Robbing Millions, beautiful freak
Lucien Fraipont a fabriqué le nouveau Robbing Millions entre Bruxelles et Los Angeles avec un collaborateur d’Ariel Pink et de Mac DeMarco. Pop, ensoleillé et secoué, Holidays Inside a même les faveurs de MGMT…
Première interview en chair et en os depuis belle lurette. Lucien Fraipont est devant un plateau de fruits et de biscuits dans un bureau de Pias à l’abandon (tout le monde est en télétravail). De père liégeois et de mère bruxelloise, l’homme derrière Robbing Millions est né à Uccle le 6 juillet 1987. Il a une soeur de trois ans sa cadette et a grandi dans le centre de la capitale. Ses parents se sont rencontrés à l’INSAS. « Ma mère a bossé dans des boîtes de pub. Mon père (Christophe) a réalisé des documentaires, des courts métrages et un long (Le Troisième oeil avec Jérémie Renier). Ils étaient assez fans de musique. De Bowie surtout. » C’est un peu eux qui lui ont mis le pied à l’étrier. Lucien étudie très tôt la guitare classique à l’académie d’Ixelles. « Mes parents suivaient l’actualité et je me suis mis à écouter leurs disques. J’adorais les Foo Fighters. Le premier truc qui m’a marqué, c’est In Utero, je pense. J’allais à l’école primaire à Ixelles avec mon t-shirt Nirvana acheté Galeries Agora et j’ai rencontré Gaspard (Ryelandt) qui avait le sien aussi. On devait avoir dix ans. » Ados, avant de faire équipe dans Robbing Millions, ils montent déjà un groupe de rock: The Sports. Un projet « radioheadisant » teinté Led Zep, Jeff Buckley, The Coral… Lucien prend vite la tangente. Frankie Rose, qui habite Bruxelles mais vient d’une famille de circassiens irlandais, lui donne des cours de gratte, le sensibilise au blues, à Stevie Ray Vaughan… Dès seize piges, Fraipont suit des stages de jazz à Libramont. « Je lisais beaucoup la presse musicale et j’allais à la médiathèque toutes les semaines. Je suis arrivé au jazz avec le Mahavishnu Orchestra, la période électrique de Miles Davis. J’avais aussi un voisin pianiste qui jouait du Monk. J’étais curieux. C’était mystérieux. Je voulais m’améliorer et ça me semblait être un moyen d’appréhender la musique qui allait me faciliter la tâche par la suite. »
À la sortie des secondaires, Lucien pense vaguement et pas bien longtemps à l’unif. Un peu au ciné aussi. « Mais je voyais mon père. Tous ces trucs de remises de dossiers pour choper des subsides, les tractations avec les producteurs. La musique me semblait plus accessible. Tu pouvais faire les choses toi-même. Tu ne devais pas mobiliser tant de gens et d’argent. » Alors, il s’oriente vers le conservatoire. Puis décide vers 2012-2013 d’aller étudier à New York. « J’étais pris dans les écoles mais je n’avais pas assez de fric pour y entrer. C’était super cher. Il te fallait des bourses de ouf. Mais c’était un peu le prétexte. J’avais un pote, pianiste de jazz, qui vivait là-bas (Casimir Liberski). J’avais envie de faire de la musique et ça me semblait être le bon endroit. Une sorte d’épicentre. »
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Fraipont a viré très jazz. De son propre aveux un peu snob. Il a arrêté de lire Les Inrocks et le Rock & Folk mais découvre qu’il a GarageBand dans son ordinateur et se met à maquetter des morceaux très pop pour rigoler. « Je m’intéressais à des trucs comme Deerhoof, Dirty Projectors… Des projets un peu secoués qui rencontraient mon intérêt pour le jazz et le rock. J’ai tout de suite eu des bons retours de mes potes, de ma famille. Alors, au lieu de m’obstiner à aller à New York, j’ai lancé Robbing Millions. » À l’époque, Lucien joue dans des groupes de jazz qui vivotent, donne des concerts, qui le désespèrent un peu, dans des clubs devant dix personnes. « Là, on avait tout de suite des propositions pour se produire à Dour. Il se passait un truc. » À la base, il veut surtout un projet rafraîchissant, des morceaux qui lui semblent simples et couler de source mais avec des petits twists qui les rendent excitants et surprenants. « Je pouvais utiliser des instruments auxquels je n’étais pas habitué. Mettre des effets sur les voix, sur les guitares. Expérimenter avec le côté production et l’enregistrement sur laptop. C’était très chouette de construire un morceau de A à Z en jouant un peu de basse, de batterie. »
C’est aussi l’occasion de retourner à ses premières amours (le rock) avec tout le background qu’il a accumulé. « Robbing Millions, ça a toujours été un peu ça. Amener des morceaux fabriqués sur mon ordi à des musiciens plutôt venus du jazz. »
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Slip kangourou
Robbing Millions est moins un groupe que le projet pop et cramé d’un musicien de jazz. Fraipont, qui avait enregistré son deuxième EP chez Koen Gisen à Gand, a pour son deuxième album travaillé à la maison avant de prendre la poudre d’escampette. Direction Los Angeles. Non sans avoir embauché l’Australien Shags Chamberlain. « Je tenais à garder ce que j’avais et à partir de mes démos. Je ne voulais pas repasser par la case studio. Je me suis dit que ça pouvait amener un résultat un peu plus unique. Un truc qui me ressemble davantage. Dès que j’ai commencé à faire le tri, à organiser l’album, j’ai compris qu’un regard extérieur me ferait du bien. »
Lucien contacte Josh Da Costa, un musicien américain (Ducktails, Chris Cohen…) qui a vécu son adolescence à Bruxelles et connaît du beau monde. « Il m’a renseigné son colocataire et me l’a présenté comme le gourou du mix. » Chamberlain a notamment bossé sur le Pom Pom d’Ariel Pink (« J’avais ça dans un coin de la tête« ) et This Old Dog de Mac DeMarco. Il a travaillé sur des trucs plus jazzy aussi. Cet esprit d’ouverture lui plaît. « Je lui ai balancé 55-60 chansons qu’ils a pris le temps de digérer. Il m’a envoyé des notes détaillées sur chaque morceau. Il me disait où ils pouvaient aller, à quoi ils lui faisaient penser. » Donkey Kong Country (un jeu vidéo édité par Nintendo), Wally Badarou, le groupe de rock progressif italien Le Orme… « Il me disait aussi des trucs du genre: « Ça, laisse tomber, ça ressemble trop à Tame Impala. » »
Chamberlain connaît bien la scène australienne. Il a accompagné Lost Animal, eu quelques groupes avec Gus Franklin d’Architecture in Helsinki (The Cas$inos, The Smallgoods). Mais digger qu’il est, il a aussi des références noire, jaune, rouge dans son slip kangourou. Notamment les Polyphonic Size. « Il m’a poussé à assumer mon côté belge. À un moment, il voulait même que je prenne pour pochette notre drapeau national. Là, je lui ai dit: Shags, c’est peut-être cool pour toi mais pour moi, c’est pas la meilleure option. »
Avant que Lucien parte à Los Angeles, Chamberlain joue en Allemagne avec le groupe de kraut teuton Ash Ra Tempel, va voir sa copine au Danemark et passe chez lui dans les Marolles. « Il a débarqué avec son look de Mad Max. Une veste de western et des longs cheveux super dégueux. J’ai appris à le connaître. Il a dormi pendant deux ou trois semaines chez moi sur mon canap. Il sent un peu le bush… C’est un mec qui a grandi dans une ferme de la campagne australienne. En contact avec la nature. Il y a juste une espèce d’hormone qui fait qu’il a une odeur bizarre. »
Chamberlain essaie de changer des structures et commence à mixer. Les deux hommes travaillent au rythme de l’Australien, de ses casse-croûte et de ses visites chez le disquaire. « Il faut qu’il bouffe quatre ou cinq fois par jour dehors et qu’il achète des disques quotidiennement. Je l’ai emmené chez Crevette. Il adore Hors Série. Il m’a encore récemment demandé d’aller lui chercher un Lio. »
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Sans complexe
Quelques mois plus tard, Shags et Lucien prolongent le processus à Los Angeles. Chamberlain vit à Highland Park. Un quartier mexicain de east L.A. anciennement un peu craignos gentrifié par l’arrivée de musiciens. « Je bouffais des tacos tous les jours. J’avais pas de bagnole. Lui non plus. On était un peu les seuls cons à vélo ou en skate. On a entendu des coups de feu un soir. Une fête qui apparemment avait dégénéré. En même temps, le coin est très mignon avec ses petits jardins. Très nature. J’ai commencé à faire du jogging. Je bouffais trop de crasses. C’était aussi une bonne manière de découvrir. »
Là-bas, le petit Fraipont se fond dans la scène locale. Il se fait inviter à un barbecue par Mac DeMarco, croise les Allah-Las, Wild Nothing, Sun Araw ou encore ce drôle de coco d’Ariel Pink. « Il habitait juste à côté. On allait tout le temps bouffer au resto mexicain qui se situe juste en dessous de son appart. Il est venu chercher un truc un jour. Shags fermait pas la porte à clé. Je squattais le salon. J’étais un peu le concierge. D’ailleurs, quand il faisait des soirées, je devais attendre que le dernier se casse pour pouvoir aller me coucher. On s’est retrouvés à des noise barbecues aussi. Des barbecues accompagnés de musique bruitiste. Le guitariste de Tortoise jouait tous les lundis dans le même bête club de jazz. Dans un bar à Chinatown, ils ne passaient que de la musique française des années 70. Tu as quand même un côté parc d’attractions. C’est parfois too much et un peu fake. Ça reste une ville superficielle… »
Tant qu’on parle d’Ariel Pink, autant approfondir le sujet. Holidays Inside y fait inévitablement penser. « Au début, je n’aimais pas trop. Je trouvais qu’il avait un son intéressant mais c’est avec son album Pom Pom que j’ai vraiment flashé. Sur cette tournée, on était allés boire des verres avec lui à l’Archiduc un peu par hasard. On l’avait croisé dans la rue. J’aime pas trop le rapport fanboy. Mais c’est vrai qu’il a toujours l’air en recherche d’attention. Il a des périodes de drogue et de sevrage assez intenses. Je suis beaucoup plus raisonnable. J’aime sa profusion d’idées. Le côté surprenant de certains alliages de sons, des influences éthiopiennes et new wave. Il a cette facette fun, sans complexe. Un peu je vous emmerde. Puis ce côté digger qu’il vient glisser dans son fourre-tout. Je l’ai un peu moi aussi mais mélangé à mon approche jazz. Tordu musicalement. »
Il y a beaucoup de choses dans Holidays Inside. L’album porte en lui l’amour de Lucien pour la Britpop (les Beatles, les Kinks, Supergrass…), le Brésil (Lô Borges, Clube da Esquina) et la France (Air, Phoenix…). Des trucs plus électroniques et des musiques de jeux vidéo aussi. Entre les problèmes de fric de Chamberlain, le crash de son ordinateur et le label Stones Throw qui a fait marche arrière et décidé de ne pas sortir le disque, l’accouchement a été un peu longuet. « On a envoyé l’album à plein de gens. Burgalat a écouté et bien aimé. Ça m’a fait plaisir. Parce que je l’écoutais quand j’étais ado. Le disque est à lisière de pas mal de trucs. C’est pas assez rock, folk ou jazz pour certains labels. C’est compliqué à vendre. » Les mecs de MGMT, avec qui Chamberlain partage ses bonnes adresses de digger, ont décidé de se mouiller. Leur label sur lequel ils n’avaient jusqu’ici sorti que leur musique, y va en partenariat avec Pias… « J’étais plutôt flatté qu’ils aiment bien mais ils n’ont aucune expérience dans le domaine. Pias assure un peu tout le boulot. Eux font le disque sur leur e-store et de la promo sur les réseaux sociaux. C’est un peu le tampon, le logo. »
Le titre de l’album Holidays Inside résume son côté casanier et routinier. « À 33 ans, je me sens parfois comme un ado attardé à faire ce métier. Même si je l’assume plutôt bien. » Le disque parle de nourriture. « J’ai repensé à des chansons des Beach Boys sur le sujet. J’aime les trucs qui peuvent sembler cons ou triviaux au premier abord mais qui dans la musique prennent un autre sens. Comme l’album a été conçu à la maison, il a un côté domestique. »
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Pour Tiny Tino, Lucien a imaginé avant même d’y mettre les pieds un loser de Los Angeles. « Il essaie d’intégrer un gang mais n’y arrive pas. Il a du mal à se faire de vrais amis parce qu’il n’est pas super fiable. Tu peux associer ça au milieu de la musique ou à moi qui vais en Californie faire mon disque. Je n’essaie pas d’être un Américain. D’ailleurs, notre prochain clip est tourné dans les Marolles. » Sur quelques morceaux, il chante d’ailleurs dans sa langue maternelle. « Assumer le français, c’est le fait de jouer avec Aksak Maboul, de voir Aquaserge, de parler avec Julien Gasc. Quand je ne trouve pas de paroles en anglais, j’en écris en français pour me donner des idées. Shags m’a encouragé à les garder. Il est toujours en recherche d’exotisme musical. Il a appris le russe pour pouvoir le lire sur les pochettes de vinyles. »
Distribué par MGMT Records/Pias. ****
C’est le genre de disque inattendu, foisonnant et foufou dont on raffole. Un album de pop à tiroirs tordue et jouette qui a le sens du rebondissement et fourmille d’idées farfelues. Holidays Inside est un peu le Pom Pom des Marolles. Une collection de 18 vignettes psychédéliques qui divaguent sous le soleil californien, s’amusent avec la French Touch, trifouillent l’électronique et s’affranchissent des codes. Un disque malin qui a ses tubes (Family Dinner, Tiny Tino, Back…), plaira aux fans d’Ariel Pink et peut se ranger à côté du Hard Fun Grand Design de Bed Rugs. Everyday should be a holiday…
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