APRÈS DIVERSES PHASES DONT UNE DISPENSABLE BOUFFÉE SIMILI-MYSTIQUE, SÉBASTIEN TELLIER REVISITE SON ENFANCE DANS L’AVENTURA, DISQUE SEVENTIES BRILLAMMENT BOUCLÉ À RIO. ENTRE DANIÈLE GILBERT ET POST-DÉPRESSION NERVEUSE, SÉBASTIEN PARMI LES HOMMES.
Suite à la parution en avril 2012 de My God Is Blue, quatrième album de Tellier évoquant sa « vision du Dieu, de la spiritualité et de l’éveil », notre sympathie pour le Français à tête de Charles Manson gentil a connu un petit coup de mou. En cause: la frontière entre sanction et admiration des gourous semble trop floutée. L’année dernière, changement de cap: Confection et ses corolles orchestrales aqueuses rappellent les arrangements lascifs de la variété et cinématographie françaises des années 60-70. BO d’une proto-fiction que le garçon toujours imaginatif place aujourd’hui via L’Aventura sur le terrain du foisonnement carioca.
Ton album L’Aventura est à la fois le titre -à un « v »près- d’un tube de 1971 de Stone & Charden et celui d’un film d’Antonioni daté de 1960: un duo variété de la France de Pompidou et la réalisation esthétisante d’un mythique cinéaste italien, c’est ce qui s’appelle un grand écart, non?
La France de Danièle Gilbert (célèbre présentatrice de variétés TV au zénith de sa popularité dans les 70’s, ndlr), ce sont des souvenirs que je n’ai pas. Parfois, le temps ne patine pas les choses mais les salit (rires), par contre j’adore la musique populaire, je ne suis pas du tout le snob qu’on imagine! Mes chanteurs préférés sont ceux de tout le monde: George Michael, Stevie Wonder ou Christophe. Ce n’est pas ce que je fais, mais j’ai des goûts très standards. Je me suis dit que le produit proposé aux gens, le disque L’Aventura, était une aventure, un rêve éveillé, ce qu’est aussi le film d’Antonioni.
Progéniture issue des années 70: tu te souviens de quelque chose?
Je suis né en 1975 au Plessis-Bouchard, au nord-ouest de Paris: je ne me souviens pas de Giscard président mais bien de l’élection de Mitterrand en mai 1981, parce que mes parents étaient allés aider au dépouillement des voix. J’étais déjà en train de faire n’importe quoi, dérouler tous les rouleaux de papier cul aux chiottes (rires).
L’Aventura, disque adulescent?
Non, c’est un disque d’adulescent qui essaie de fuir l’adulescence, dans le sens où je me bats pour devenir adulte, j’essaie de toutes mes forces. Mon fils a un an et, putain, je commence seulement à me stabiliser, à reprendre confiance. Au début, il y avait l’amour, c’est la folie, c’est too much, et puis après, j’ai un peu perdu confiance: suis-je à la hauteur? A chaque album, je change toujours de maison pour être dans l’ambiance du disque: j’avais un appartement à la Madeleine, vitraux et boiseries, genre cathédrale. Là, j’ai pris une maison, toujours dans Paris, avec un palmier et des bambous dans le jardin, j’ai tout fait repeindre en faux palmiers. J’adapte mon habitat à mon oeuvre (rires).
Le morceau baptisé Comment revoir Oursinet? fait référence à une BD pour enfants des années 80: ton nounours de Proust?
C’est le teddy bear, le doudou de l’enfance: j’en parle parce que j’essaie de signaler aux hommes que cela ne sert à rien de faire semblant d’être fort. La puissance rend malheureux. Ce qui compte, c’est la tendresse. Les hommes d’aujourd’hui oublient qu’ils ont eu un doudou, qu’ils sont des anciens bébés. Quand on se dit cela en se levant le matin, on sort de la maison avec beaucoup moins d’animosité, on relativise.
On t’imagine assez bien en gamin hyperkinétique, non?
J’imagine que j’ai été victime de dépression un peu après la naissance, et j’ai vécu avec elle pendant 31 ans sans le remarquer: ado, j’avais beaucoup de mal à trouver un goût aux choses, à part la musique et les meufs qui étaient au-delà de tout (sourire). J’ai quand même eu le Bac pour faire plaisir à mes parents, mais pour tout ce qui fait partie de la vie disons normale, je reste au minimum de mes capacités. Dans une banque, je suis poli mais je fais en sorte que cela se passe vite.
Le Brésil était donc un passage obligé pour raconter cela?
Oui. Quand on écoute de la musique brésilienne en France, c’est cool, mais les Français, qui sont d’ignobles cons (sic), sont toujours en train de se moquer, de ne parler que d’exotisme. En tournée au Brésil à l’époque de Sexuality, en 2009,j’ai eu le flash que la musique brésilienne me représentait totalement: elle est complexe, technique, longue à apprendre et tout cela, au service du divertissement! Cela tombe bien: mon père m’a appris, gamin, plein d’accords de bossa nova.
Il y a dans le disque un côté seventies manifeste, des parfums de cette époque-là, pourquoi?
C’était important pour moi de retrouver l’intensité émotionnelle que me procuraient les dessins animés que je regardais étant petit. Il fallait le même impact, donc je me suis rapproché de ces sons-là tout en ayant l’exigence de faire un disque d’aujourd’hui. Philippe Zdar, le meilleur mixeur que je connaisse, a discipliné toutes ces couches. Et il est important que l’artiste, même s’il est le roi du monde en studio, sache s’entourer. J’ai mis beaucoup de temps à découvrir si je devais ou pas être un patron sévère, puis j’ai compris que la meilleure chance est de travailler avec des gens qui savent souffrir et qui s’oublient complètement. Qui comprennent mieux que moi où je veux emmener les chansons: ce qui est le cas de l’arrangeur du disque, Arthur Verocai.
Le choix de Rio comme lieu principal d’enregistrement?
A Rio, les musiciens brésiliens m’ont offert du soleil alors que j’étais là avec mes lamentations (sourire). J’ai produit le disque moi-même et pris énormément de plaisir à rencontrer les gens: je n’ai rien voulu jeter, même si le disque sonne ultra riche. Sur scène, faudra faire des versions différentes de celles du disque, en faisant confiance à la composition. Je ne tourne qu’à partir d’octobre parce qu’il me faut aussi du temps avant de réécrire mon catalogue, comme disent les jeunes.
Ton avant-dernier album t’a mené jusqu’au mysticisme, on ne savait pas trop si ce My God Is Blue était du lard ou du cochon…
C’était de la philosophie spaghetti, il y a un peu de vrai, du n’importe quoi, des trucs en flashs cool. J’ai aimé ça mais je n’aime plus: maintenant, je préfère le charme à la beauté, le charme à la perfection, c’est peut-être l’approche de la quarantaine et la naissance de mon fils. Tout a été bouleversé et j’ai changé de valeurs. Quand j’ai commencé à gagner un peu d’argent pour la première fois, j’allais dans des magasins de luxe, je m’achetais de belles bagnoles. C’était l’époque de Sexuality: L’Oréal avait acheté La Ritournelle pour diffusion mondiale pendant quatre ans! Un deal pharaonique, formidable. Cela m’a amusé et puis lassé. Mes rêves d’ancien banlieusard étaient bien gentils -ils avaient allumé la flamme musicale initiale- mais les résultats escomptés n’étaient pas là. Conduire une belle bagnole, il n’y a rien de plus chiant puisqu’on a peur de l’abîmer… Là, avec L’Aventura, j’ai réécrit mon enfance, mais il ne faut pas s’habiller en zèbre pour la raconter!
RENCONTRE Philippe Cornet
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