Ariel Pink: « J’aime avoir l’air con et je m’en fous »
Génie cinglé de la scène californienne, Ariel Pink est de la race des weirdos. De ces marginaux qui depuis 50 ans déconstruisent la pop music pour mieux la réinventer. Sexe, kitsch et rock’n’roll…
Pantalon rayé jaune et noir, vernis à ongles rose pétant, longue tignasse blonde qui lui tombe sur les épaules et chemise portée au-dessus du pull… Vautré dans un canapé, tel une starlette hollywoodienne des années 60, sous les toits parisiens de sa maison de disques, Ariel Pink semble tout faire en dépit du bon sens. A commencer par se fringuer. C’est sans doute ce qu’on aime tant chez lui: derrière son look de Samantha Oups, Ariel Marcus Rosenberg, 36 ans, fils de gastro-entérologue, cache l’un des esprits les plus libres et dérangés de la pop moderne. Pretty in Pink.
Comment construit-on un album aussi givré et déglingué que Pom Pom?
Ce disque est né entre novembre 2013 et juillet 2014. Il n’est qu’une illusion. Rien ne s’est vraiment passé comme vous l’imaginez. Rien ne vient de la vraie vie. Tout a juste été créé pour en donner l’impression. Faire un disque, une chanson, ce n’est que mettre un pas devant l’autre. Tu construis. Tu tentes de ne pas aller trop loin. Tu te détournes de toi. Tu essaies de ne pas tout envoyer promener. Ce disque n’est pas un collage mais tu peux le voir comme une oeuvre d’art, une peinture et me considérer moi comme le mec responsable de ce qui va sortir de tes baffles. Sur cet album, j’ai à la fois utilisé plus de musiciens et exercé davantage de contrôle que d’habitude. J’ai embauché les gens en mode « je n’ai pas à savoir ». J’ai gardé tout le monde dans le noir. Personne n’avait la moindre idée de ce qu’il faisait et de comment les chansons allaient sonner. Personne n’a d’ailleurs entendu les morceaux avant la toute fin du processus. A chaque fois que je sortais du studio, quoi que nous ayons bricolé de la journée, je devais pouvoir l’écouter à la maison. Je ne remettais rien au lendemain. Tout a été fait dans un but précis. N’a été enregistré que quand c’était autorisé à rester. Et c’est moi qui décide de ce genre de choses.
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Vous aviez déjà les chansons en tête, donc?
Toutes. C’est toujours de cette manière que les choses ont fonctionné. C’est pour ça que les autres devraient m’écouter et non pas faire comme s’ils savaient. J’ai permis à des groupes de participer davantage par le passé. J’ai essayé d’être diplomate, de laisser les musiciens venir avec des suggestions. Ce qui peut être utile parfois mais que je faisais la plupart du temps pour leur montrer que j’avais raison. Leur donner, machiavélique, l’impression qu’ils avaient leur mot à dire… Comme je descendais toutes leurs propositions, ça en devenait finalement intimidant. C’était une mauvaise dynamique pour un tas de raisons. J’ai d’ailleurs été traîné en justice par un de mes musicos. En tant que membre original, il prétendait être Ariel Pink. Il a poursuivi le groupe, ses membres et moi devant les tribunaux. Mon explication, c’est que j’ai donné l’impression aux gens d’avoir plus de pouvoir qu’ils n’en avaient vraiment. Cette fois, j’ai donc engagé plein de gens différents. 25 à 30 personnes ont bossé sur ce disque, mais c’est le mien. Tous ceux qui ont contribué à cet album le voulaient. Et ce, sans sécurité, sans filet, sans attente de retour. J’en conclus que je suis un leader fascisant. Que c’est un Etat policier. Et que c’est la meilleure solution pour le pays. Quand tu laisses le peuple diriger, que tu donnes des flingues à tout le monde, ça ne marche pas. C’est mieux d’être le dictateur, de gouverner dans l’impunité pour le bien de tous. En tout cas en ce qui me concerne.
Pourquoi avoir intitulé votre disque Pom Pom?
C’est drôle: certains m’ont dit qu’ils avaient lu Porn Porn sur la pochette. Sinon, j’ai pensé aux pom-pom girls. Et « Pom Pom », ça veut apparemment dire « chatte » en jamaïcain. Une version rastafarienne du sexe féminin. Selon le dictionnaire urbain, « Pom Pom », c’est aussi une position sexuelle méconnue dans laquelle l’homme s’assied sur le visage de son partenaire de manière à ce qu’il ait un testicule au-dessus de chaque oeil…
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Quels sont vos disques barjots préférés?
We’re Only In It For The Money de Frank Zappa et de ses Mothers of Invention. Mélodiquement, Zappa est un incroyable songwriter. L’équivalent des Beatles. Je suis traditionnaliste d’une certaine manière. J’évolue toujours à partir de mélodies. Je ne réfléchis pas vraiment à comment connecter les choses. Dès que tu as le bon ADN, tout peut se combiner de manière à ce que ça marche. J’aime écouter de la musique et avoir l’impression que ma tête va exploser parce que je n’avais jamais entendu ça auparavant. Cette sensation que je vais adorer quelque chose dans un futur très proche, quand je connaîtrai les chansons par coeur, tellement bien que je n’aurai plus besoin de les écouter. R. Stevie Moore est aussi l’un de mes pères spirituels. Stevie est génial parce que c’est un million de groupes en un. Comme ses héros Zappa et Todd Rundgren. Tous ces gens sont de vraies sources d’inspiration. Ils donnent l’impression de changer de personnalités. D’en avoir plusieurs qui cohabitent en eux. Ils n’ont pas une voix sincère. Ils la réinventent en permanence. R. Stevie Moore a, comme moi, bossé dans un magasin de disques. C’est dans un premier temps un fan de musique. Le genre de mec qui change de style en fonction de ce qu’il écoute. Que ce soit les Sex Pistols ou The Cure. C’est un passionné.
Vous avez collaboré sur plusieurs titres avec Kim Fowley. Il a vraiment écrit ces chansons depuis son lit d’hôpital?
Il avait un lit d’hosto mais chez lui. Je suis allé lui rendre visite. Il était allongé dans son pieu. Puis, quelques filles sont arrivées. Il les a fait chanter. A essayé de les placer dans mon groupe. Puis il m’a dit: « Ariel, balance un riff. Finalement non, arrête. Enregistre et tu en feras ce que tu veux. Quand je dirai stop, le morceau sera fini. » (Ariel imite un vieillard à la voix chevrotante): « The Sky was white and black and polka dotted. It must’ve been an Ariel Day. And all of a sudden I was allotted. The chance to go with a big parade. Oh Yeah. Oh Yeah. » Kim est sa propre inspiration. Il n’a besoin de rien d’autre. Je me suis dit: « Super. Je ne dois plus me casser le cul à écrire des paroles pour ce putain de morceau. Je n’ai qu’à rentrer à la baraque nettoyer tout ça. » J’ai aussi pu entendre une pub qui l’avait marqué dans les années 50 et lui redonner vie aujourd’hui. C’était génial.
En écoutant votre disque on se dit que vous devez en prendre de la bonne?
De la drogue? Je ne prends pas de drogue. Jamais. Enfin, plus jamais. J’ai gobé de l’acide, des champignons. Mon cerveau est déjà assez déconnecté comme ça. Faire pousser de la weed, je laisse ça à mes potes. Mais j’adore fumer des pétards en écoutant de la musique. C’est comme une première fois. Ça te fait sortir de ta propre tête. Ça t’aide à t’échapper des conséquences inévitables de la vie de tous les jours. Même si parfois, ça peut te rendre parano et te donner l’impression d’être particulièrement stupide. J’aime avoir l’air con et je m’en fous. C’est l’histoire de ma vie. Le speed peut aussi aider et te permet de bosser pendant des heures et des heures. Mais la cocaïne ne peut rien pour moi. Elle ne facilite pas le processus d’enregistrement. Pas plus que l’héroïne, qui me ferait tourner de l’oeil, le LSD ou les champis.
En même temps, écouter votre disque, c’est comme se promener dans un parc d’attraction sous LSD…
En ayant pris des amphétamines alors… (rires) Mais tout est intentionnel. Tu ne peux pas juste jammer la tête à l’envers. Tu dois faire fonctionner tout ça. Ça doit être pensé. Délibéré. Rien ne peut être laissé au hasard.
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Votre carrière a décollé tardivement. Dans quel état d’esprit étiez-vous quand Animal Collective a commencé à vous soutenir et a accepté de vous distribuer?
Jamais, je ne m’étais imaginé réussir dans la musique. Je ne voyais pas le climat propice à l’éclosion d’un mec comme moi. Du moins jusqu’à ce que les Strokes débarquent en 2001. Les Strokes avaient des guitares, jouaient de vrais instruments et baignaient à leur manière dans le rétro. Le Velvet Underground, Television, les Stooges, les Buzzcocks… Je me disais: « Bon courage les gars. » Mais ils y sont arrivés. Puis après, il y a eu Interpol, les White Stripes… Et là j’ai compris. Il y avait une porte. Une petite porte mais une porte quand même, dans laquelle il était possible de s’engouffrer. Les mecs d’Animal Collective avaient bossé chez Other Music. Ils étaient curieux et au courant de ce qu’il se passait dans l’underground et la réédition. Aimaient des disques obscurs de musique psychédélique japonaise, s’intéressaient à Vashti Bunyan et l’Incredible String Band…
De 1996 à 2004, jusqu’à mes 26 ans, j’avais travaillé tout seul dans mon coin à la maison. Sans contrat ou quoi que ce soit de ce genre. Signer avec leur label Paw Tracks ne m’a pas fait gagner d’argent. Je me suis donc mis à tourner. Pour la première fois de ma vie, je donnais des concerts plutôt que de créer de la musique. C’était pas plus mal parce que je tombais tout doucement à court d’inspiration. Pendant cinq ans, je n’ai plus rien écrit. Le deal qu’ils avaient conclu avec moi était très éthique mais à l’époque je ne le comprenais pas. Les disques sont toujours les miens et je peux les sortir moi-même maintenant. Avec 4AD, c’est du viol. Pom Pom lui appartient. J’ai voulu le lui racheter et j’aurais pu. J’en suis tellement fier que j’étais prêt à débourser 60.000 dollars s’il n’avait pas été prêt à le promotionner correctement. Je veux enfin gagner de l’argent et pouvoir m’acheter une maison. Je porte cet adolescent rebelle et en colère en moi depuis trop longtemps.
POM POM, DISTRIBUÉ PAR 4AD.
Le 15/03 au Beursschouwburg, Bruxelles.
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