Sofiane Pamart: « J’ai été fasciné par le côté sauvage d’Arno »
Arno, en convalescence, sort Vivre, un album piano-voix en compagnie de Sofiane Pamart, haut talent musical français. Pour un glissement dénudé et intense.
L’interview d’Arno prévue fin avril est annulée. « En convalescence« , selon son label. « Cela va doucement« , d’après un camarade commun qui ne s’étend pas. Pudeur, questions privées devenues (semi-)publiques. Arno, figure nationale sans pareille est généralement discret sur ce qui lui est vraiment intime. On lui envoie donc le meilleur. Parallèlement à ces temps incertains paraît donc Vivre: quatorze titres de son catalogue (lire encadré) repris en compagnie d’un jeune pianiste-compositeur français, Sofiane Pamart. Le parcours de ce dernier est marqué par le hip-hop et de multiples collaborations à l’écriture de musiques avec, entre autres, Koba LaD, l’original Demi Portion ou encore le Belge Scylla, avec lequel il a réalisé deux albums. Virtuose, Sofiane l’est aussi dans son précoce tracé classique: à quatre ans, le gamin entend la musique du Parrain et s’assied au piano familial pour en reproduire le thème. Maman Sofiane -exigeante professeur de lettres d’origine berbère marocaine- comprend que junior se doit d’être inscrit au Conservatoire. Celui de Lille. Il a six ans. Il y termine le cursus avec une médaille d’or. Sofiane, petit-fils de mineur, fonde un groupe hip-hop, Rhapsodie, et puis s’embarque dans un parcours d’emblée ambitieux. « J’ai toujours vécu du piano, via de petits cachets depuis l’âge de 17 ans, retrace-t-il. Mon côté nomade vient de l’enfance, quelque chose que l’on ressent tout le temps: l’appel du voyage et du rêve. Et le piano a toujours été ma bulle qui me permettait de partir, sans bouger. » Pas pour rien qu’il a choisi Pianoking comme alias sur Instagram et propage l’idée de devenir le DJ Snake du piano.
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Lorsqu’il présente son premier album solo Planet, paru fin 2019 et réédité cette année , il s’offre le luxe d’ajouter à une bonne partie des titres un clip d’éminence cinématographique. Au fil des villes parcourues baptisant les morceaux -Paris, Berlin, Séoul, Le Caire, La Havane et autres-, Sofiane livre à chaque fois une vidéo ultra, réalisée par le même Guillaume Héritier, aussi manager du sujet. Entre bande-annonce hollywoodienne et recherche de nouveaux codes visuels. Si certains stéréotypes garnissent le scénario -filles et bagnoles canons, cigare et whiskar-, la narration échappe au final aux sensations clichés. Peut-être parce que Sofiane a cette allure mi-banlieue -le brace dentaire argenté, les artefacts nouveau riche- mi-prince consort. Se permettant même le port d’un affolant peignoir en soie, attablé à son imposant Steinway, avec plans délicats sur les doigts qui filent en noires et blanches. Via une musique tenant davantage de Chopin, Schumann ou Ravel que de Booba, même si Sofiane adore ce dernier.
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Répertoire valise
Vivre est une manière de revenir sur une déjà longue carrière puisqu’Arno pêche dans son répertoire des chansons aussi anciennes que Putain Putain, sortie en 1983 sous bannière TC Matic. Ce voyage dans les bosses du temps s’accomplit donc en compagnie de Sofiane. Mais comment s’est faite la jonction? Au téléphone un mardi de mai, l’intéressé nous explique: « Le label a été l’initiateur de la rencontre, et quand je me suis retrouvé au piano face à Arno chez Pias, je pense que j’ai ressenti la même chose que lui en cinq minutes: ça allait fonctionner! Avec le morceau Quelqu’un a touché à ma femme. En fait, j’ai été d’emblée fasciné par son côté sauvage. Et puis, c’est mon père mélomane qui adore la chanson à texte qui me l’a fait découvrir. » Du printemps 2020 à l’été, le sentiment de liberté dégagé par Arno et son union avec Sofiane résume parfaitement le propos et ses multiples effluves et conséquences. « L’humain m’importe beaucoup plus que la musique, celle-ci doit venir au service du son. Pas seulement avec sa voix, Arno raconte sa vie. D’où ce mélange d’avoir une responsabilité par rapport à l’homme mais aussi vis-à-vis de la musique. Wow… J’ai essayé d’apporter tout ce que je pouvais faire. Avec la responsabilité de ne rien préparer: au premier des dix jours aux Studios ICP d’Ixelles, j’ai débarqué avec tous les CD d’Arno dans une valise et il a choisi. Et là, en dix minutes par chanson, j’ai fait mon travail, aimant ce sentiment d’urgence, en mode survie. » Et puis là, croisons les doigts, on attend des concerts d’Arno, Sofiane et peut-être Mirko, un de ces quatre. Perspective incertaine mais -potentiellement- excitante. Go Hintjens Go.
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Distribué par Pias. ****
C’était un ancien fantasme de Kenny Gates, cofondateur de Pias. Amener au dépouillement le répertoire d’artistes qu’il aime. Il aurait adoré ce plan unplugged avec Gainsbourg, mais le Serge de l’époque « appartient alors à Polygram » (futur Universal). Trois décennies et des poussières après ce fantasme mort-né, voilà la première concrétisation d’une série discographique baptisée Parce que – La collection. Un principe donc: désaper les chansons de leurs arrangements originaux via des versions sans falbalas instrumentaux. Pour une résultante voulue organique, intime, charnelle. Avec donc ici, l’artiste désormais maison, Arno. Bien sûr, difficile d’abstraire le titre du disque –Vivre– du cancer annoncé en 2020 de l’Ostendais. Entre-temps, avec la compagnie essentielle du pianiste Sofiane Pamart et quelques lignes de basse du complice Mirko Banovic, Hintjens pioche dans ses classiques en langue française parus en solo ou avec TC Matic. Les Yeux de ma mère, le titre qui va le commercialiser en France, Elle adore le noir, Lonesome Zorro. Et cette étonnante reprise de Putain Putain, hymne dont la version originale, quasi funky, s’en trouve magnifiquement déshabillée. Mais aussi d’anciennes beautés telles que Nous deux, Tatouage du passé ou Solo gigolo. Avec les accords éclairs et même fringants de Pamart, dont le jeu s’attarde volontiers sur les accords mineurs, virevoltant en arpèges on ne peut plus sentimentaux. Arno, au-delà de ses obsessions textuelles -son kiki, ses amours, sa belgitude-, semble à son meilleur tempo existentiel. De grande pointure, d’interprète minéral. La voix rauque, blessée. Peut-être comme sa vie, en quelque sorte.
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