Cédric Klapisch: « Le cinéma peut approcher différemment la danse »
Le cinéaste français Cédric Klapisch livre avec son nouveau film En corps une ode à la danse et à la jeunesse qui donne des fourmis dans les jambes et l’envie de bouger comme on ne l’a plus fait depuis trop longtemps.
La danse est comme une évidence pour Cédric Klapisch. Aussi longtemps qu’il s’en souvienne, il a toujours été un spectateur avide de spectacles de danse. En 2010, il réalise le documentaire Aurélie Dupont, l’espace d’un instant, qui lui permet de découvrir les coulisses de l’Opéra de Paris. Il réalise également un certain nombre de captations, et retourne à l’Opéra lors du confinement. Il n’est donc pas si surprenant que la danse soit l’objet (et le sujet) de son nouveau film, En corps.
Lire notre critique du film En corps
Comment cette connaissance du milieu de la danse s’est-elle transformée en désir de fiction?
Ça me trotte dans un coin de la tête depuis que j’ai fait le documentaire. Et je pense que le Covid a précipité les choses. Je me suis inspiré de quelque chose qui est vraiment arrivé à Aurélie Dupont, qu’elle m’avait raconté, sauf que son Hofesh Shechter à elle, c’était Pina Bausch, qui l’a aidée à re-danser.
Vous avez tourné pendant le confinement, à un moment où ces corps qui s’expriment et qui exultent avaient un sens particulier, peut-être encore plus universel. Un moment où tout le monde comprend ce que c’est que d’être empêché.
Oui, ça a amené une autre profondeur au récit. Les théâtres étaient fermés, les danseurs et les acteurs étaient au chômage. Notre projet disait: « La vie continue ». On peut être blessé, arrêté, mais la vie continue. Cette idée d’être dans un moment empêché où l’on a besoin d’une libération.
Qu’est-ce que le cinéma peut apporter à la danse, un spectacle vivant?
Je suis très respectueux du fait que la danse comme le théâtre sont du spectacle vivant, fait pour être vu en live. Et quand on filme la danse, forcément c’est moins bien. Que ce soit quand je fais une captation, ou en tournant ce film, je pars donc vaincu, en quelque sorte, mais avec la volonté de faire de mon mieux pour transcrire ce qui se passe dans la salle. Le cinéma peut approcher différemment la danse, amener des choses qui n’existent pas dans la salle, à commencer par la proximité et l’immersion que permettent les gros plans. Avec ma monteuse, on était un peu bloqués à la fin du film, on ne parvenait pas à monter le spectacle final. Hofesh Shechter, le chorégraphe, est venu nous voir en salle de montage et nous a dit: « Vous respectez trop mon spectacle, faites du cinéma! » Ça nous a libérés. Ce que lui essayait de fabriquer, c’est une espèce d’énergie animale, tribale. Au lieu d’essayer de montrer l’ensemble des danseurs, comme on le faisait, il fallait se rapprocher d’eux. Être à l’intérieur même. On a utilisé le montage pour accentuer le rythme des gestes des danseurs, pour retrouver ce côté animal, brutal.
Il y a l’énergie de la danse, mais aussi de la jeunesse, cet âge des possibles que l’on retrouve dans nombre de vos films.
C’est vrai que c’est un âge que j’aime bien, le moment où l’on décide de sa vie, où il y a des grands tournants, qu’il faut savoir saisir. Mais j’ai voulu confronter cette jeunesse avec des gens plus âgés avec lesquels se crée une interaction, les personnages de Muriel Robin et Denis Podalydès par exemple. Une autre génération, qui peut donner des conseils, et même dans leur cas, une autre sorte d’énergie. Je voulais que l’énergie circule entre les jeunes et les vieux.
Ces confrontations amènent aussi de la comédie malgré un sujet plutôt grave, celui d’une reconstruction, d’une quête personnelle.
Oui, j’y tenais. Souvent il y a des préjugés sur le monde de la danse, à quel point c’est dur, la souffrance des corps. Mais moi j’y vois surtout du plaisir. Les danseurs sont des gens qui aiment leur métier, qui sont passionnés. Je voulais insister sur cette notion de plaisir, casser les préjugés sur le côté « milieu hyper compétitif ». Quand on danse, on peut aussi rigoler. Et puis ça m’amusait de confronter le monde du cinéma et celui de la danse, que ça fasse des étincelles. Que des gens comme Pio Marmaï ou François Civil « réveillent » les danseurs par leur niveau de jeu, très élevé. Et puis que les acteurs soient challengés par des danseurs, acteurs amateurs mais qui font preuve d’un professionnalisme fou.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans la prestation de Marion Barbeau, votre héroïne, très impressionnante comme comédienne?
Il y a dans sa nature quelque chose de touchant et d’innocent. Elle est extrêmement timide, tout en étant constamment sur le devant de la scène, avec une vraie envie de briller. Ça fabrique une électricité assez belle à filmer. Et puis les danseurs sont de grands travailleurs. La dose de travail qu’elle a mise dans le jeu, aucun acteur ne peut faire ça.
Ce que son personnage découvre avec son accident, c’est que ses failles peuvent être ses forces. Le chorégraphe lui dit à un moment: « Ta faiblesse est ton super-pouvoir » .
C’est une phrase qui vient de Pina Bausch en fait, qui a dit à Aurélie Dupont, alors qu’on lui avait prédit qu’elle ne pourrait plus danser: « Tu pourras danser, mais autrement. Utilise tes fragilités, tes faiblesses. » C’est resté un leitmotiv pour elle. Je trouve que c’est une belle phrase, tout ne se fait pas en force. Ça peut être beau de danser quand on est empêché aussi. J’aimais cette idée, se dire que quand on est en train de dépasser une blessure, notre fragilité peut devenir une force.
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