Le Star Feminine Band, un exemple d’émancipation pour l’Afrique et au-delà
Emmené par sept jeunes musiciennes béninoises, le Star Feminine Band insuffle du soleil et de la jeunesse dans l’émancipation féminine. Récit d’une aventure extraordinaire et d’un disque improbable.
« Femme africaine, aide la nation. Lève-toi. Donne-toi une place dans la société et fais valoir tes compétences. Le pays a besoin de nous. » La voix est enfantine, la musique dansante et le discours rebelle. A fortiori au nord du Bénin, dans une société patriarcale où les jeunes filles n’ont quasiment aucune perspective d’avenir. Le Star Feminine Band, qui sort aujourd’hui son premier album sur le label parisien Born Bad Records, est composé de sept musiciennes âgées de 10 à 17 ans. « À Natitingou, les filles vont devenir mères souvent très jeunes et de familles nombreuses, explique Jérémie Verdier. Elles exerceront peut-être le métier de couturière, de cuisinière ou de vendeuse au marché. Mais la plupart des autres jobs sont destinés aux hommes et il en va ainsi pour la musique. » Verdier a découvert le projet en 2018. Ingénieur en agriculture, il a à l’époque rejoint comme volontaire une association d’étudiants qui donnent des cours élémentaires dans des orphelinats, l’école et la prison de Natitingou. En se promenant en quête de musique, il échoue derrière le Musée de la ville, dans une petite pièce de la taille d’une salle de bains. « Les filles étaient en train de répéter. J’ai tout de suite été impressionné par leur ouverture, leur énergie. Puis aussi par la douceur et la fermeté d’André. »
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André Balaguemon, c’est le professeur et mentor du Star Feminine Band. Musicien féministe et bénévole, André a lancé le projet en 2016 avec le soutien de la municipalité. « Adolescent, j’ai vu un mari frapper sa femme. J’ai demandé à ma mère comment c’était possible. J’étais vraiment fâché. J’ai très tôt compris que les filles ici étaient marginalisées. Beaucoup d’hommes dans leur petite tête les pensent inférieures. Je me suis demandé comment prouver le contraire. »
Le Béninois se met en tête de créer un orchestre et lance un appel sur les ondes de Nanto FM, la radio communautaire locale. « La musique, c’est mon boulot. Puis un super canal pour faire passer un message. Avec le groupe, l’objectif est de sortir les filles de la rue. Et de défendre l’émancipation des femmes, leur cause et leurs valeurs. » André part de rien ou presque. Celles qui se présentent à lui quelques jours plus tard sont issues d’ethnies waama et nabo, viennent des villages alentours et ne connaissent rien à la musique. À l’époque, certaines n’ont encore jamais vu de guitare, de micro, de batterie ou de clavier, autant de symboles de modernité dans cette région reculée. Balaguemon les met à l’essai, leur inculque les rudiments des instruments. Il pose ses conditions aussi: obligation scolaire et interdiction de mariage forcé. « Elles étaient 18 au début. Mais depuis, plusieurs sont tombées grosses. J’ai dû expliquer beaucoup de choses et j’ai longuement discuté avec les parents. Ce projet au départ, personne n’y croyait. »
Et pourtant… Jusqu’au-boutistes comme leur enseignant, les filles ont rapidement progressé. Elles répètent trois jours par semaine en période scolaire et du lundi au vendredi pendant les vacances. Elles ont aussi donné une cinquantaine de concerts, se produisant notamment dans le cadre de la Fête de l’indépendance. « Sur scène, elles sont dingues, s’emballe André. Tout le monde veut voir ça. Le public applaudit toujours à grands cris. »
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Du Bénin à Born Bad
La suite de l’histoire est aussi improbable que ce que vous en savez déjà. Après avoir accompagné les filles de sa trompette en concert et terminé sa mission humanitaire, Jérémie Verdier quitte le Bénin. Il s’arrête à Madrid (les tickets d’avion sont moins chers) et prend quelques vacances. Via la propriétaire de son Airbnb, il fait la connaissance de Juan et découvre qu’il est ingénieur du son. « Je lui montre des petites vidéos et je lui raconte le truc, encore plus chaud et passionné qu’aujourd’hui. Il m’a l’air réceptif et je pense l’avoir convaincu avec mon histoire, mais je ne m’imagine pas qu’il va la prendre à bras-le-corps. » Cinq ou six mois plus tard, Juan part à Natitingou avec un ami ingé son. Ils n’ont jamais mis un pied en Afrique noire et ne savent pas ce qui les attend. Ils finiront par y enregistrer l’album.
De son côté, de retour à Paris, Jérémie raconte ses aventures musicales africaines à un cousin. Celui-ci lui recommande de contacter le label Born Bad. Il commence par se pointer au magasin. « Le vendeur m’a dit de lui laisser mes coordonnées. J’ai préféré m’adresser au boss. Un groupe de filles inconnues recommandé par Jérémie Verdier, entre guillemets personne, tout le monde s’en fout. Mais JB m’a rappelé le jour même, m’a demandé des infos, des photos… » Le patron en question, Jean-Baptiste Guillot retrace: « Je reçois une centaine de propositions par semaine. Je n’y prête pas vraiment attention. Sinon, je passerais ma vie à ça. Mais le Bénin, un groupe de filles… Je vois des photos. J’entends un morceau pas abouti. Il fallait que j’aille sur place ».
L’aventure va dépasser toutes ses attentes. Le voyage, déjà, a des allures de parcours du combattant. « Tu n’as pas de vol direct parce qu’il n’y a aucun enjeu économique au Bénin. Et, entre Cotonou et leur ville, tu en as pour 25 heures de bus. En gros, il faut compter deux jours et demi pour arriver à Natitingou depuis Paris. » Planté dans une vallée au pied de la chaîne de montagne de l’Atakora, Natitingou est situé au nord-ouest du pays. À une heure du parc national de la Pendjari, une réserve naturelle de 45.000 mammifères dont 800 éléphants, 450 lions, des phacochères, des babouins et des singes verts. « C’est conforme à la carte postale. Les gens vivent dans la brousse, dans des micro villages. Chaque tribu a ses scarifications et ses codes. Ils sont peut-être une centaine par village, toutes générations confondues. Ils boivent leur propre bière, font pousser leur tabac et leurs légumes. Il n’y a pas d’électricité, pas de bagnoles, pas d’argent… Ils passent toute leur vie dans les 20 kilomètres autour de chez eux. »
Guillot ne s’en prend pas moins une grosse claque dans la tronche, une leçon de vie et d’humilité. La joie, la générosité lui explosent au visage. « La première fois que j’y suis allé, je suis resté 20 jours. Je devais m’assurer du sérieux de tout ça. Je débarque. Je suis le Blanc. Les parents viennent voir si j’existe vraiment, sont épatés que je sache nager. C’est rough rough rough. Les Béninois que je connais ne sont jamais montés là-haut. Là bas, les gens n’ont rien (le salaire mensuel moyen au Bénin est d’une cinquantaine d’euros, NDLR). Tu verrais l’état de leur matos! Et pourtant, personne ne se plaint. Tout le monde a le sourire. Ça remet les idées en place. » Les filles aussi épatent Guillot. « Ce qu’elles proposent musicalement est singulier, inspiré, incarné, personnel, authentique. Elles sont vraiment irrésistibles et créent l’hystérie à chacun de leur passage. Tu ne peux pas imaginer meilleures ambassadrices. C’est une déclaration politique, là-bas, de faire jouer d’un instrument à des filles. Elles y sont considérées comme des êtres inférieurs, sont victimes de la déscolarisation, de mariages forcés, de grossesses précoces, d’excision, quand ce n’est pas de viols. André veut changer tout ça. »
Le combat sera long. Deux des musiciennes en herbe ont quitté le groupe après être tombées enceintes. « À treize ans, ça fait mauvais genre… Ce qui est dingue, c’est que le plus grand danger et péril pour ces filles, ce sont leurs proches, leurs familles. Il n’y a pas de boulot, pas d’argent. Alors pourquoi les scolariser? Leur sort est scellé à l’âge de cinq ou six ans. C’est compliqué à gérer. Mais elles trouvent du réconfort et se réalisent dans la musique. Elles n’ont quasiment aucun modèle féminin. Le destin est écrit de mère en fille. Couturière est l’un des seuls métiers dont elles peuvent rêver. Elles te font une robe en une heure avec un savoir-faire hallucinant. J’en ai ramené pour ma femme et ma fille dont je leur avais montré des photos. Quand elles les ont essayées, on aurait dit du sur-mesure. »
En attendant, si le premier album du Star Feminine Band a été enregistré par des Espagnols et sort sur un label parisien, c’est un vrai projet africain monté par des Africains. « Ce genre de disques, quand ils arrivent chez nous, sont souvent produits en Europe. Ici, c’est une initiative locale. Les morceaux et les textes sont d’André. Puis les filles amènent leur truc. Ce qu’elles proposent est assez rare. Chanter et danser oui, mais jouer d’un instrument… Tu as Les Amazones de Guinée, qui est une espèce de fanfare, et Les Filles de Illighadad, qui sont davantage dans le registre religieux. Mais ça ne court pas les rues… »
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Ce que veulent les filles…
Il est 20 heures. Avec une précision qui fait taire les stéréotypes sur le manque de ponctualité africain, André allume sa caméra. Il a rassemblé la petite troupe au grand complet. Il y a Anne la guitariste, Julienne la bassiste, Sandrine et Grace au clavier, puis les trois batteuses/percussionnistes Marguerite, Urrice et Angélique, la soeur de Grace, mue par la spontanéité de ses dix ans. « On veut parcourir le monde entier, montrer les valeurs de la femme aux quatre coins de la planète, s’emballent-elles sans qu’on sache trop qui s’exprime avec les aléas de la connexion internet et les sauts d’images. Ici, c’est compliqué. On a des enfants très tôt, des grossesses non désirées. On nous interdit certaines choses. Comme parfois de jouer d’un instrument. Dans nos familles, personne n’est musicien. »
Elles n’en sont que plus décidées à chanter leur culture, leur condition féminine et leur émancipation. André se charge de superviser les opérations… « On a un contrat et des règlements. On ne peut pas arriver en retard sous peine de sanction et on doit le respect à notre professeur. André crie parfois quand on fait des bêtises. Ça l’énerve un peu quand on ne va pas assez vite. Mais il est très gentil et, surtout, il nous soutient. » Les talentueuses Béninoises disent aimer Angélique Kidjo, Miriam Makeba, Alpha Blondy et Michael Jackson. Elles racontent qu’elles ont déjà fabriqué une guitare avec des caisses de bois, expliquent le bonheur que leur procure le tam-tam, et l’évolution des mentalités aussi. « Nos parents sont très fiers quand ils nous voient sur un podium. Les gens assistent à nos concerts, crient, sont en joie. Ils nous encouragent à continuer, à ne pas baisser les bras. »
Guillot a dû mettre les musiciennes en ordre administrativement parlant, ce qui n’a pas été une mince affaire: « Pour avoir un passeport, il faut une carte d’identité, un état civil et avoir été reconnu par ses parents… Comme on en n’avait qu’une vague idée, la date de naissance de cinq des sept filles a été fixée au premier janvier. Maintenant, elles ont leurs papiers, leurs vaccins, un compte en banque… » Décollage retardé. Si le Covid s’est mis en travers de leur route (elles devaient jouer aux Transmusicales de Rennes cet hiver, un tremplin pour le succès), le Star Feminine Band viendra porter la bonne parole en Europe dès que la situation sanitaire le permettra. Ça vous laisse le temps de vous préparer.
Born Bad Records. ****
Trois ans après l’extraordinaire collaboration entre Cheveu et Group Doueh, Born Bad se tourne à nouveau vers l’Afrique. Appels à la défense de sa culture (Timtitu) et à la scolarisation (Idesouse), chant d’émancipation (Rew Be Me) ou encore louange à Dieu (Montealla), les jeunes Béninoises de Star Feminine Band chantent en français, en waama, en ditamari, en bariba et en peul, désireuses de toucher le plus grand nombre. Dans leurs morceaux enthousiastes, conscients et revigorants, portés par leurs voix enfantines et leur vitalité adolescente, Marguerite, Angélique et les autres modernisent le folklore et jouent avec les traditions, highlife, rumba congolaise, énergie rock et chants à l’unisson. Un grand bol d’air frais et ensoleillé pour danser en changeant les mentalités.
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