Laurent Raphaël

Le VK en péril, en toute inconscience

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« Pour casser la logique infernale du repli sur soi communautaire et de la haine, la culture n’est pas une option, c’est la seule. » L’édito de Laurent Raphaël.

Ce n’est pas un jugement de valeur, juste un constat tarte à la crème: la duplicité est l’enfant naturel du néolibéralisme, sa tare génétique. Logique: l’hydre du capitalisme sauvage -en existe-t-il seulement un autre?- est dirigée par deux têtes qui regardent dans des directions opposées et s’ignorent superbement. Alors que la première psalmodie des idéaux humanistes, appelle à la sagesse et à la fraternité, flatte notre sens moral, jusqu’à nous persuader que la bonté, la générosité ou l’intégrité poussent dans la nature, la seconde se roule dans la boue du cynisme, pratique l’égoïsme à haute dose, esclave des pulsions, du plaisir immédiat et de son principal combustible: l’argent. Autant dire que la cohabitation n’est pas simple. Le divorce est d’ailleurs consommé depuis longtemps. En résulte un double langage permanent, une sorte d’incompatibilité ontologique entre les paroles et les actes dont les journaux télévisés nous dressent chaque soir l’inventaire implacable et sinistre, jusqu’à la nausée.

Si aucun secteur n’est épargné par cette gangrène (il suffit de taper « scandale » + « marchés publics », « banques » ou « environnement » dans n’importe quel moteur de recherche), la culture est particulièrement vulnérable. Pourquoi? Parce que si elle est l’étendard de cette liberté d’expression dont s’enorgueillissent nos sociétés « évoluées », son oxygène moral, elle a du mal à faire la démonstration de son utilité économique et même sociale. Du coup le retour sur investissement semble toujours flou et incertain. Et bien trop lent de toute façon pour des actionnaires -privés ou publics- de plus en plus pressés. Pour reprendre la métaphore mythologique, alors que la voix de la sagesse place les arts et les lettres au sommet de ses priorités, son double diabolique et véreux, qui a souvent le dernier mot, s’en passerait bien, sauf bien sûr quand un artiste fait péter le tiroir-caisse -il devient alors un produit comme un autre- ou flirte avec le divertissement bas de plafond, ce prozac sans ordonnance.

Pour casser la logique infernale du repli sur soi communautaire et de la haine, la culture n’est pas une option, c’est la seule.

Le cas du VK illustre parfaitement cette schizophrénie. Cette salle bruxelloise voit défiler depuis 25 ans l’avant-garde de la scène musicale alternative belge et internationale. Une sorte d’anomalie sociologique dans un paysage molenbeekois sinistré, mais aussi (avec le Plan K, la Maison des cultures et le futur Mima) l’un des rares bastions culturels dans cet océan de précarité économique. Sans travail et sans nourritures spirituelles pour décrypter le monde et trouver une voie d’épanouissement individuel, il ne reste souvent que le repli sur soi communautaire et la haine. Pour casser cette logique infernale, la culture n’est donc pas une option, c’est la seule. Les politiques sont d’ailleurs les premiers à prôner ses vertus prophylaxiques, son rôle de ciment social dans les discours. Mais dans les faits, c’est toujours l’urgence et la rentabilité à court terme qui dictent leur loi. Comment expliquer sinon que la Communauté flamande décide de couper les vivres de son centre culturel à l’heure où la corrélation entre désert socio-culturel et basculement dans la folie nihiliste n’a jamais été aussi flagrante? Une ville sans lieu de brassage culturel où faire l’expérience de l’autre et où polliniser son imaginaire, c’est comme une démocratie sans presse libre. Les contrefeux au populisme et à toutes les manipulations mentales n’existent plus, ouvrant un boulevard pour la pensée unique, d’essence divine ou non. En sacrifiant à petits feux la diversité sur l’autel de l’austérité, on sème les germes de la discorde de demain. La culture est la formation continue de l’école.

Qu’est-ce qui pourrait provoquer un sursaut de conscience, sachant que même sur des questions qui touchent à notre intégrité physique, et plus encore à celle de nos enfants, comme le réchauffement climatique, les « puissants » n’arrivent pas à se mettre d’accord? Replanter des théâtres, des bibliothèques, des cinémas pour recréer du lien comme on replante des arbres pour régénérer une forêt. C’est ça ou, au choix, l’anarchie ou la dictature. Qui ne sont bonnes ni pour les affaires -en tout cas l’anarchie- ni pour la démocratie…

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