Daniel Hélin, l’homme des bois

"Sur mon album Pingouin, il y a des moments quasi-dance avec une basse presque funky." © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Désormais luthier et végétalien, Daniel Hélin ajoute de « bons bois belges » pour guitaresà son quotidien en roulotte campagnarde. Avec l’album Pingouin, il décrasse sa chanson dans des volutes sonores plus contemporaines.

« Je ne mets pas mon zizi dans des loutres »

« J’m’en fibrome la prostate/J’m’en éclate les organes/J’m’en dégriffe le pylore/J’m’en laboure les osselets/J’m’en tape le métacarpe/J’m’en tamponne le sanguin/J’m’en flashball sur la raie/J’m’en bagouze l’aréole/J’m’en ficelle le glandu/J’m’en bagouine les gonades. » Dans La Laideur, neuvième des douze titres de Pingouin, Daniel Hélin (1971) n’a perdu ni sa maniaquerie des inventaires, ni son bestiaire sémantique de féru de Ferré. Mais l’obsédé textuel d’Ottignies signe aujourd’hui en trio avec Gil Mortio et Louis Evrard, un sixième album qui prend l’air, pompe de l’oxygène plutôt que de l’oxymore, arc-bouté sur des couches fluviales de sons ordonnés par Mortio. Ce jeune producteur-arrangeur bruxellois, déjà responsable de la renaissance discographique de Claude Semal, est donc un multi-instrumentiste doué et « un nounours plutôt beau gosse« , dixit Hélin.

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Tant qu’à rester chez les oiseaux et les mammifères, Pingouin a du chien, ce qui confirme la proximité des espèces animales. Il y a environ quatre ans, Daniel, devient végétalien après une vie faite de multiples steaks à la crème champignon, de bolos et carbonaras calorifiques. « C’était une question de santé, y compris mentale. À la base, j’avais quand même un problème de boulimie, j’étais le genre de gars qui finissait les bouts de gras dans ton assiette… Et puis, après avoir étudié la question pendant une année, je me suis rendu compte qu’une alimentation végétalienne, qui fait du bien à mon corps, était beaucoup moins austère que je ne le pensais. »

Dans sa roulotte quelque part en province de Liège, ce mardi de janvier est intégralement belge: la pluie rend spongieuse l’herbe qui entoure la roulotte que Daniel occupe depuis 25 ans. On peut néanmoins pisser dans le vent froid, sans incommoder les voisins. C’est sa cinquième location, « la plus chouette« , dans cette authentique caravane de forains des années 40/50. Où la tourte patiente au four. Pas d’eau courante ni de toilettes -si, sèches à l’extérieur- mais du gaz en bonbonne, qui là, sert à intégrer du faux fromage et du lait de coco dans une composition hélinienne où ont échoué différents légumes, rassemblés contre leur gré. Mais goûteux, il est vrai. La bouteille de blanc apportée en guise de salut n’intéresse pas Daniel: il ne boit pas d’alcool. Ce qui l’amène à un souvenir, dans le sillage indirect de Végétivole, nouvelle chanson du dernier disque: « Je ne suis pas du tout un militant végétalistique, je ne suis pas du tout dogmatique parce que je sais qu’à la base, l’être humain est omnivore. Donc, il n’y a rien de mystique: je ne donne pas de bisous aux arbres, si mais en cachette ah ah. Mais je ne mets pas mon zizi dans des loutres (il se marre). Les gens se font une image idéalisée de mes radicalités: un jour, après un concert, je me suis fait hurler dessus par une femme parce que je buvais un… Coca-Cola. Comme je ne sais pas me défendre, j’ai bredouillé que je n’en buvais que deux-trois par an (rires). »

Et puis quand il décide d’attaquer, cela ne se passe pas forcément bien. Ainsi, lorsque le (bon) label français Tôt ou Tard sort son second album, Les Bulles, en 2001, l’idée est d’accompagner le disque six semaines sur une scène parisienne. Tôt ou Tard ne fait pas d’efforts surhumains de promo, les concerts programmés ne se remplissent pas, et cela finit par un désaccord majeur avec la compagnie de Vincent Delerm, Thomas Fersen et Dick Annegarn. « Ils avaient renâclé à me signer et là, ils semblaient ne pas vouloir me laisser partir. Pour n’être pas prisonnier pendant cinq ans et recevoir l’argent des 1.200 albums vendus, j’ai donc fait appel à une avocate bruxelloise qui leur a envoyé une lettre plutôt sèche. J’ai touché 6.000 euros -dont 3.000 ont servi à payer l’avocate- mais par contre, plutôt que de me revendre à prix coûtant les 8.800 disques non vendus, ils les ont mis au pilon. »

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« Cancer, donc crabe, je suis supposé me déplacer latéralement »

Les 8,5 mètres sur 2,5 de la roulotte constituent donc le périmètre habitable de ce fils de comptable -mort à 92 ans il y a peu-, volume restreint qu’il ne regrette pas. Alors oui, Daniel Hélin a vécu dans des appartements, notamment lors d’un mariage éclair du côté de Liège vers 2003. Après quatre ans de fiançailles aussi officieuses que fructueuses, le plan marital dure six mois. « Ce qui m’a permis de vérifier l’adage « L’amour rend aveugle et le mariage rend la vue » ». Le rapport? Celui au temps et au déplacement: « Dans cette roulotte, il n’y a qu’une trajectoire possible, en longueur. Mais je suis cancer, donc crabe, supposé marcher latéralement. Ça ne fait pas loin de 25 ans que je fais de la chanson, et là je me retrouve au seuil de pauvreté avec mes 1.000 balles mensuels, parce que j’ai le statut d’artiste. Donc la roulotte est un choix, celui de ne pas être dans la rue. » Là, en ce mois de janvier 2021, c’est plus facile à dire qu’à vivre, même si Daniel dégage volontiers en touche sur le matérialisme, genre « je suis un bourgeois et là, j’ai une habitation quatre façades avec jardin« .

Dans la sphère d’une vingtaine de mètres carrés, installée dans une prairie en bord de rue wallonne, chauffée par un poêle à bois, Hélin a installé son microcosme intégral. Lit et cuisine de survie, bacs à légumes bios, bibliothèques multiples, casseroles qui recueillent la pluie d’un toit qui fuit. Mais aussi abri de son actuel dada: un plan de lutherie pour bricoler des instrus. Cette passion résulte de la rencontre avec un pro de la fabrication de guitares et plus, François Massau, auquel Daniel rend visite une à deux fois par semaine, jusqu’à l’atelier installé dans un bled du Brabant wallon. Cela fait deux ans que cela dure et Daniel exhibe ses réalisations concrètes: une guitare électrique et puis une autre qu’il joue à l’archet, façon viole de gambe. Sans gloriole affirmée: « En fait, la lutherie, que je mène en amateur, consiste parfois aussi à travailler un petit bout de bois pendant une journée. Tu penses d’abord que ça n’a pas grand sens, mais il existe une sorte de « cérémonie » de l’accomplissement où tu nettoies aussi intégralement l’atelier en fin de journée, où tu remets tous les outils en place. Loin des orgasmes réels de chanteur en scène, face aux gens. »

« Je peux être relooké, perdre 20 kilos et devenir blonde, pas de problème, du moment qu’on ne touche pas à mes textes! »© Philippe Cornet

« J’avais l’impression d’être une voiture télécommandée contre un mur »

Bon, ce qui rend Hélin intéressant/sympa/challenging, et même important sur l’actuelle scène belge et celle de la chanson transformiste, c’est sa nature bifide. Au moins. Le mec qui doute et qui essaie, le talentueux textuel qui se rêve en poète majeur, le monomaniaque qui s’ouvre au monde, le tout dans un micro-business francophone. Si l’on reprend la chronologie, lorsque sort l’avant-dernier album de Daniel, en 2013, Le Crépuscule des idiots, cela se passe mal. Le quadra se tape un burn out majeur: « J’avais l’impression d’être une voiture télécommandée contre un mur: on peut continuer à la pousser mais bon… Je suis même allé voir « un docteur des fous ». » Les circonstances financière aggravent les perspectives: Daniel Hélin s’autoproduit à Avignon 2014 lors de 23 soirées en off, payant tout, et se trouve « devant une propriétaire de théâtre immonde qui ne m’a même pas défrayé, me programmant au-delà de 23 heures plutôt qu’à 22 heures, comme convenu. Je me suis posé la question de l’imposteur, me demandant en quoi j’étais légitime« .

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De toute évidence, le nounours-luthier-chanteur-végétalien 2021 qui réussit si bien les tourtes est légitime. Son album disponible depuis octobre 2020, Pingouin, est bien plus touchant, cultivé et malin que la majorité de la production francophone de 2020. Question de talent et de sens ludique des mots. Par exemple: « L’hiver est une passion/Pleine de nuages cochés/Des lacs à l’horizon/Que je voudrais toucher/Je ne brûle pas mes jours/Ils tombent tout seuls en cendres/J’aime leur petit bruit sourd/Dans les cris de mon ventre« . La chanson s’appelle Le Ventre et indique directement le meilleur moyen de sentir le Daniel: « Quelque part, je suis un « bon personnage », donc on m’invite à la RTBF plutôt que d’y programmer mes musiques. Mais mon ouvrage, ce sont les textes qui parlent du monde et sur lesquels je m’acharne comme un obsédé. Ma réussite éventuelle est de créer mon monde, de laisser cours à mon autisme. Je suis un radical total pour moi-même, mais je ne dis pas aux gens ce qu’ils doivent faire. Je propose. Des bulles imaginaires qui sont des chansons, toujours ancrées dans le concret, le politique, ici et maintenant. C’est pour ça que je n’arrive pas à être pur militant, parce que je suis ouvert! » Donc, on part de la gadoue en province liégeoise, avec le sentiment que la réussite d’Hélin consiste d’abord à poursuivre et tacler la langue française. Oh oui, à hauteur de Philippe Katerine, Bertrand Belin ou… Ferré, là où les frontières de l’imagination s’effacent devant tout le reste. Notamment la musique, la sienne n’ayant jamais été aussi bien ciselée. Autant prête à se jouer en scène, encore en 2021, on l’espère vivement.

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Daniel Hélin / Gil Mortio / Louis Evrard – « Pingouin »

Chanson. Disponible via danielhelin.bandcamp.com ****

Cela commence par un country hawaïen débonnaire dans ses simples mots (Les Lunettes) et cela se termine par une pièce de résistance axée sur le vibrato du chant, cri primal digérant nos (dés)illusions (Le Ventre). Entre les deux, dix titres aux textes toujours explorateurs. Comme une écriture automatique à vitesse variable, d’une étourdissante logorrhée (Terril), parfois convoquée dans l’humour faussement désuet: « J’suis un hareng/Et je marine/C’t’un peu navrant/Ma p’tite piscine » (Rollmops). Si Hélin réussit aussi bien son sixième album, c’est aussi par le travail de ses deux comparses multi-instrumentistes, Louis Evrard et Gil Mortio. Ce dernier, qui compose les musiques, mixe et produit l’ensemble, trouve la voie exacte pour ces morceaux, ballades ou pas, garnis de choeurs de première fraîcheur mais aussi d’une panoplie d’instrus, dont des « synthés goûtus« . De quoi nourrir le carburant textuel du chanteur, sans graisse inutile ou même biopop feignasse.

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