HIP HOP | Fatigant, voire franchement boulet, quand il s’éloigne de la musique, Kanye West reste un formidable faiseur d’albums. Aussi névrosé soit-il…
Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, on ne peut retirer à Kanye West un certain sens du panache. La manière dont a été gérée la sortie de The Life of Pablo, son premier album depuis Yeezus (2013), en témoigne. Streamé en direct le jeudi (le show fashion au Madison Square Garden), annoncé pour le vendredi, The Life of Pablo fut reporté au samedi, pour être finalement disponible le dimanche… Un beau boxon donc. Mais aussi, paradoxalement, cette impression que la sortie d’un disque peut encore être un petit événement -merci, Kanye.
A l’heure d’écrire ces lignes, on ne peut s’empêcher toutefois de douter: a-t-on réellement entre les oreilles la version définitive de The Life of Pablo? Son auteur ne risque-t-il pas de refaire quelques ultimes arrangements? De retirer son album du Net pour modifier une nouvelle fois la liste des morceaux? Improbable? Pas si sûr. Le chaos semblant être d’ailleurs le principal carburant de The Life of Pablo.
Le 7e album de Yeezy ressemble en effet terriblement à la manière dont il a été accouché: erratique, difficile à suivre, multipliant les fausses pistes et les impasses. Mais également intrigant, déstabilisant, audacieux (culotté au point de zapper la collaboration avec le Beatle McCartney, FourFiveSeconds)…
Pour la pochette, West a fait appel au Belge Peter De Potter. Un artiste-designer adepte de collages, allant choper son matériel sur les pages du site de microblogging Tumblr. Plus que jamais, la musique de West épouse ce même sens de l’assemblage. Pratiqué sur son chef-d’oeuvre, My Beautiful Dark Twisted Fantasy, le résultat tenait du génial millefeuille. Avec The Life of Pablo, le geste est nettement plus déséquilibré, impulsif, névrosé. Divisé en deux parties, un morceau comme Father Stretch My Hands, par exemple, démarre par un sample soul comme West le pratiquait sur ses premiers albums, vire de bord avec le rappeur Desiigner en mode trap, et se conclut par un a cappella autotuné.
Quand c’est réussi, et c’est le cas la plupart du temps, l’exercice donne cependant des classiques instantanés: le gospel décharné d’Ultralight Beam (« Pray for Paris, pray for the parents »), où West laisse le rôle principal à Chance The Rapper; la ballade lunaire de Real Friends; la rumination épique de No More Party in LA… Contrairement à ses derniers essais monomaniaques, West ne se décide ici jamais: The Life of Pablo pratique à la fois l’agression de Yeezus (Freestyle 4, Feedback) et la désolation de 808s & Heartbreak (FML, Wolves); sample aussi bien des groupe de rock progressif italien seventies que des héros new wave anglais…
Paradoxe permanent, West peut lâcher à la fois la pire des beauferies, et la confession la plus désarmante. Il est cette grande gueule capable de s’effacer complètement d’un morceau (Low Lights), mais aussi de se lancer dans un a cappella intitulé I Love Kanye. Si l’on a bien compté, la star y répète son prénom pas moins de 25 fois en moins de 45 secondes. C’est évidemment une blague. Mais tout de même: quand votre amoureu(se) vous balancera comme lui, « I love you like Kanye loves Kanye », vous pourrez être certain de sa plus entière dévotion…
DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. Disponible en streaming sur Tidal.
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