acoustique et à moitié avec un groupe. J’étais prêt à enregistrer l’album à New York quand les Soldiers of Love m’ont proposé de travailler avec eux. Je n’étais pas très sûr. J’avais des plans de mon côté. Mais Nicolas a amené une autre dimension avec ses idées de production. »

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En tant que musicien, qu’artiste qui enregistre, Cody réfléchit surtout au contenu des chansons. Il ne se sent pas l’âme d’un producteur, ne pense pas à travers le son et les textures. Michaux a abordé les arrangements et le mixage avec une approche musicale différente de la sienne. « Je suis juste un artiste folk rock. C’est donc un disque très différent de ce que j’aurais fait de mon côté. J’avais des démos. Ils ont bossé quelques chansons en studio et m’ont fait parvenir les enregistrements. J’ai mis un peu de temps à m’habituer, je dois avouer. Mais à chaque fois que je les faisais écouter à quelqu’un, il me disait que c’était génial. J’ai fait confiance. L’histoire de ce disque, c’est un peu moi qui lâche une partie du contrôle auquel je suis habitué. Et je dois dire que ça m’a libéré. Ça m’a permis de me concentrer sur le chant. J’ai toujours été le responsable de mes disques. Je devais être le leader du groupe. Je payais pour l’enregistrer. Je devais me soucier de combien de temps ça allait durer, de combien de fric ça allait coûter. Tout ça m’empêchait parfois un peu de me concentrer sur le plus important. »

Sa première impression quand il a écouté ses propres chansons a été d’entendre la rencontre de Hank Williams et de Serge Gainsbourg. « Nicolas pensait à des chanteurs indie folk plus contemporains. Mais je ne connais pas bien tout ça. Pour moi, c’était un feeling Gainsbourg et un feeling country americana. »

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La seule fois où Turner Cody avait autant lâché la bride, c’est quand il avait fait produire The Great Migration et Gangbusters! par David Herman Dune. « La grosse différence, c’est que l’approche de David était plus similaire à la mienne. Nico et les membres du groupe viennent d’un autre background. Plus analytique, plus réfléchi. J’ai joué avec beaucoup de musiciens mais ce sont je pense les meilleurs. »

Turner raconte les soirées Hassid Meets Hispter qu’il a organisées à Williamsburg au milieu des années 2000, mêlant la communauté juive hassidique à la faune new-yorkaise. Certaines des chansons de l’album ont une dizaine d’années. Lonely Days in Hollywood a justement été écrit chez David Herman Dune. « J’étais chez ses parents au moment du shabbat. On avait chanté la veille et j’avais cette mélodie en tête. Un truc traditionnel juif. Telling Stories a été écrit à New York et vient de cette idée qu’on n’arrête pas de se raconter des histoires même à son propre sujet. Love in vain? Je m’étais dit que Lana Del Rey avait besoin d’une nouvelle chanson. Les morceaux country ont davantage en commun. J’avais décidé d’écrire des titres traditionnels et c’est ainsi que sont nés Boozing & Losing ou encore Mr. Wrong » À 40 ans, Turner Cody a peut-être bien, enfin, décroché le ticket gagnant.

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Turner Cody and the Soldiers of Love – « Friends in High Places »

Distribué par Capitane Records. ****

Turner Cody, un cow-boy en Belgique

Encadré par Nicolas Michaux et ses soldats de l’amour (Clément Nourry, Ted Clark, Morgan Vigilante), Turner Cody dépoussière et modernise son americana en Belgique. Friends in High Places, c’est la Highway 61 qui croise la E40. La poésie et les racines de la musique américaine cultivées avec notre savoir-faire local. Le folk rock et la country retirent leurs bottes de cow-boy et enfilent leur costard du dimanche sur onze petites pépites tamisées dans un minimalisme soigné. On attend avec impatience la réouverture des saloons…

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