Portrait: Sofiane Pamart, pianiste incontournable du rap francophone
Primé du conservatoire de Lille, il a usé de son bagage classique pour devenir le pianiste incontournable du rap francophone.
« Avec tout le respect que je peux avoir pour mes aînés, il y a un côté « sacré » dans la musique classique qui est très pénible: on ne peut toucher à rien. Tout le côté protocolaire, par exemple, j’ai toujours trouvé ça relou. » Ainsi parle Sofiane Pamart, 28 ans. De fait, le musicien virtuose n’a pas trop le look Concours Reine Élisabeth. Côté vestiaire, on le classera plutôt dans l’urbain chic. Sur certaines photos, il arbore même des grillz façon caillera hip-hop. Le « pianiste des rappeurs », c’est lui. En témoigne son carnet d’adresses: Sofiane Pamart a joué aux côtés de Nekfeu, Médine, Laylow ou encore, bien sûr, le Bruxellois Scylla avec qui il a enregistré un album entier. « Il y avait une place à prendre, j’ai foncé », explique l’auto-entrepreneur, également titulaire d’un MBA de l’École de Management des Industries Créatives (EMIC) à Paris.
Quand on le rencontre, le musicien se montre particulièrement affable et attentif. Le verbe est franc, le discours clair. Mais sans l’arrogance que l’on avait cru détecter dans ses clips. Il ne le prend pas mal. « Au contraire, cette « arrogance », je la revendique. C’est une chose que j’ai apprise des rappeurs. C’est comme ça que tu te fais remarquer. Qui va nous entendre si l’on ne montre pas un peu de caractère? » Il est tentant de décoder ce culot et cette attitude décomplexée comme un trait générationnel. À moins qu’il ne faille y voir davantage encore les traces de son parcours personnel et de ses origines de petit-fils d’immigré, pour qui feindre l’humilité est une coquetterie. « Mes parents et mes grands-parents ont dû se battre pour s’en sortir. Cette hargne, ils me l’ont transmise. »
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Chic Planet
Dans l’histoire de Sofiane Pamart, il y a donc le grand-père maternel, d’origine berbère, arrivé du sud du Maroc pour travailler dans les dernières mines du nord de la France. « Ma mère a connu la misère, mais elle a su s’arracher de sa condition et devenir professeur de français. » Fils aîné, Sofiane a une soeur et un frère, également musiciens. Mais lui seul s’acharnera dans le métier -quand la première est devenue diplomate aux Affaires étrangères et le second ingénieur en intelligence artificielle… « Vers trois, quatre ans, j’essayais déjà de reproduire sur mes instruments-jouets les mélodies que j’entendais. On a découvert alors que j’avais l’oreille absolue. Par la suite, ma mère m’a inscrit au piano. Et comme chez nous, quand on démarre quelque chose, on est tenu d’aller jusqu’au bout… »
À sept ans, il entre au conservatoire de Lille. Le solfège l’ennuie profondément, et il n’est pas spécialement fan du répertoire classique. Mais « en devant le travailler, j’ai commencé à l’apprécier. Je l’ai découvert de l’intérieur. » Il s’obstine, sans vraiment forcer non plus, avançant avec les moyens du bord. « Quand les profs passaient à la maison, ils ne comprenaient pas que je puisse répéter avec ce que j’avais chez moi. Il y avait toujours un décalage entre mon niveau et le piano que mes parents avaient loué. Ce qui m’allait très bien. J’étais obligé de m’adapter, de trouver des solutions. » En bout de parcours, il termine médaille d’or du conservatoire, et se retrouve prof à son tour. Aujourd’hui, il remercie encore ceux qu’il appelle ses maîtres, dont il admire l’acharnement, tout en redoutant la solitude qui semble être souvent leur lot. « Moi, je veux kiffer ma vie. »
D’autant qu’à côté du classique, il y a le rap. C’est ce qu’il a toujours entendu autour de lui, et qui lui parle le plus. « Il y a la musique, mais aussi les paroles que tu te répètes, qui deviennent comme des leitmotivs qui t’aident à forger ton caractère. » Avec ses amis, il lance un premier projet, mêlant son bagage classique et ses envies hip-hop. C’est comme ça qu’il est repéré par la webtélé 3e Gauche, qui lui propose d’accompagner des rappeurs au piano pour des sessions acoustiques. La connexion avec le milieu est faite. Il a l’avantage d’en connaître les codes, tout en pouvant amener la musique ailleurs. « La première chose que j’ai dû accepter, c’est de jouer à 10 ou 20% de mes capacités. J’ai compris que je pouvais faire la différence sans tout montrer. » Et cela marche: de Kery James à Vald, les propositions affluent. Chaque fois qu’un rappeur francophone a besoin d’une boucle ou d’un solo romantique, Sofiane Pamart n’est jamais très loin…
L’hiver dernier, le pianiste a franchi une nouvelle étape. Avec Planet, il a sorti un premier album sous son nom. Au programme, douze morceaux instrumentaux, enregistrés solo, sans beat, ni sample ni le moindre lien avec le rap. « C’est un acte fondateur super important pour moi. Du piano solo, c’est ce que j’ai toujours fait, et c’est ce que je veux faire toute ma vie. » Sorte de Chilly Gonzales pour la génération hip-hop (le côté farce en moins), Sofiane Pamart ose la sentimentalité pop, la légèreté jazzy, tenant les canons classiques à distance. Lui qui aime voyager d’un genre à l’autre, d’un milieu à un autre, a intitulé chacun de ses morceaux du nom d’une ville différente. Mais en prenant toujours garde de ne pas faire trop long, résumant la plupart du temps son idée en trois minutes. « Je veux que ma musique soit à la fois haut de gamme et populaire. Personnellement, j’aime quand quelque chose me touche directement, sans avoir besoin d’être analysé. C’est pour ça que le thème arrive souvent très vite dans mes morceaux. Et ils sont toujours relativement courts pour qu’ils restent suffisamment accrocheurs. C’est aussi l’époque qui veut ça. Les technologies nous ont transformés pour le meilleur, et pour le pire. Et moi, je veux faire de la musique d’aujourd’hui. »
Sofiane Pamart, Planet, distribué par Pias. ***
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