La vie, en suspens: Nanni Moretti en mode mineur dans Tre Piani
Avec Tre Piani, Nanni Moretti signe un drame intime choral qu’il échoue toutefois à faire vibrer. Rencontre, à Cannes.
Découvrant Titane, la Palme d’or cannoise, quelques jours après le festival, Nanni Moretti se fendait d’une réaction teintée d’ironie amère sur son compte Instagram: « Vieillir soudainement. Ça arrive. Surtout quand un de vos films participe à un festival. Et qu’il ne gagne pas. Et au lieu de ça, c’est un autre film qui gagne dont le premier rôle tombe enceinte d’une Cadillac. Tu vieillis d’un coup. Bien sûr. » Sans vouloir retourner le couteau dans la plaie, on se permettra d’ajouter que le réalisateur italien, couronné en d’autres temps sur la Croisette pour La Chambre du fils, était déjà apparu bien fatigué à la vision de Tre Piani (lire notre critique), son treizième long métrage. Un film qui, s’il brasse des thèmes sensibles et universels, s’immisçant au coeur des relations complexes de ses protagonistes, semble pourtant curieusement déconnecté de la vie. Moretti y adapte le roman Trois étages, de l’auteur israélien Eshkol Nevo, « une décision basée, explique-t-il, sur le fait qu’il y avait, au coeur de cet ouvrage, des sentiments, des peurs, des relations que je voulais raconter avec des moyens cinématographiques. C’est un film qui parle de notre propre responsabilité, et du fait que chacun d’entre nous est redevable de ses actes. On parle beaucoup de l’héritage climatique que nous allons laisser à nos enfants, mais nous ne devons pas oublier pour autant l’héritage moral: nous sommes faits des choix que nous posons. »
Construire un futur
Filmé et monté avant la pandémie, Tre Piani a tout pourtant d’un film de confinement, jusqu’à l’appel d’air bienvenu le ponctuant tel « un aimant qui attire les personnages hors de leur appartement, les secoue et les projette dans le futur« . Le film gravite autour de trois familles installées dans un immeuble cossu de Rome, et confrontées à de profonds bouleversements intimes plaçant leur existence en suspens: couple de juges dont le fils a fauché une innocente un soir d’ivresse; jeune femme craignant de reproduire les troubles mentaux de sa mère; père dont la peur qu’il puisse arriver quelque chose à sa fillette vire à l’obsession, le plongeant dans la plus grande confusion. L’occasion pour Nanni Moretti de s’interroger sur la condition humaine, réflexion qu’il assortit à l’occasion de constats désabusés. Ainsi lorsque la bouleversante Margherita Buy, passée de Mia Madre à son épouse magistrate à l’écran, lui assène un « nous avons échoué » auquel on serait enclin à trouver une portée générationnelle. « J’éviterais de généraliser, parce que ça aurait quelque chose d’autocomplaisant, observe-t-il cependant. Ils ont constitué des parents problématiques aux yeux de leur propre fils: ce n’est pas simple d’être l’enfant de deux magistrats, comme il n’est pas facile d’être celui de deux psychanalystes. Il y a deux manières différentes de réagir au traumatisme initial provoqué par l’accident de leur fils qui a tué une femme. Les personnages masculins du film sont tous cloués à leur propre rigidité et à la certitude de leur bon droit, que ce soit la raideur du juge par rapport à son fils, la haine de Giorgio à l’égard de son frère, ou la peur de Lucio pour sa fille. Les hommes restent immobiles, les femmes pas; le père est déchiré, tandis que les femmes essaient de recoudre les relations humaines. » De là à voir en Tre Piani un film féministe? « Pour que ce soit un film féministe, il aurait dû être fait par une femme, objecte le cinéaste. Mais on peut dire que dans ce film, les personnages féminins sont plus positifs et constructifs que les personnages masculins, et qu’ils ont une façon différente de réagir face aux difficultés. Ils essaient de construire un futur. »
Histoire, peut-être, de ne pas faire mentir le message qu’il publiait, sur Instagram toujours, au lendemain de sa seconde dose de vaccin -« Et maintenant, au travail!« -, celui de Moretti, de futur, le verra se multiplier sur tous les terrains: acteur dans Le Colibri de Francesca Archibugi -« Elle m’avait demandé à six reprises de jouer dans l’un de ses films, et je n’ai plus voulu lui dire non, sous peine de passer pour un impoli » –, producteur de deux documentaires et, bien sûr, réalisateur, puisqu’il s’affaire déjà à son prochain projet, Il sol dell’avvenire. « Je crois aux vertus de l’exemple, conclut-il. C’est une façon de dire « cessons de nous plaindre, remettons-nous au boulot! » »
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