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Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

L’universalité sociale, intime, écolo et cyberpunk de Norco redéfinit avec brio l’idée de point & click. Vénéneuse et moite, sa plume pique juste là où il faut.

Grandir près d’un dragon de métal crachant continuellement des flammes, dans son jardin, n’est pas anodin. Pointant un vrai site pétrochimique éponyme, Norco immerge ses banlieues naufragées et ses marécages industriels dans la vie réelle de Yutes, son créateur. Les vertigineuses cheminées de feu qui ont bercé l’enfance de ce dernier tapissent la Louisiane de ce sublime point & click. Le développeur, victime d’une explosion industrielle qui a incendié sa maison familiale, y ouvre également son âme en brassant avec maestria destruction environnementale, gig economy, deuil maternel et fable cyberpunk. Si bien que le jeu, partiellement mis en musique entre doom et black metal par Thou (chez Sacred Bones Records), a décroché l’an dernier le prix gaming du festival du film de Tribeca.

Né d’un projet multimédia documentant, il y a sept ans, les dégâts de l’ouragan Katrina en Louisiane, Norco dépeint une région passée d’un esclavage colonial à un asservissement industriel et pétrolier. À la fois nourri et saigné par Shield (une référence directe à Shell), ce microcosme gravite autour de Kay, héroïne de retour au bercail suite au décès de sa mère.

Un monticule de linge non trié, des jours heureux sur une photo de plage… L’exploration du pavillon de la mère décédée de Kay se drape d’une poésie noire et concise habitant également toutes les descriptions paysagères du jeu. Mieux, ses monologues internes à choix multiples modèlent le passé vagabond de l’héroïne. Les conséquences de ses décisions (et des réponses aux dialogues ciselés du jeu) restent obscures. Mais ces dernières dopent l’immersion.

On dirait le Sud

Revendiquant une parenté avec le southern gothic, genre littéraire pataugeant dans le sud des États-Unis, Norco soigne son écriture à la manière de Kentucky Route Zero, il y a neuf ans. Le récit se déploie en outre dans des intrigues parallèles vertigineuses. Un flash-back suit ainsi la mère de Kay dans une Nouvelle-Orléans dystopique. Partie sauvegarder sa mémoire, cette dernière plonge dans un théâtre de rue ouvrant alors une seconde parenthèse entre militantisme écolo, bayou et alligators. Ce récit gigogne brandit également Super Duck, une appli offrant des jobs obscurs contre rémunération. Un peu avant, un discount store tenu par une IA avait mis au chômage son employé. Coucou Uber et Amazon Go!

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Ponctué de jeux d’arcade et de légères phases de RPG au tour par tour, Norco aligne des énigmes et inventaires logiques au fil d’une progression fluide. Avec l’aide de Million (un ex-androïde de sécurité échappé du Shield), l’enquête dévoile progressivement que la mère disparue trônait au centre d’un imbroglio bigger than life. Pas de doute, la rare conscience sociale de Norco rejoint celle d’un Cart Life et d’un Papers, Please. Son propos universel se nourrit d’un microcosme local fascinant. Brûlant, comme le souffle d’un dragon.

Norco

édité par RAW Fury et développé par Geography of Robots, âge: 16+, disponible sur PC et Mac.

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