Ni No Kuni: le jeu vidéo made in Ghibli
L’essence du studio Ghibli et de Miyazaki imbibe Ni No Kuni: La vengeance de la sorcière céleste. Avec ce jeu de rôle merveilleux, les créateurs du Professeur Layton signent une production originale rare, talentueuse et réconfortante.
NI NO KUNI: LA VENGEANCE DE LA SORCIÈRE CÉLESTE (****), ÉDITÉ PAR NAMCO BANDAI GAMES ET DÉVELOPPÉ PAR LEVEL-5.
Tous les Japonais ne sont pas forcément des obsédés du joystick. Vénéré par de nombreux geeks fans de japanimation, Hayao Miyazaki compte même parmi les allergiques au medium ludique. Le cofondateur iconique des studios Ghibli voue donc un dégoût viscéral à l’iPad. Jusqu’à comparer sa gestuelle tactile à un acte… masturbatoire. Le père de Princesse Mononoké a pourtant fini par approuver -sans y prendre part- la production de Ni No Kuni: La vengeance de la sorcière céleste. Le tout grâce à Toshio Suzuki. Le producteur star de Ghibli (Porco Rosso, Ponyo…) a en effet joué les entremetteurs entre son studio et Akihiro Hino, son ami. Mais aussi le patron de Level-5.
Lancé modestement sur DS il y a deux ans, le projet initialement confiné au Japon n’aurait sans doute pas vu le jour sans les Professeur Layton de Level-5. Récemment adaptés au cinéma, ces jeux truffés d’énigmes déroulaient en effet un univers british et poli. Une esthétique pastel, épurée et douce. Des héros au coeur pur apparentés à ceux de Miyazaki. Plus qu’une évidence, la collaboration née sur Ni No Kuni: La vengeance de la sorcière céleste est surtout un événement rare (1) dans le jeu vidéo. Plutôt que d’adapter un Totoro ou un Nausicaa derrière les manettes, Level-5 et Ghibli misent en effet sur l’intelligence d’une oeuvre originale.
Et si certains clichés entourant le Japon ont la vie dure sous nos tropiques, l’inverse est également vrai. Motorville, la bourgade américaine des années 50 dans laquelle on plonge en début de partie en témoigne. Malgré une entrée en matière marquée par sa responsabilité dans la mort accidentelle de sa mère, le jeune Oliver incarné par le joueur évolue ainsi dans un rêve propret. Une sorte de Pleasantville aux sourires un peu trop Colgate que le kid de neuf ans fuira pour un monde fantastique littéralement parallèle, car lié au sien.
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Au-delà de ce tour de passe-passe amenant des interactions parfois psychanalytiques entre plusieurs doubles, le jeu de rôle entretient des liens étroits avec la filmographie de Ghibli. Parents absents, naturalisme exacerbé et autres antagonistes hors norme rappellent ainsi à chaque coin de pixel les origines de ce RPG également inspiré de Dragon Quest et Pokémon. Le travail graphique en 3D et en cell shading talentueux atteint d’ailleurs un niveau inespéré. Les textures et la colorisation des phases de jeu en trois dimensions du titre se confondent ainsi presque avec les cinématiques classiques de l’illustre studio d’animation. Le tout pour des transitions particulièrement naturelles et presque imperceptibles entre les cut scenes et les phases de gameplay en 3D.
Un brin bonimenteur, Level-5 n’étale toutefois pas outre mesure ces scènes made in Ghibli au fil du jeu. Sur la première dizaine d’heures ouvrant les hostilités, ce remarquable travail d’animation ne s’entasse ainsi qu’en début de partie. Malgré ce piège à fans, on plonge avec bonheur dans le monde de Ni No Kuni. Comme avec Layton, Level-5 parvient à être naïf sans tomber dans la niaiserie. Les commentaires de Lumi, homme-fée (sic) accompagnant Oliver dans son sauvetage du monde (et de sa mère) font ainsi preuve, parfois, d’une cruauté tranchante.
L’éducation sentimentale
La copie assez scolaire des codes de nombreux RPG nippons ronronne ici comme un argument old school rassurant. Des déplacements sur la carte à la nomenclature de l’inventaire (potion de vie, de magie, etc.), Ni No Kuni: La vengeance de la sorcière céleste ne bouscule pas les codes du genre. Des belles idées illuminent toutefois ce conte fabuleux et tragique. A l’image de la magie offensive, à réutiliser lors de certaines phases d’exploration. Gelant (lors des combats) un bestiaire singulier, le sort de glace transforme un rocher enflammé en pont sécurisé. Les autres exemples sont nombreux et là encore habités par l’esprit de Ghibli. L’ombre de Totoro guette en embuscade lorsqu’on régénère des végétaux pour les faire pousser.
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Plantant certaines de ses énigmes dans un grimoire à consulter in game (ou dans un vrai livre édité pour l’occasion), la fable se distingue également des jeux vidéo de consommation courante en louant les sentiments humains. Le courage ou encore la bonté excédentaires de certains habitants de Ni No Kuni peuvent ainsi être récoltés dans des fioles pour les redistribuer à des alliés qui en manquent. Ce prétexte supplémentaire à des quêtes annexes est toutefois indispensable à l’évolution des Familiers. Fac-similés de Pokémons, ces créatures kawaii gorgées de pouvoirs magiques ne cachent pas moins une nomenclature évolutive plus travaillée que celle des monstres fluos et bankable de Nintendo.
Indispensables à Oliver lors de combats parfaitement équilibrés entre temps réel et tour par tour, elles finissent toutefois par jouer au gameplay cache-misère. Malgré une dynamique exemplaire des joutes, le rythme global du périple et des rencontres (attendues) du jeune garçon lasse sur la longueur. A un niveau macro, la structure de certaines missions peut ainsi exaspérer tant elle a déjà été rabâchée mille fois ailleurs. L’idée d’un boss précédé de multiples petits combats (sur le volcan) l’illustre. Rien de très dommageable toutefois tant les merveilles hantant Ni No Kuni happent. De l’humanité derrière les manettes, c’est toujours bon.
(1) SEULE UNE POIGNÉE D’ARTISTES EXTÉRIEURS AU JEU VIDÉO SE SONT ESSAYÉS À CET EXERCICE PÉRILLEUX. A L’IMAGE DE BENOIT SOKAL AVEC L’ILE NOYÉE OU DE STEVEN SPIELBERG AVEC BLOOM BOX.
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