Paris pieds nus et le « petit chemin clownesque » d’Abel et Gordon
Abel et Gordon enchantent encore, à Paris cette fois, pour une nouvelle petite perle d’humour poétique. Rencontre.
Nous les avions laissés au Havre, décor idéal et singulier de leur film précédent, La Fée. Nous retrouvons Fiona Gordon et Dominique Abel sur les quais de Paris pieds nus, leur nouvelle rêverie burlesque. Cela fait 25 ans que le duo belgo-australien, installé à Bruxelles où fut créée leur société de production Courage mon amour, se multiplie sur scène comme à l’écran. Un élément de durée qui est intervenu dans leur choix pour le nouveau film. « Nous avons pris de la bouteille, explique Abel, et nous sommes très conscients du fait qu’un couple de comiques ne peut pas toujours raconter la même histoire. On a épuisé certaines formules du type « un homme et une femme »… » Gordon renchérit sur « la difficulté bien plus grande qu’avant de se décider sur une idée qui tout à la fois nous plaise et puisse nous porter sur deux, trois voire cinq ans comme le temps nous séparant du film précédent« . Le processus créatif « exige de nouvelles idées mais il passe aussi parfois par le retour sur des choses qu’on a déjà essayées mais pas suffisamment creusées« . Un mélange d’innovation et d’approfondissement, d’expérimentation et de fidélité à « notre petit chemin clownesque« , toujours « sage et économe au niveau scénario, qui est une nécessité, pas une priorité« .
Paris pieds nus réunit des personnages de « déplacés », une Canadienne venue en France chercher sa vieille tante disparue et un sans-abri qui a planté sa tente sur les berges de la Seine. « L’actualité nous nourrit, notre âge aussi, et on le retransmet à notre manière, déclare Dominique Abel. Ainsi notre SDF n’est-il pas présenté de manière réaliste mais comme une sorte d’icône. Mais c’est vrai que l’histoire met en scène trois déracinés, perdus dans la grande ville… » Fiona Gordon précisant: « Nous nous sommes rencontrés à Paris, nous nous y sommes nous-mêmes sentis largués, dépassés par la grandeur de la ville à l’époque. Et nous avons retrouvé ces sensations dans nos personnages du film… »
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« Notre écriture, c’est du cousu main, de la couture sur le corps, comme l’était celle de nos grands modèles Charlie Chaplin et Buster Keaton, reprend Abel. C’est en connaissant son corps, son registre comique, qu’on peut écrire pour le mode burlesque. Car c’est la mise en jeu du corps qui sera toujours décisive, qui donnera chair à l’idée. Si le corps ne peut pas, l’idée ne vaudra rien… »
Les corps ne trichent pas
C’est ainsi qu’une fois Emmanuelle Riva choisie pour complice du tandem, « le rôle de tante Martha a été modelé sur sa personnalité« . Le projet initial impliquait une actrice allemande qui avait déjà 90 ans voici cinq ans, au départ de l’écriture du film. Des circonstances pratiques ayant fait reconsidérer ce choix, la recherche d’une interprète « à la fois un peu fragile et corporellement anarchique, à la manière des amateurs » (dixit Gordon) mena vers Riva, « à travers une vidéo qu’elle avait faite pour les Oscars -à l’occasion du Amour de Haneke- et où elle dansait, imitait Chaplin, faisait des bêtises« . « Son côté espiègle, présent dans sa personnalité mais peu ou pas vu dans ses films, nous a beaucoup inspirés, et elle nous a dit se retrouver dans le burlesque et la poésie qu’elle avait perçus dans le script. » Et puis, la comédienne de 88 ans à l’époque du tournage avait « envie d’essayer quelque chose qu’on ne lui avait jamais proposé, quelque chose de physique, qui lui permettrait de s’exprimer de manière intuitive, voire animale. Elle riait tout le temps, comme une gamine de 14 ans, elle s’amusait de tout. Elle avait ce côté chat. Alors on lui a dit: « Tu seras un chat… mais un chat de gouttière! » »
« Nous sommes dans les sens, notre registre de jeu est organique, synthétise Dominique Abel. Les gestes ont pour nous souvent plus de vérité que les mots, qui peuvent être ciselés, résulter d’une analyse, alors que l’expression des corps relève d’une expression intime, qui ne peut tricher. » Et sa partenaire de poursuivre: « Aucun raisonnement ne peut nous dire à l’avance si quelque chose va prendre chair ou pas. Nous ne réfléchissons que par rapport à l’époque, pour situer le film à venir dans le temps vécu, la société telle que nous l’imaginons évoluer d’ici la sortie. Sinon, c’est notre ventre qui nous dit si ça sera bien ou pas. Le film va vivre tout seul, il fera que nos idées nous échappent et que nous devions courir après elles! »
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