Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

EN 1761, UNE CENTAINE D’ESCLAVES MALGACHES ÉTAIENT ABANDONNÉS SUR UN ÎLOT DE L’OCÉAN INDIEN. SYLVAIN SAVOIA EST RETOURNÉ SUR PLACE, ET SUR LEURS TRACES.

Les Esclaves oubliés de Tromelin

DE SYLVAIN SAVOIA, ÉDITIONS DUPUIS, 118 PAGES.

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Les amis de Sylvain Savoia sur les réseaux sociaux ont tous cette photo en tête: le dessinateur, en short, assis sur une chaise, seul, face à la mer. Une impression de solitude et de bout du monde sur laquelle on peut désormais mettre un nom: ce bout de terre, c’était Tromelin. Un minuscule kilomètre carré de sable sans aucun relief, perdu au milieu de l’océan Indien, à 10 000 kilomètres d’ici. Et qui s’appelait, avant, l’île du Danger. En 1761, l’Utile, un navire négrier de la compagnie française des Indes, y a en effet fait naufrage. Seule une poignée d’hommes, tous blancs, purent embarquer dans une embarcation de secours et de fortune, laissant sur place l’essentiel de leur marchandise, puisqu’il faut la nommer ainsi, soit 80 esclaves malgaches, hommes et femmes, abandonnés à leur sort, en haillons, sur un banc de sable. L’impensable pourtant est ailleurs: certains ont survécu, et pendant plus de quinze ans. En 1776, l’enseigne de vaisseau Tromelin donnera son nom à ce bout d’enfer aux faux airs de paradis, en y recueillant, encore vivants, sept femmes et un bébé…

Fiction et reportage

Plus de deux siècles plus tard, Sylvain Savoia découvrait par hasard cet incroyable drame historique dans un article de presse; ce dernier relatait les travaux d’une équipe d’archéologues s’étant rendus sur place, et comptant y retourner. Une recherche Google, un mail et une rencontre plus tard, le dessinateur de Marzi embarquait avec eux. Pour y ramener une réflexion historique et profonde sur l’esclavage, la solitude et l’instinct de survie, mais aussi un formidable reportage, très contemporain mais pas moins émouvant, sur ces chercheurs qui refusent l’oubli, et qui déterrent, en même temps que quelques cuillères, ce qu’il nous reste d’humanité.

Plus que le fond, déjà exceptionnel, de cet ambitieux Esclaves oubliés de Tromelin, c’est bien sa forme qui retient l’attention: non seulement le dessinateur de Marzi, Al Togo ou Nomad y adapte une nouvelle fois son trait à son sujet, plus réel et réaliste donc que d’habitude, mais il choisit aussi d’y alterner, avec une étonnante fluidité, la fiction historique et le reportage documentaire. La fiction, très fouillée, nous ramène au XVIIIe siècle, et évite en permanence les clichés exotiques ou « crusoesques »; le reportage, lui, parvient à faire partager l’émotion des archéologues lorsque, soudain, ils découvrent des ustensiles de cuisine ou un bout de mur construit en coquillage… Seul regret: la somme des choses à dire étouffe un peu l’ensemble, dont les formidables dessins de Savoia.

LES PLANCHES DES ESCLAVES OUBLIÉS DE TROMELIN FONT ACTUELLEMENT L’OBJET D’UNE EXPOSITION AU CENTRE BELGE DE LA BANDE DESSINÉE (CBBD), JUSQU’AU 21/06, 20 RUE DES SABLES À 1000 BRUXELLES.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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