Idles passe en force

Idles, dites-le avec des fleurs... © NWAKA OKPAREKE
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Joe Talbot raconte le nouvel album d’Idles (son meilleur), évoque son talk-show web, revient sur son passé troublé et rend hommage à Daniel Johnston.

Idles est originaire de Bristol mais Joe Talbot est, au moment de cet entretien, à Cardiff dans son Pays de Galles natal. Il a passé le confinement chez son père et la veille, il a vu son pote Damien Sayell, qui participe aux concerts de reformation de Mclusky. On n’aura pas traîné à discuter des gloires nationales. « Ma mère était originaire d’ici, raconte Talbot. C’est un beau pays. Les gens sont super même si on y croise des cons comme partout. Plein de chouettes artistes viennent du coin. Cate Le Bon, H. Hawkline… Mais la scène musicale semble morte. Faut dire que le nombre réduit de salles à Cardiff laisse peu d’opportunités aux jeunes groupes de s’exprimer. »

Talbot a grandi à Exeter, la ville où sont nés Beth Gibbons, James Holden et Chris Martin. Il y a rencontré Adam Devonshire avec qui il a commencé l’université à Bristol, avant de jouer les DJ’s et de créer l’un des groupes de rock les plus décapants et virulents du moment. Idles aboie mais ne mord pas. À tout le moins pas les braves gens. « J’étais une sale merde en grandissant. Vraiment. J’étais un mec horrible. Fallait pas traîner avec moi, avoue Talbot. J’étais un type drogué, agressif, violent et vindicatif. La plupart du temps, j’étais adorable mais dès que je switchais, je devenais horrible. Je n’ai laissé cette personne derrière moi qu’il y a un an ou deux. Ça a été lent et long. C’est arrivé aux États-Unis quand je suis devenu sobre et quand j’ai réalisé qu’il y avait encore une part de moi qui blâmait l’alcool pour ce que je faisais. J’ai eu besoin d’être clean pendant quelques mois pour pouvoir comprendre ma place dans le monde. L’abstinence, ce n’est pas facile quand on est en tournée mais c’est un problème de privilégié. »

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La franchise de Talbot peut surprendre. C’est une de ses grandes caractéristiques. Une marque de fabrique. Il n’y en a pas beaucoup dans le rock pour chanter qu’ils mettent les homophobes dans des cercueils (Colossus), qu’ils sont des vrais mecs et qu’ils pleurent (Samaritans), ou qu’ils ont des chaussures de bébé à vendre jamais utilisées (June)… Les deux premiers albums d’Idles avaient été marqués par le décès de sa mère (elle est en photo sur la pochette de Brutalism) et la disparition de sa fille mort-née (au coeur de Joy as an Act of Resistance). Ils parlaient de deuil, de masculinité toxique, de Brexit, d’immigration, de vulnérabilité… Ultra Mono, le nouvel opus, parle avant tout de s’accepter soi-même. « J’ai trouvé intéressant de me concentrer sur l’idée d’être présent, en pleine conscience dans sa forme la plus vraie. Éradiquer toute préoccupation du passé et du futur pour être aussi disponible au présent que possible. C’est de là qu’est venue l’idée d’Ultra Mono . Être autant soi qu’on le peut dans l’instant, s’accepter entièrement et avancer. On a écrit la musique autour de ce concept d’acceptance de soi momentanée. On s’est demandé comment faire sonner la conscience et la connaissance de soi, le développement existentiel. Ta personne, ta philosophie, ton existence en une seule entité. Chaque personne est un monolithe mais aussi une petite graine dans un ensemble beaucoup plus grand qu’elle. L’acceptation de l’insignifiance comme quelque chose de très significatif. »

Communauté

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le message et l’énergie d’Idles ont trouvé un public. Leurs morceaux sont écoutés des millions de fois sur Spotify. Ils ont rempli l’Alexandra Palace (9.000 personnes) à Londres l’an dernier. Ils sont même à l’origine d’une communauté aux vertus réparatrices. Petit groupe Facebook lancé par une photographe qui les suivait en tournée et voulait mettre en contact les fans, l’AF Gang est devenu un lieu de conversation libre de tout jugement où chacun parle ouvertement de ses problèmes. Un espace de soutien pour des milliers de gens. Aux dernières nouvelles, la Idles Community comptait plus de 30.000 membres. « Le gang, c’est notre public. On a construit tout ça avec lui. C’est un incroyable privilège. Je n’ai rien organisé du tout. Ce sont juste les gens. On est musiciens. On fabrique la musique. Et la plateforme leur permet de se sentir eux-mêmes. Ce n’est pas compliqué mais c’est vrai que peu de groupes, même quand ils en semblent convaincus, entretiennent ce genre de proximité avec leurs fans. Le problème, c’est que construire une relation, c’est être vulnérable. Tu offres ta vulnérabilité aux autres. Ils se sentent à l’aise d’être vulnérables eux aussi. Tu construis de la confiance et ça devient un lien indestructible. Ça a été facile pour nous. On a juste eu à être nous-mêmes. Ouverts. Compatissants. Ce qui est un voyage bénéfique. Même s’il est long. »

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La musique a aidé Talbot. Elle a même sauvé sa vie. « En faire mais aussi parler avec un public qui aime et accepte a changé mon existence pour toujours. Ça m’a donné la confiance nécessaire pour progresser. Être gentil avec moi. À l’écoute. À m’aimer, en fait. Idles et nos disques ont été une thérapie pour sauver ma propre vie. Je dois être aussi transparent que possible. J’y travaille encore. » Si toute la musique qu’il aime fait de lui ce qu’il est aujourd’hui, elle n’est pas vraiment liée à sa vision politique et sociale. « Grâce à la musique, j’ai senti que j’étais un être humain, que j’appartenais au monde. Mais politiquement et socialement, j’ai davantage été nourri par mon existence, mes parents, mes études à l’université. Des philosophes, des sociologues, des politiciens. »

L’an dernier, le chanteur de Sleaford Mods reprochait à Idles de s’approprier la voix de la classe ouvrière alors que ses membres n’en sont pas issus. « Mon père vient de la working class. C’est un artiste sculpteur. Il l’a toujours été. Ma maman était secrétaire et a travaillé dans un supermarché durant les dix ou quinze dernières années de sa vie. Mes parents étaient engagés politiquement. Mon père était de gauche, socialiste. Ma mère, je dirais centriste. Elle est morte quand j’avais 30 ans mais elle avait subi une grave attaque quand je n’en avais que seize. On n’a pas énormément parlé de ce genre de choses. »

Faut-il venir du milieu ouvrier pour chanter sur l’austérité? Talbot se souvient des manifs et des grèves auxquelles il a participé avec son paternel.  » Nombre de mes héros sont middle class. Politiquement actifs. Je pense, notamment, à Frida Kahlo, qui ne vient pas d’une famille pauvre, ou encore à Tony Benn. Si tu permets à ta classe de te définir, tu t’enlèves le pouvoir de redéfinir la société. Quand tu es privilégié, il est important d’utiliser ces privilèges pour les autres. Je crois en un futur égalitaire. Un futur où chacun a les mêmes opportunités d’exceller, de réussir ou de se planter. »

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Jehnny Beth, Warren Ellis et Kenny Beats

Idles a embauché quelques invités de renom pour l’aider à mettre en boîte Ultra Mono. Le producteur de hip-hop Kenny Beats (Vince Staples, Denzel Curry, Gucci Mane…) n’était pas le plus évident à deviner. « On n’avait jamais par le passé utilisé la pratique du hip-hop, de la techno, de la jungle, même de la pop de Billie Eilish ou Taylor Swift, pour retourner une chambre ou une voiture. On un impact live mais sur disque, c’est autre chose. On voulait utiliser la culture du sub pour créer un impact sur notre disque. Frapper à la gorge. Le hip-hop a tout représenté pour moi de mes dix ans à mes 20 ans. Je suis né en 1984. Mes MC’s préférés? Biggie Smalls, Busta Rhymes. Des trucs français aussi: NTM, Saïan Supa Crew. Puis The Roots, Pharoahe Monch, NAS… Le hip-hop anglais: Roots Manuva, Mud Family. La liste est sans fin. »

Idles a conjugué les talents de Kenny Beats à ceux de Nick Launay, producteur à qui l’on doit parmi tant d’autres choses le To Hell with Poverty! de Gang of Four et la violence de Grinderman… Warren Ellis (Grinderman, Dirty Three, Bad Seeds) est aussi de la partie. Comme David Yow de The Jesus Lizard. « Notre bassiste ne peut pas bien chanter pour le moment et on voulait que les backing vocals aient de la puissance. Sa voix est exactement ce dont on avait besoin. Brillant, violent. »

Talbot ne sait pas ce qu’il trouvait dans le rap et qui ne résonnait pas en lui dans le rock. « Dans le hip-hop, il y avait de la vie. Les gosses des ghettos, la violence armée, la drogue… La manière qu’ils avaient de raconter ces histoires était pleine de vie. J’ai trouvé ça beau et fascinant. Puis la musique était infectieuse et la culture derrière vibrait. Je n’écoutais pas de musique à guitares. Pas avant les Strokes en tout cas. »

Les Strokes. Is This It? Grand album, petits concerts. « On a justement démarré avec Idles parce qu’on ne voyait plus de groupes qui avaient l’air d’aimer ce qu’ils faisaient. Il n’y avait aucune vie sur scène. Les musiciens semblaient s’emmerder. Ils étaient beaux mais avaient l’air de se faire chier. Ils ne jouaient jamais comme si c’était le dernier jour de la planète alors qu’on s’arrachait, nous, chaque soir comme si c’était la dernière fois. »

Sur Ultra Mono, Idles a aussi invité Jamie Cullum et Jehnny Beth, la chanteuse de Savages, qui hurle le refrain de Ne touche pas moi. Joe lui a parlé du morceau alors qu’il participait à Echoes, l’émission musicale qu’elle présente sur Arte. « Elle a rigolé parce que notre français est de toute évidence dégueulasse et je lui ai proposé de corriger. Elle m’a convaincu de ne rien changer. C’est plus honnête et transparent et c’est ce dont l’album parle. Je voulais une perspective féminine sur cette chanson. Elle parle d’espace vital et de respect du corps de l’autre. Ça faisait vraiment sens. »

True love will find you…

Un peu comme sa pote française, Talbot a lancé pendant le confinement Balley TV, son émission de (web) télévision. Un talk-show à distance dans lequel il a commencé par inviter Mike Skinner (The Streets) et une Pussy Riot… « Ça faisait un bout de temps que j’y pensais. Ce que je cherche, c’est juste une conversation ouverte. Que les gens se permettent de discuter. Pas d’agenda. Juste des centres d’intérêt. Des discussions humaines et non journalistiques. Beaucoup de gens sont obsédés par des célébrités mortes de l’intérieur. La célébrité et la renommée tuent la pensée. Elles représentent l’avidité. La volonté d’opulence sans foutre quoi que ce soit de productif. C’est parfait pour la classe dirigeante. Parce que les masses veulent des vies de riches. Elles veulent posséder et donc elles travaillent dur pour une vie de merde. Ça entretient le cycle d’un capitalisme irréfléchi et sans esprit. »

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Talbot explique la confiance insufflée par la naissance de sa fille il y a quelques mois et détaille sa volonté de rendre les gens moins seuls et de leur procurer un sentiment de sécurité dans un monde qui marche sur la tête. Il épingle aussi le chaos du Covid. « Le gouvernement britannique a pris des décisions complètement dingues. Il s’est montré très lent. Il a blâmé les gens plutôt que de prendre ses responsabilités. » Il cite Mark E. Smith et Andy Warhol quand il parle de l’importance de la répétition dans l’art et le mantra de son disque: I Am I Unify… Et quand on le questionne sur War, qui parle de guerre mais aussi de bataille intérieure (« cet album est né d’un conflit avec moi-même« ), il aborde A Change is Gonna Come de Sam Cooke. « Je réfléchis à ce que je déteste, à ce qui me dégoûte. Je n’ignore pas ces choses. Je ne me cache pas les yeux devant la souffrance et la douleur. Il faut les comprendre pour combattre. Mais j’utilise l’amour, l’empathie et l’espoir comme fuel pour lutter. »

L’album se termine sur Danke et des paroles de Daniel Johnston. True Love Will Find You in the End… « Ça devait être un morceau instrumental mais Daniel Johnston est mort le jour où on a enregistré cette chanson. On a donc décidé d’incorporer ses paroles. Johnston est l’un des artistes les plus beaux, naïfs et vulnérables de tous les temps. Il a eu une grosse influence sur moi en tant que personne. Avant que je sois musicien à plein temps, j’étais accompagnateur pour adultes avec difficultés d’apprentissage. Ce fut une expérience tout simplement incroyable. Ils ont une sincérité qui ne vient qu’avec la maladie mentale. Un sens de la pureté, de la vulnérabilité que Daniel Johnston a mis sur disques. » Idles planche déjà sur son suivant.  » Que peut-on faire d’autre pour l’instant? »

Le 12/06/2021 à l’AB.

Idles passe en force

Idles – « Ultra Mono »

Distribué par Partisan/Pias. ****(*)

Ce qui frappe le plus avec Idles, c’est le contraste entre le fond et la forme. Le décalage entre ses textes célébrant l’empathie, la tolérance, la vulnérabilité et la violence brute, crue, viscérale avec laquelle il fait passer le message. Déterminé, inébranlable, Ultra Mono est une collection de chansons béliers, de refrains hurlés et de mandales à ne jamais s’en relever. Un disque qui claque, balaie tout sur son passage et a des faux airs de Mark Lanegan quand il s’apaise (Hymns). Le punk aura toujours un futur. Idles le conjugue au présent.

Dixit Nicolas Michaux

Idles passe en force

« Idles, j’ai commencé à écouter, j’ai vu passer des trucs. Il y a un côté assez violent, en colère, qui peut me plaire. J’ai toujours bien aimé quand ça bagarre. Après, même si je pense peu en termes de style, je constate qu’on parle d’un genre, le rock, qui n’est plus à son apogée. Il suffit d’aller au festival de Dour pour se rendre compte à quel point il fait désormais un peu partie de la marge. On est devenu des artisans, spécialisés dans un domaine où tout a déjà été fait. Personnellement, j’ai l’impression de faire de l’indie rock, un peu comme Mac DeMarco, de manière très ouverte, avec de la pop dedans. Quand il est arrivé, on a pu le prendre pour un guignol. Mais il a fait beaucoup de bien, en remettant en avant l’idée qu’il faut d’abord se faire plaisir et que le reste suivra. Des disques comme Salad Days ont amené un vrai vent de fraîcheur. Et puis, il y a aussi tout ce que des labels comme Bongo Joe ou Awesome Tapes From Africa amènent, en allant dénicher des vieux albums de funk ghanéen, de rock péruvien, etc. Il y a un vrai brassage culturel. En fait, la musique d’aujourd’hui devrait ressembler à nos villes, et à ce que ça peut donner comme société. Personnellement, je ne voudrais pas faire du rock stricto sensu. Ce sera toujours un mélange. »

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