Rocé compile la mémoire des « damné.e.s de la terre »

Rocé compile la mémoire des "damné.e.s de la terre" qu'il envoie aux nouveaux contestataires. © MANOVA
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Rappeur engagé, Rocé laisse le micro pour concocter une compilation de chansons contestataires oubliées, autour des luttes d’indépendance et ouvrières des années 60-70. Une fouille musicale passionnante, pour celui qui n’a jamais cessé d’exercer son devoir de mémoire.

Dès son premier véritable fait d’armes, en 2002, Rocé posait le débat. Le morceau en question est intitulé On s’habitue. Un tube? Pas vraiment. Mais un incontournable quand même, un genre de classique que tout amateur de rap français a percuté à un moment ou l’autre. Produit par feu DJ Mehdi, Rocé y manie l’eau et le feu. Le flow aussi tranchant que le sample mélancolique -les cordes latin jazz de Cal Tjader. À l’offensive, il harangue: « Même si t’oublies rien du tout, on t’habitue, c’est tout« . Déjà, la question de l’aliénation, et surtout de la mémoire -a fortiori celle des dominés-, est au centre des préoccupations du rappeur.

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Depuis, Rocé a multiplié les hors-pistes. Mais tout en continuant à taper obstinément sur le clou d’une musique politisée. Avec son dernier projet, Par les damné-e-s de la terre, c’est encore le cas. Plus que jamais même. Mais différemment. Rangeant pour un temps le micro, il s’est mis en tête de compiler des morceaux, tournant tous autour des luttes d’indépendance et ouvrières, sortis entre 1969 et 1988 (lire notre critique). « Ça fait plus de dix ans que j’y réfléchis. J’ai eu le déclic en tombant sur deux titres en particulier: Répression de Colette Magny (figure centrale de la chanson contestataire française, NDLR) d’une part, et Je suis un sauvage de Savi Alfred Panou, avec l’Art Ensemble of Chicago. Ils ont le point commun d’être plus clamés que chantés, sur un groove quasi similaire, à la limite du free jazz, tout ça en français dans le texte. Ce qui me touchait, c’est qu’ils lorgnaient tous les deux vers les musiques afro-américaines qui me plaisent, mais sans tomber dans l’imitation, en évitant le côté yéyé. Je me suis dit que si j’en avais trouvé deux, il devait certainement y en avoir plein d’autres du même tonneau. » La quête de Rocé est lancée.

Il commence à fouiller les disquaires, scrute les notes de pochette, contacte des spécialistes. Au départ, il imagine monter un blog autour de ces trouvailles, peut-être en faire une sorte de mixtape. « Mais au plus je recueillais de chansons, au plus j’avais le sentiment qu’elles faisaient écho à l’époque actuelle. » Finalement, c’est une véritable compilation de 24 morceaux qui a été mise au point, accompagnée d’un livret d’une quarantaine de pages, rédigé par deux historiens, Naïma Yahi et Amzat Boukari-Yabara.

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L’autre côté de l’Histoire

Cette vision engagée de la culture, et de la musique en particulier, Rocé la cultive depuis longtemps. Pourtant, ce n’est pas forcément elle qui l’attire d’abord vers le hip-hop. Gamin, il est subjugué par les pionniers du genre, comme les Little MC ou NTM. « Mais plus pour le côté performance qu’autre chose. Bien sûr, j’étais fasciné par cette manière de parler sans frein, de dire exactement ce qu’ils avaient envie de dire. Mais s’il n’y avait eu que ça, ça m’aurait vite ennuyé. »

Né en 1977 à Bab El Oued, en Algérie, arrivé en France à l’âge de quatre ans, José Youcef Lamine Kaminsky, de son vrai nom, a toutefois de qui tenir. Il est en effet le fils d’une Algérienne et d’un Argentin juif d’origine russe, Adolpho Kaminsky, grand résistant, et faussaire éminent: pendant 40 ans, celui-ci a fourni des milliers de faux papiers. Il commença pendant la Seconde Guerre mondiale, en France, en trafiquant des cartes d’identité tamponnées du cachet « Juif ». Par la suite, prenant fait et cause pour les luttes d’indépendance, il se retrouve à fabriquer de faux documents pour un tas de personnalités révolutionnaires -y compris pour Daniel Cohn-Bendit en 1968… « Mon père nous a toujours tenus à l’écart de tout ça, il n’en parlait pas trop, explique Rocé. Après, mine de rien, c’est sûr qu’à vouloir chasser le naturel, il revient au galop…« 

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De fait, difficile de ne pas voir dans Les damné-e-s de la terre comme un prolongement de l’action du père par le fils. À moins qu’il ne s’agisse d’une manière pour Rocé de prendre ses distances avec le hip-hop actuel, plus occupé à faire la fête qu’à creuser les enjeux socio-politiques du moment? « Absolument pas. L’idée, c’est plutôt de jeter une lumière sur nos aînés. » C’est en effet son obsession, son sacerdoce. Sur son deuxième album, Identité en crescendo, en 2006, il rappait déjà: « L’Histoire nous raconte pas l’Histoire/Elle nous raconte la moitié des faits/L’autre moitié s’est fait couper la langue, son silence est criard« , avant de continuer plus loin: « La France a des problèmes de mémoire/Elle connaît Malcolm X mais pas Frantz Fanon, pas le FLN/Connaît les Blacks mais pas les Noirs » (Problème de mémoire). Avec Les damné-e-s de la terre, Rocé s’attaque précisément à cette « amnésie collective ». « Tous les gamins de 20 ans connaissent Tupac. Mais savent-ils ce qu’écoutait sa mère, une ex-Black Panther? Ce qui est paradoxal, c’est que les Afro-Américains ont souvent une conscience plus aiguë de leur héritage culturel qu’une bonne partie de la diaspora noire d’ici, qui a pourtant des liens plus directs avec le continent. Il y a des raisons à cela, et ça a tendance à changer avec des artistes comme Baloji ou MHD. Mais il reste du travail. »

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