Sébastien Tellier, promotion canapé

Sébastien Tellier, un homme nouveau: "Mes enfants sont arrivés et ça a été une bombe atomique: je n'ai plus vu le monde de la même façon." © VALENTINE REINHARDT
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Boosté par sa nouvelle vie de père et mari, Sébastien Tellier propose Domesticated, album pré-virus mais célébrant l’art suprême de l’être casanier. Rencontre.

Sébastien Tellier lit-il dans les boules de cristal virologiques? C’est évidemment la pensée réflexe lorsqu’il y a quelques semaines paraît le premier single de l’artiste français à tête de Jésus. La pochette d’A Ballet cadre le quadra parisien au centre de l’image, entouré de six gants de plastique, protection prophylactique et distanciation avant la lettre. Le même genre de dispositif hygiénique orne également la couverture de Domesticated. Prémonition? Futurisme brillant? Essai dystopique? Rien de tout cela, juste une mise en scène des humeurs conséquentes à une double paternité et une vie, depuis quelques années, recentrée sur les joies du foyer, « le bonheur de faire la vaisselle et de remettre les coussins en place dans le salon » (sic). S’il est propre comme un enfant sortant du bain, Domesticated n’est pas forcément à l’eau de rose puisqu’il s’envole toujours vers des destinations et sonorités cosmiques (voir encadré). D’ailleurs, l’astrologue de service n’a rien perdu de ses lubies parfois baroques, en grande partie accouchées « sur le très large canapé du salon ». Pour le mode d’emploi de sa maison idéale, Tellier livre depuis sa résidence parisienne ses recettes au téléphone, conversation traversée de lointains cris d’enfants.

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Six années se sont écoulées depuis la parution de L’Aventura: une chronologie des événements?

J’ai dans mon souvenir de ces années une grande armoire pas bien rangée. Il y a donc eu mon dernier album avec une enfance au Brésil réinventée puis une tournée étalée sur 18 mois. Après, j’ai eu deux enfants -un garçon qui a aujourd’hui six ans et une petite fille qui en a trois- et j’ai découvert la vie de père et la vie domestique. J’ai également réalisé des musiques de films, Saint Amour avec Depardieu et Marie et les naufragés de Sébastien Betbeder, intello français néo-romantique. Et puis j’ai composé la musique d’une série américaine A Girl Is a Gun, avec Denise Richards, un amour adolescent.

La paternité change forcément la façon de considérer la vie: cela a-t-il modifié ta musique et comment as-tu compartimenté les choses?

Au début, je n’ai pas du tout réussi à compartimenter! Mes enfants sont arrivés et ça a été une bombe atomique: je n’ai plus vu le monde de la même façon. Mes valeurs ont complètement changé, comme mon rapport au bonheur, à mes priorités. Ce qui arrive quand on devient parent, une explosion… J’ai découvert que cette domesticité, que cette famille -moi qui étais un loup solitaire, un sauvage, un fou- et bien, ça me rendait heureux. Cette famille me structurait, me donnait un chemin, me rassurait d’être accro aux plaisirs immédiats comme ceux de nettoyer une assiette, remettre un coussin en place, voir les chaussures bien rangées. C’est quelque chose qui me manquait.

C’est-à-dire?

Avant d’être père, j’étais focalisé sur de grandes idées impérieuses: la vie et l’art. J’en oubliais tous les petits plaisirs. Comme dans la chanson de Johnny, J’ai oublié de vivre… En fait, là, j’ai essayé d’être un bon petit soldat dans ma vie d’homme et puis à côté de cela, que ma vie d’artiste soit plus sauvage, plus fraîche, plus folle, plus expérimentale. Donc, je suis le mec qui, à 1 heure du matin, est capable de ranger les puzzles des gosses et en même temps, m’incarne en grand seigneur qui se saoule de tous les concepts. Ce sont deux facettes de ma vie: en studio, j’oublie tout, que j’ai une maison et des enfants.

« Je me laisse aussi beaucoup influencer par ce que je n’aime pas, prendre quelque chose qui n’est plus au goût du jour et le malaxer dans tous les sens pour faire un truc qui plaît. »© PHILIPPE CORNET

Pratiquement, ça donne quoi?

J’ai transformé le grenier en studio, sauf que là, j’ai aussi voulu composer le disque très fort, avec un énorme volume, pas vraiment possible dans une maison. J’ai donc pris le studio CBE, grand classique parisien qui a tout fait, de Claude François à Michel Sardou en passant par des trucs internationaux. Avec une table de mix sur mesure, possédant des aigus très cristallins, des médiums savoureux, des basses hyper rondes. Magique! Mais au final, j’ai rendu la caisse (sic) parce que j’ai essayé -et c’était génial- mais me suis rendu compte que je ne pouvais pas être mieux qu’à la maison pour composer! Là, j’ai le piano dans le salon et en haut, des trucs pour enregistrer. Un équilibre sympa.

Une des caractéristiques de ton travail est de ne pas mettre de barrière entre la variété -genre volontiers méprisé- et une forme d’électropop mode associée à la French Touch!

J’écoute vraiment mon coeur: un morceau qui me touche, me touche! Je reste ouvert à mes émotions, à ce que je suis. Si je peignais par exemple un tableau -je peins comme un pied-, j’aurais envie de peindre le monde entier. Si je faisais un film, j’aurais envie d’un film qui raconte tout. Toutes les sensations que l’on peut avoir dans une vie. En musique, pareil: j’essaie de couvrir tous les sujets importants de la vie humaine, donc mettre un rythme r’n’b me plaît tout autant qu’un beat à la française ou un peu techno.

Ta musique gobe les influences et puis les recrache comme du Sébastien Tellier: t’es-tu demandé d’où venait cette boulimie? Gamin, aurais-tu été privé de quelque chose?

C’est parce que je suis très connecté, très branché cosmos, espace, ce qui me donne une forte conscience que la vie est courte. Donc, je veux me dépêcher de faire tout ce qui est possible avant que ça ne s’arrête. C’est plus de l’ordre de l’inconscient voire de l’ADN. Je me sens plutôt esclave d’une sorte de pulsion que je n’ai pas fabriquée, qui m’habite. En même temps, je suis très casanier: l’aventure du monde entier, elle est dans ma tête. Je ne connais personne qui passe autant de temps sur son canapé que moi.

Tu es donc l’heureux propriétaire d’un canapé cosmique!

Il est profond et, exactement, cosmique. À vue de nez, il doit faire sept-huit mètres de long. Un sacré canapé.

L’album délivre de multiples sonorités, du filandreux au noisy. Comment gères-tu tes limites?

Il y a les limites physiques du disque, une quarantaine de minutes, mais ce qui change complètement ici, c’est que pour la première fois, j’ai fait la voix en premier via des prises chez CBE. Et puis j’ai construit la production de la musique autour du chant. Tout le reste devient donc écrin pour la voix, même s’il y a des échappées, des envies: si je tombe sur un son de synthé que j’adore, boum, j’en mets deux minutes, comme à la fin de Domestic Tasks. Un riff de synthé, du faux piano de 1996 (sic), j’adore. Je me projette dans l’album mais il faut rester sur le qui-vive, à l’affût.

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Comment as-tu partagé les sources technologiques, plugins, instruments réels, pêches vintage?

J’ai pas mal utilisé les plugins d’ordi, mais aussi mes grands classiques comme le piano à queue et de vrais violons. Pour un rendu très moderne, très futuriste, j’ai eu envie d’aller vers le coeur de la musique électronique, les ordinateurs, les synthés, les boîtes à rythmes. J’aime beaucoup Travis Scott, Drake, j’adore la musique US du moment -même si je ne comprends rien aux textes- avec des subs très ronds, très assis. Dans l’album, on ne peut pas réellement analyser quel instrument fait quoi. ça constitue une sorte de tout nuageux au service d’un grand flou.

Sans crainte d’utiliser le sax, comme sur A Ballet, instrument devenu un peu synonyme de ringard en pop et en électro!

J’aime lancer des pavés dans la mare. Je me laisse aussi beaucoup influencer par ce que je n’aime pas, prendre quelque chose qui n’est plus au goût du jour et le malaxer dans tous les sens pour faire un truc qui plaît. C’est créatif de voir que quelque chose de totalement désuet retrouver sa chance. Donc, le sax, c’est un petit coup de poker.

Comme si tu te baladais constamment entre emploi et contre-emploi, où le grain de sable musical est d’évidence?

Je suis de 1975 et j’ai grandi à la fois dans l’univers de Guns N’Roses et de Run DMC, et je n’ai jamais su si j’étais rock ou rap. Je me suis toujours construit en ayant besoin d’avoir un contrepoint. Comme si je devais rajouter des épices. C’est pour cela que j’adore Brian De Palma: il va faire Blow Out avec du romantisme mais aussi de la perversité. Donc le tableau peut être une grande chose très saine mais avec de petits reflux de perversité ou plutôt de coquinerie. Et ça, j’en ai besoin. Il n’y a plus de vrais artistes aujourd’hui qui vivent l’art de façon romanesque, et donc mon rôle -même si personne ne me force à le faire-, c’est d’expérimenter mais aussi parfois d’être bon élève. Si je ne me compare pas à Picasso -quand même un peu (…)-, il a fait des oeuvres classiques avant de déstructurer, pareil pour Dalí. Changer de perspective, être en recherche perpétuelle, tenter de concevoir un univers: d’une certaine manière, j’ai l’impression d’avoir été choisi (il toussote de plaisir) pour faire cela aussi. Parce que si je ne le fais pas, qui va le faire en France?

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Les pochettes des singles et de l’album où l’on te voit entouré de mains gantées, caoutchoutées, n’est pas une création du corona, elle est antérieure! Hasard cosmique?

Oui, hasard cosmique: les photos comme le tournage du clip A Ballet ont été réalisés début novembre. Heureusement! Je ne me serais jamais permis de surfer sur le corona-machin! Dans ce grand océan de malheur, j’ai essayé de trouver une petite île, une valeur refuge, là où on n’a rien à faire d’autre que les repas, la vaisselle et passer la tondeuse (sic), une loupe sur ce que j’ai fait! J’ai un compte Instagram depuis quelques semaines qui me sert à poster de petites affiches: c’est à la fois la promotion de mon album et une façon de dire aux gens que l’on vit tous le même truc. Ne pouvoir rien faire d’autre que la vie domestique. C’est terrible à dire mais tout cela tombe plutôt bien pour moi: la vie à la maison n’a jamais été autant mise en valeur qu’aujourd’hui. C’est fou le nombre de gens qui mettent des photos d’une tarte ou d’une vinaigrette! Il y a cette chanson sur l’album qui s’appelle Atomic Smile, qui dit qu’il faudrait une révolution douce et je pense que mon album va avoir une vie vraiment particulière. Il ne pouvait pas arriver à un meilleur moment, aussi porteur: ce disque pourrait devenir intense pour tout le monde.

Sébastien Tellier – « Domestic Tasks » ***(*)

Distribué par N.E.W.S.

Tout oser: un sax vaporeux (A Ballet), des boucles de synthés trop lascifs (Stuck in a Summer Love), des grognements funky (Venezia) et même l’irruption incongrue d’un break instru aux visées carnassières (Domestic Tasks). Le trait d’union? La voix de Tellier, qui semble constamment trafiquée à l’hélium et rappelle différentes mutations vocoderisées à la PNL: pas étonnant vu que le producteur de ces derniers, Nk.F (ingé son des grands du rap français), est l’un des intervenants de cet album passe-muraille (du son). Qui explore les mutations entre un hybride de variété française possiblement cheesy (Oui) et le groove tout droit sorti de la cuisse d’années 80 sous stéroïdes (Hazy Feelings). Décomplexé et culotté, suffisamment pour que certains en haïssent le résultat.

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