Marc Danval: « Je déteste la radio en conserve »

Marc Danval © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Il a hébergé Chet Baker, causé purge avec Louis Armstrong, vu Billie Holiday et dévoré tout ce qui pouvait bien jazzer. Marc Danval parle de son nouveau dico jazz et de son oreille supplémentaire.

« Quand il jouait en Belgique, Chet Baker venait souvent loger chez moi. Je me souviens d’un jour où il s’est enfilé deux bouteilles de whisky, en plus des piqûres, alors qu’il jouait le soir même. A mon grand étonnement, il n’a pas commis le moindre faux pas, chantant impeccablement. Pourtant, je ne crois pas à la créativité sous influence: à part un peu de fumette, je n’ai jamais touché aux drogues. Beaucoup d’amis en sont morts. »

Dans son appartement ixellois, Baker est au mur, en noir et blanc dédicacé. Voisin d’une galerie où l’on repère John Coltrane –« Comblain-la-Tour 1965 »-, un programme signé Magritte ou encore le visage Queen Creole de Billie Holiday. « La seule affichée ici dont je n’ai pas décroché une dédicace lors de son passage, c’était au Palais des Beaux-Arts, en janvier 1954. Elle était trop… » Défoncée sans doute. Ceux qui ne connaissent pas Monsieur Danval, 77 piges, doivent savoir qu’il officie depuis 24 ans au volant de sa propre émission radio RTBF, La Troisième oreille. Le samedi après-midi, on y entend sa voix légèrement Donald Duck plaider l’Histoire du jazz, de la chanson française et du music hall, le tout sur un ton « désinvolte et parfois rigolard ».

Comme d’autres bons radiologues, l’écoute est d’autant plus agréable qu’il ne faut pas aimer les vestiges anciens pour se laisser guider dans l’Histoire musicale selon Danval. Celuici poussant l’amabilité en saucissonnant dans le rétro des actualités à la Melanie De Biasio. « Elle est parmi les vocalistes dont on parle et ce n’est sûrement pas la plus mauvaise, mais j’aime également beaucoup Marie-Laure Béraud et avoue une préférence pour le piano et le sax… Je trouve, par exemple, que Fabrizio Cassol est un homme d’une grande curiosité universelle. »

Truc de « nègre »

Rejeton d’une famille amarrée au classique -grand-papa est compositeur-, Marc tâte du piano sous guidage du père, prof au Conservatoire: « J’étais très doué, mais me suis vite rendu compte que mon côté touche-à-tout m’empêcherait de mener un seul truc dans la vie. Et puis j’ai eu une révélation. » Envoyé en pension à Morlanwelz-Hainaut, le gamin de 9 ans se fabrique un poste à galènes avec écouteurs piqués sur un tank à la Libération. « En écoutant de la musique qui venait du cercle des grands auquel je n’avais pas accès, par la bouche d’aération, j’ai entendu le Boogie Woogie de Stan Brenders. J’étais sur le cul: cela a bouleversé ma vie et je n’ai plus pensé qu’à cela. J’ai eu l’impression que le jazz m’était destiné. »

Bifurquant par la comédie de boulevard, Marc Sevenants, ayant un cousin dans le domaine, prend Danval comme patronyme. Entre deux pièces où il creuse son admiration pour Sacha Guitry, il s’adonne à sa drogue forte: le be bop, le swing, le New Orleans. « J’aurais bien voulu jouer Racine mais je n’avais pas la gueule de l’emploi (sourire) et j’étais attiré par le jazz, qui restait dans les années 40 et 50, pour les gens bien-pensants, un truc « de nègre ». L’INR (ancêtre de la RTBF, ndlr) daignait en passer une demi-heure le soir. C’était à la fois marginal et méprisé, pas du tout admis. »

Puisque Marc ne sera pas musicien, le journalisme, ce vieux faiseur d’occasions, jouera le rôle d’entremetteur entre lui et la musique. Non pas que Danval soit pionnier en la matière: comme il le raconte dans son excellente Histoire du jazz en Belgique (1): dès les années 20, un certain Omer Van Speybroeck, belge comme son nom l’indique, immigre à Detroit et joue du sax avec le légendaire Bix Beiderbecke. « Le public belge populaire, et en particulier bruxellois, a toujours été réceptif au jazz, peutêtre par le côté bon vivant de ces rythmes-là. A l’Expo universelle de Bruxelles, celle de 1910, on a pu entendre les premières notes de ragtime jouées par des Noirs de New York. »

Quand Danval tombe sur Robert Goffin, « avocat, poète et homme de jazz », auquel il consacrera en 1998 un livre de ce titre, aujourd’hui réédité (2), il a débusqué un compagnon d’aven ture pour la vie. « Avec Goffin -mort en 1984- on était très copains: un jour, il me dit de venir chez lui, près des Etangs d’Ixelles, parce qu’il s’y trouve quelqu’un que j’aime bien. C’était Louis Armstrong qui, pendant tout le repas, a voulu nous convaincre du bienfait des pilules purgatives: on se la calait derrière les molaires, pas du tout séduits par la proposition… C’est le premier grand que j’ai rencontré. » Il y en aura forcément d’autres comme Boris Vian à Paris: « Je lisais ses étourdissantes chroniques dans Jazz Hot, et je venais de terminer L’écume des jours et L’arrache-coeur. Je lui ai dit qu’il allait devenir un classique du XXe siècle, il a alors demandé au patron de l’endroit « d’appeler une ambulance pour ce jeune homme… »« 

Difficile de retracer l’intégrale de Danval, gourmand gâté: livres de cuisine, théâtre, articles et bouquins jazz, implication au légendaire festival de Comblain-la-Tour. Plus toute une saga radio commencée comme troufion avec La Demi-heure du soldat depuis l’INR/Flagey dans les années 50. Sans oublier le boulot pour Radio-Luxembourg au Grand-Duché et à Paris, et ce quasi-quart de siècle de bons services ertébéens via La Troisième oreille, chaque samedi sur La Première, de 14 à 15 heures: « Je puise dans ma discothèque perso, même si elle est plus maigre depuis que j’ai cédé à la Bibliothèque Royale 25.000 disques, dont 12.000 78 Tours. L’émission est en direct, je déteste la radio en conserve. Et je suis free-lance, je l’ai toujours été. Je n’avais aucune envie de devenir chef du service colombophile à 54 ans (sourire). Je n’ai d’ailleurs jamais pensé à la retraite, même si j’ai déjà acheté ma concession, à deux pas, au cimetière d’Ixelles. »

(1) AUX ÉDITIONS AVANT-PROPOS.

(2) AUX ÉDITIONS LE CARRÉ GOURMAND.

>> À lire et écouter également, notre Brolcast en compagnie de Marc Danval: « jazzophile, cabotin et patriarche du crate-digging »

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