Rencontre avec Hlynur Pálmason, réalisateur du très fort A White, White Day
Impossible deuil et vengeance aveugle sont au coeur de la puissante proposition de cinéma que constitue A White, White Day, deuxième long métrage orageux de l’Islandais Hlynur Pálmason.
Un proverbe de source inconnue ouvre le film: « En pareils jours, quand tout est blanc et qu’il n’y a plus aucune différence entre le ciel et la terre, alors les morts peuvent nous parler, à nous les vivants. » Tout le projet narratif et plastique de A White, White Day (lire la critique) semble tenir dans ces quelques mots. Situant son action au coeur d’une petite ville perdue en Islande, le film accompagne les ruminations d’un commissaire de police en congé qui suspecte un homme du coin d’avoir eu une aventure avec sa femme récemment décédée dans un accident de voiture. Guidée par un amour inconditionnel et la douleur d’un deuil impossible à faire, sa recherche de vérité tourne au récit vengeur qui le mène inévitablement à se mettre en danger et à exposer ses proches.
Trentenaire islandais passé par l’École nationale de cinéma du Danemark, Hlynur Pálmason (Winter Brothers), son réalisateur, confie: « Depuis la prime adolescence, je suis fasciné par les images et les sons. J’ai toujours fait des photos, des petites vidéos. A White, White Day découle de cette pratique quasiment quotidienne. C’est-à-dire que j’étais occupé à travailler sur une série de photographies simplement appelée A White Day. L’idée était de prendre des photos dans des tempêtes de neige. Je cherchais à faire des images très blanches, complètement surexposées, au coeur desquelles on pouvait deviner, davantage que voir, certaines informations, des formes, des figures. Le fait est que lorsque vous commencez à vous intéresser à un sujet, vous vous mettez à en voir des traces tout autour de vous en permanence. Quand ma compagne était enceinte, par exemple, j’avais le sentiment de voir des femmes enceintes absolument partout (sourire). Ce travail sur le blanc a commencé à m’obséder. Peu à peu, des éléments de narration ont commencé à émerger de là et j’ai compris que le projet allait évoluer vers le médium cinéma. »
L’amour et la violence
Et Pálmason, en effet, de poser peu à peu les bases d’un long métrage de fiction, mais qui privilégierait une approche très sensorielle de la narration, la blancheur immaculée de ses paysages contrastant idéalement avec la noirceur radicale de certaines de ses situations. Habité, hanté même, le résultat est à l’image de son protagoniste, colosse aux pieds d’argile semblable à une bouilloire sur le point d’exploser. « Il est comme une blessure ouverte, incapable de guérir, acquiesce le cinéaste. Parce qu’il a perdu l’être qui lui était le plus cher et qu’il commence à douter du lien qu’ils avaient ensemble. Bien sûr il franchit la ligne jaune, mais c’est toujours guidé par la passion, par ses sentiments les plus primitifs. Et c’est ce qui le rend touchant, selon moi. Il y a beaucoup d’humanité en lui, jusque dans son désir buté d’explorer les côtés les plus sombres de l’existence. La limite est parfois ténue entre l’amour et la haine, et c’est ça que j’ai cherché à explorer. »
Ce film, Pálmason dit l’avoir spécifiquement écrit pour ces paysages, pour cette route, pour ce tunnel, pour cette maison qu’on y voit. « Oui, et je pense d’ailleurs qu’il serait vraiment très différent s’il avait été tourné ailleurs. J’aime passer du temps sur les lieux où j’ai l’intention de filmer avant d’écrire ou réécrire certaines choses. Être dans une espèce de va-et-vient entre le monde vivant et le processus créatif. Peu à peu, je commence alors à entrevoir, et même à entendre, ce que va être le film. C’est vraiment l’idée de s’immerger à l’intérieur du projet afin de creuser toujours un peu plus loin. Je cherche à me perdre, à me fondre dans ma matière jusqu’à ce que le film émerge presque sans effort, comme un tout équilibré, comme une proposition qui sonne juste. Je veux rester ouvert à ce qui se présente à moi, ne pas me déconnecter de la vie. »
Déjà occupé sur un nouveau projet de long métrage, Godland, film d’époque centré sur un jeune prêtre ambitieux imbu de Dieu, le réalisateur insiste encore sur l’importance qu’il y a pour lui de toujours situer son cinéma à la croisée des genres et des émotions. « Je sais que l’humour pince-sans-rire qu’il y a dans A White, White Day, par exemple, peut parfois décontenancer. Mais faire un film dénué d’humour ne m’intéresserait pas. Ce n’est pas quelque chose de très calculé dans mon travail, à vrai dire, ça vient naturellement. J’aime cultiver une certaine ambivalence, imaginer des scènes où vous pouvez à la fois rire et pleurer. C’est très important pour moi, parce qu’on ressent souvent plusieurs choses à la fois dans la vie. J’écoutais récemment le dernier album de Nick Cave, Ghosteen, dans lequel il évoque la mort de son fils adolescent. Il s’agit d’un disque de deuil très sentimental mais je le trouve par endroits tellement drôle dans son écriture, tellement spirituel dans sa noirceur et sa crudité, que je ne sais parfois absolument pas ce que je suis censé ressentir en l’écoutant. C’est très déconcertant. J’aime vraiment beaucoup ça. »
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