Il était une fois Child of Light

Child of Light © Ubisoft
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Formidable aquarelle vivante, Child of Light marie l’impossible en rapprochant art de la rime et gaming. Un conte de fées gorgé de névroses modernes qui mélange avec talent jeu de rôle et platformer.

Jeffrey Yohalem évoquait les affres de la génération Y sur Far Cry 3. Cette démarche glissée comme un cheval de Troie dans un blockbuster de survie en milieu tropical a valu à cet auteur et à Patrick Plourde un BAFTA l’année dernière. Le scénariste et le directeur créatif qui ont dépoussiéré les first person shooters cultivent une fois de plus l’art du travestissement sur Child of Light. Un J-RPG (1) novateur au regard contemporain et acerbe se cache en effet derrière ce conte pour enfants en trompe-l’oeil. Pour marquer sa différence avec des triples A (2) de consommation courante, l’aventure tapissée d’aquarelles animées aussi talentueuses que celles d’Ernest & Célestine articule même tous ses dialogues en rimes.

« J’ai grandi en lisant des poètes américains du XXe siècle. Elizabeth Bishop et Wallace Stevens sont mes auteurs favoris. Glisser du rythme et de la rime dans les dialogues d’un jeu vidéo commercial était jubilatoire, d’autant que la poésie est inexistante dans l’industrie du cinéma hollywoodien », sourit Jeffrey Yohalem. « Le succès de Doom a tué la créativité artistique des années 80 et les éditeurs ont commencé à investir dans des blockbusters sans fond. Le courant s’inverse doucement aujourd’hui. Mais je reste frustré de voir que la société considère les jeux vidéo comme des activités pour enfants ou des passe-temps violents, sans valeur culturelle. »

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Contaminant les dialogues mais aussi des textes anecdotiques trouvés en cours de quête, cette démarche poétique aux airs de comptine guimauve ne cache pas moins une réalité cynique. La destinée d’Aurora, héroïne essayant de retrouver son père et de sauver le monde parallèle de Lemuria, croisera en effet la route de personnages aux névroses contemporaines. La ville des Bolmus abrite ainsi des souris aveuglées par le libre-échange, des protagonistes qui confondent pouvoir, amour et argent. Sans cliché. Accompagnée d’Ignoculus, un feu follet bleu parfois sarcastique et jaloux, Aurora vivra aussi des rencontres et des ruptures douloureuses.

« Mon écriture a été guidée par une question: savoir si la vie était meilleure lorsqu’on est seul ou avec les autres. Cela m’obsède d’autant qu’en Amérique du nord, l’individualisme domine », poursuit Yohalem. « Au bureau, tout le monde a peur de perdre son boulot, de ne pas être assez jeune et de ne pas pouvoir vivre de sa passion. J’ai donc naturellement tendance à oublier que les relations avec autrui sont importantes. »

Light My Fire

Développé par une équipe de 35 personnes -dix fois plus petite que sur Far Cry 3-, Child of Light puise pourtant sa force motrice dans le duo formé par Yohalem et Plourde. Les prémices du projet entamé en mode furtif ont ainsi donné lieu chez Ubi Montréal à « des scènes à la Charlie Chaplin où l’on devait changer plusieurs fois de salles sur une même réunion pour ne pas se faire repérer. Lorsque nous avons finalement présenté Child of Light à Ubi, le BAFTA que nous avons eu pour Far Cry 3 a aidé. Car ce jeu reste une entreprise risquée. »

Jeffrey Yohalem a donc conscience qu’au-delà de son propos funambule, Child of Light s’articule en outre autour d’un gameplay de niche entre jeu de rôle, puzzle game et platformer. Les références du jeu tissées entre la série des Paper Mario et Grandia II risquent d’égarer plus d’un gamer de moins de 30 ans. Ce dernier titre influence ainsi la notion de timing, essentielle à la victoire de ses joutes au tour par tour.

Le jeu dessiné par Vivian Rocray et inspiré des oeuvres de John Bauer et William Blake puise d’ailleurs dans les classiques des J-RPG. Final Fantasy VII est par exemple invoqué lors de la customisation d’une épée ou d’un bouclier à sertir de diverses pierres magiques dopant leur pouvoir offensif face à certaines classes d’ennemis. Le clin d’oeil est parfaitement assumé: Yohalem et Plourde ont demandé à Yoshitaka Amano, le célèbre illustrateur des Final Fantasy de leur livrer un concept art (voir photo) hommage.

Yoshitaka Amano
Yoshitaka Amano© DR

Un certain classicisme ludique se dégage de Child of Light mais, à bien des égards, de nouvelles idées en émanent. Sidekick non conventionnel que le joueur déplace tout comme Aurora dans les airs, lors de phases d’exploration, Ignoculus se pose ainsi sur des ennemis pour les paralyser et éviter l’affrontement. Mieux, l’entité impalpable retient également des pièges pour parfois résoudre des petites énigmes évoquant Limbo, conte lugubre et platformer qui a marqué la scène indé ces dernières années.

« Je me sens plus proche des frères Grimm que de Disney », conclut Yohalem. « Je déteste ces contes de fées trop lisses. Nous voulions quelque chose de moderne, éviter à tout prix une fille qui attendrait son prince. Il n’y a pas d’histoire d’amour dans Child of Light et j’en suis fier. »Ni No Kuni de Ghibli/Level-5 et la saga des Kingdom Hearts puisent directement leur inspiration dans des contes classiques sans dépasser du cadre. L’oeuvre ludique des Gantois de Tale of Tales relève de la même démarche féérique en privilégiant toutefois le message au détriment du gameplay. Gorgé de joutes longues et finaudes, Child of Light synthétise ces deux extrêmes. Et hisse le débat gaming à un niveau insoupçonné.

(1) Jeu de rôle « à la japonaise ».

(2) Jeu au budget élevé compris entre 16 et 24 millions d’euros.

  • Child of Light. Édité par Ubisoft et développé par Ubisoft Montréal, âge 12+, disponible sur Wii U, PlayStation 3, PlayStation 4 (version chroniquée), Xbox 360 et Xbox One. ****

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