Marc Du Marais (La Muerte): « Je ne collectionne pas, j’amasse »
Ultra-vocaliste de La Muerte et de son infernal nouvel album éponyme, Marc Du Marais est aussi le réalisateur de DoublePlusUngood, impressionnant long métrage métaphysico-gore. Rencontre.
Bouquins, posters, bibelots, fringues, flyers, magazines, fétiches, colifichets, images, autocollants, squelettes reptiliens, skates, casques et pièces de motos et de bagnoles trouvant refuge sur des meubles chargés jusqu’à la gueule. « Je ne collectionne pas, j’amasse. » Dans son antre des Marolles, Marc vit dans un décor et source d’inspiration où seul le lit entr’aperçu semble vierge de tous memorabilia. Du Marais, c’est le cinéaste Marco Laguna, signant aussi ses différentes casquettes en Marko Kapri, M.Lagoon et autres variétés patronymiques de série B sur sa civilité, datant de Bruxelles, août 1959. Assez logiquement, le loustic réside à 100 mètres de la place du Jeu de Balle où son chinage chronique s’assouvit de réguliers approvisionnements. « À part peut-être un GSM, Marc n’achète rien de neuf, analyse Dee-J, Didier Moens pour l’État, guitariste et cofondateur de La Muerte. Il ne s’intéresse qu’au seconde main et est capable de vous trouver à peu près n’importe quoi d’occase. »
1983. Didier, punk rocker made in Schaerbeek, rencontre le jeune homme en question, qui a déjà baladé sa belle gueule moderne dans le groupe Marine. Dont le funk-rock chébran explose en plein vol après Life in Reverse, Single of the Week dans le NME du moment. Même si on est loin d’Abbey Road: Marine a enregistré dans le studio du président du fan-club des Shadows, chaussée d’Alsemberg. Didier: « Marc, mon ampli et moi nous sommes retrouvés dans le local de Rabbi, un batteur qui, pour l’occasion, nous prêtait aussi son beat. Marc avait jeté une dizaine de feuilles sur le sol, en saisissait une, en gueulait quatre lignes, puis passait à la suivante. Ça a duré dix minutes, on s’est regardés, La Muerte était né. »
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Petits maîtres
Trente-cinq ans plus tard, pour cause de non-chauffage à domicile, nous voilà réfugiés dans un bar de la place du Jeu de Balle. Marc y précise la nature de son jeu. « Je suis tout et son contraire. Mais moi, je me marre hein, je m’amuse« , dit-il, la moustache presque frémissante. Élevé dans une famille uccloise de « petits bourgeois » catholiques, le garçon -aujourd’hui athée- mesure déjà sa future devise des pôles contraires via un père « laxiste, super-cool » et une mère qui rêve de voir son fiston au Reine Elisabeth. « J’ai commencé par le piano, puis le violon, puis la flûte traversière et puis étant tellement mauvais (sourire), on m’a mis à la porte des cours de musique. Mais je n’ai jamais été un rebelle, j’ai toujours tout fait en cachette. » Élève moyenissime, il « finit » en ébénisterie dans un pensionnat de Namur et se tape aussi le service militaire, même s’il s’éclate volontairement le pied pour pouvoir faire une tournée, dans le plâtre. Entre-temps, étape essentielle de cette formation, le magazine Métal Hurlant, sa future madeleine de Proust « qui touche autant au rock’n’roll, au cinéma et à la littérature ». « De là, j’arrive aux magazines de charme et puis aux premières éditions du Festival Fantastique. J’ai toujours aimé le bizarre, les petits maîtres, les premières oeuvres, le DIY. Pourquoi? Faudrait faire une analyse ou regarder du côté de la mère. Ou comprendre mes propres limites techniques, notamment comme chanteur. » Tout cela serait resté du domaine privé sans la saga de La Muerte, de retour depuis 2015, et propriétaire d’un tout nouvel album éponyme (voir encadré). Marc: « On en a déjà parlé, on est sans doute moins pertinents qu’à l’époque (la première, 1983-1994, ndlr), où il y avait une…urgence. Parfois, je me demande si on est vraiment justes, même si je n’ai pas envie de déraper là-dessus. On est comme un vieux groupe de blues décadent qui tourne en roue libre. Même si la réception est positive, surtout pour les trentenaires qui ne nous avaient jamais vus, d’où le « culte »… »
Avec ses trois recrues inchangées depuis 2015 -Michel Kirby (guitare), Christian Z (batterie) et Tino de Martino (basse)- La Muerte a pourtant évité le come-back calamiteux ou juste insipide. D’autant qu’en concert, c’est un peu le Versailles du napalm sonique. « On a toujours été plus spectaculaires en live que sur disque. La scène me donne l’occasion d’explorer une autre facette de ma personnalité. Physique, dans la performance et l’échange, dans le rock’n’roll, art ultime. En cinéma, je n’ai jamais retrouvé cette sensation et ne parlons même pas des bouquins, hein. Je ne voudrais pas être écrivain, ça doit être atroce. » Parole d’un gars qui vient de sortir un livre photo sur le skate, après avoir trouvé des boîtes de dias sur le sujet, sur un marché évidemment(1). Admettant une certaine timidité au quotidien -« je n’aime pas parler de moi, je préfère longer les murs« -, Marc, depuis le retour de La Muerte, se met en scène un sac de toile de jute sur la tronche. Pas forcément pour l’amour des plantes et des fibres durables. Didier, nous éclaire à nouveau: « Quand en 2015, mon pote photographe Danny Willems a proposé de tirer des portraits des musiciens de La Muerte, Marc m’a dit qu’il allait se mettre un sac sur la tête. Danny a trouvé le truc fantastique, même si sur scène, avec les lights et tout, ça doit être inconfortable au possible. D’ailleurs là, la nouvelle version du sac a aussi une couche interne en coton, qui gratte moins. »
Poète des garagistes
De la jute au celluloïd: Marco Laguna signe en un quart de siècle une filmographie hétéroclite de genre –clips, courts métrages, docus- dominée par la trilogie sexe, sang, speed. Avec des bouts de fantastique à la Jean Ray, de low budget chronique à la Roger Corman, de poivre surréaliste à la Dali et une injection de tout ce que la street culture amène d’obscurités bizarroïdes. Et une BO uniformément pétroleuse pour celui qui se présente « comme un grand malade des soundtracks de films, ce que je préfère au monde ». « Là, depuis le retour de La Muerte, j’ai eu envie de me créer un nouveau personnage. Il m’est venu quand j’ai écrit le scénario de DoublePlusUngood , où un banquier est kidnappé avec une toile de jute sur la tête. C’est beau, c’est angoissant, ça a de la gueule. Je n’ai pas inventé le concept, il date de Frankenstein, Elephant Man, Batman, le personnage du bourreau ou de la victime (sourire). »
Depuis les eighties, Marc bosse dans la décoration de tournages en tous genres où, travailleur manuel et connaisseur de vintage, il bâtit des sets tout en chinant des objets divers pour les (télé)films. C’est d’ailleurs sur un tournage qu’il rencontre Bouli Lanners, l’un des personnages marquants de DoublePlusUngood, le tout premier long métrage de Marc(o) sorti dans le circuit des premières et festivals fin 2017. Avec un intérêt passant par Tokyo, Mexico, les États-Unis et son cher Fantastique bruxellois. « Bouli est dans la course-poursuite où j’ai récupéré des cascades d’un clip que j’avais tourné pour Jeronimo. Au fil des années, dingue de bagnoles, je me suis fait des potes dans le milieu où on m’appelle le « poète des garagistes ». » D’où une Merco offerte et une Jaguar achetée… 300 euros. Le film, assumant ses délires, fait renaître son personnage fétiche, Dago Cassandra -déjà l’objet d’un court en 1999- qui règle ses comptes sans jamais passer par la case banque: hémoglobine strictement cash. Au gré d’un monologue en anglais de nature poético-métaphysique, les 91 minutes passent comme un tour réussi de roulette russe. Avec une BO impressionnante -entre instrus névrotiques et hommages imaginatifs à Deroubaix et Morricone- rendant parfaitement justice à ce thriller gore. Où le rôle principal, Cassandra, est incarné par Wild Dee, chanteur des feu Wild Ones. Le genre de tronche à la Robert De Niro période Cape Fear qu’on ne veut même pas croiser par grand soleil.
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Fuji 16 mm
DoublePlusUngood multiplie donc les scènes nocturnes, filmées dans un Bruxelles charbonneux avec des ellipses spatio-temporelles qui nous projettent tout à coup dans le désert californien. « Où le monologue prend le pas sur l’intrigue: on est dans le cerveau de Cassandra qui croit faire le bien en faisant le mal. Il veut sauver le monde de la pérennisation du pouvoir exploiteur, c’est sa morale. » Du pur cinéma d’exploitation ou plutôt de désexploitation vu son capitalisme primitif, c’est-à-dire fauché. Autofinancé jusqu’à la gueule, mettant acteurs et techniciens en « participation », Bouli Lanners comme les autres. Marc mettra cinq ans à trouver les moyens de tourner cet UFO ciné: « J’ai sacrifié un budget que je prévoyais pour un voyage -3.000 euros- pour tourner les trois premières scènes du film, puis j’ai recommencé à chercher et puis, rien… » D’autant plus la mouise que les vieux camarades de route de Marc, comme les chefs op, bourlinguant sur ses tournages sans argent depuis deux décennies, arrêtent les frais. « J’ai donc fait la tournée des écoles de cinéma et j’y ai trouvé des jeunes qui m’ont troué le cul! » Alors, Marc fait du crowdfunding, vend des bagnoles (…) et met le fric gagné avec La Muerte, non pas dans l’essence de sa moto, mais dans un budget qui finit par atteindre… 50.000 euros. Des peanuts pour un long métrage usuel qui lui permet d’acheter un stock de pellicule Fuji 16 mm pour cause de fermeture définitive du comptoir belge. Marc dégotte un coproducteur avec KGS, loueur qui l’approvisionne en matos, dont une précieuse caméra Arriflex, et puis un second partenaire Stempel Films en fin de processus: les péripéties marathoniennes de fric et de tournage rempliraient bien un bouquin. Reste la question de la non-sortie en salles de l’opus delirius, poil-à-gratter que Marc évacue en regardant le futur: « L’idée est maintenant de faire un deuxième film de manière, on va dire, plus conventionnelle. Parce que je ne peux plus repasser par le même processus. C’est impossible…« . Entre-temps, DoublePlusUngood sortira en DVD en avril et La Muerte fera trembler l’AB en janvier.
(1) Primitive Skateboarding Belgium 1978, éditions du Caïd – À écouter: la BO de DoublePlusUngood, en vinyle chez WeMe Records.
Distribué par Mottow Soundz. ****
Le 12/01 à l’Ancienne Belgique.
« C’est mon disque hommage à Alex Harvey », plaisante Didier/Dee-J en allusion au délirant rocker écossais. De fait, ce premier album studio depuis la reformation jette dès l’ouverture Crash Baby Crash des accords rock’n’roll crus intemporels que n’aurait pas non plus reniés le MC5. Mais plongés dans une cocotte borderline metal via l’apport des trois recrues de 2015 et du jeune ingé son/mixeur Deha. Ce choc ferrugineux des générations passe alors le filtre Marc Du Marais, voix et textes anthropophages, illustrés par le francophile Suis-je un animal? Oui, une bête vocalisante, qui, dans ce théâtral dantesque, honore le sentiment épique comme celui de Darkened Dreams, sorte de version guitares de Front 242. Les potes avec lesquels La Muerte partage visiblement l’élixir bruxellois de jeunesse-vieillesse brillamment assumée.
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