Claire Foy, nouvelle Lisbeth Salander: « J’ai besoin de sortir de ma zone de confort, sinon je m’ennuie »
C’est l’actrice qui monte, qui monte, qui monte. À 34 ans, la Britannique Claire Foy est irréprochable dans un nouveau Millenium qui, lui, l’est beaucoup moins.
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Jeune reine prise en tenaille entre l’être et le paraître dans la série The Crown sur Netflix, victime d’un harceleur placée contre son gré dans une institution psychiatrique devant l’iPhone de Steven Soderbergh dans Unsane, épouse au rôle mésestimé du premier homme à avoir marché sur la Lune dans First Man de Damien Chazelle… Ces derniers mois, Claire Foy crève les écrans, qu’ils soient d’ordinateur ou de cinéma. Nouvelle preuve, si besoin en était encore, d’un talent qu’elle a résolument éclectique, Millenium: Ce qui ne me tue pas lui offre aujourd’hui rien moins que le rôle ô combien convoité de Lisbeth Salander, hackeuse cyberpunk au passé traumatique cultivant aussi bien les prouesses physiques que l’asocialité. Si le film peine quelque peu à convaincre, il n’en demeure pas moins largement susceptible de la catapulter pour de bon au firmament qualitatif de la starification. Moment de vaste consécration que cette jeune mère fraîchement séparée, lessivée par les tournages à répétition, choisit pour annoncer qu’elle s’octroie une pause carrière à durée indéterminée.
Mais qui se cache derrière cette fulgurante révélation que l’on n’avait pour ainsi dire pas vu venir? Née dans la banlieue de Manchester d’une mère irlandaise -d’où cet accent tranchant assorti d’un humour résolument à froid-, Foy a fait patiemment ses classes de comédienne à Liverpool puis à Oxford avant de s’imposer massivement à la télévision anglaise, qu’elle squatte depuis dix bonnes années déjà -de Little Dorrit, adaptation de Dickens pour la BBC, à Wolf Hall, mini-série historique où elle incarne Anne Boleyn. Ses premiers pas outre-Atlantique interviennent dans deux improbables croûtes de genre: Season of the Witch (2011), fantasy historique emmenée par un Nicolas Cage aux excès capillotractés, et Vampire Academy (2014), fantasy comique dont le titre justifie sans doute à lui seul de ne pas en dire plus. Rosewater de Jon Stewart (2014), où elle donne la réplique à Gael García Bernal, et Breathe d’Andy Serkis (2017), aux côtés d’Andrew Garfield, allument la mèche d’un début de crédibilité à grande échelle sans pour autant convaincre totalement.
Une voie royale
Son sésame à l’international, c’est in fine à Netflix qu’elle le doit, Golden Globe à la clé. Dès novembre 2016, en effet, Foy porte culotte et couronne dans The Crown, drame historique le plus coûteux mitonné par le géant du streaming où elle prête ses traits dans un mélange idoine d’innocence et de poigne à la reine Elizabeth II, dont la série entend chroniquer, deux saisons durant, l’accession schizophrène au pouvoir et les quinze premières années de règne qui s’ensuivent. Rencontrée tout récemment au festival de Rome, où elle était venue présenter le nouveau Millenium en primeur au public transalpin, la comédienne précise d’entrée: « J’ai accepté beaucoup de rôles, avec des résultats parfois très mitigés, mais je n’ai jamais été en situation d’avoir honte de moi. Avec The Crown , on m’a souvent reproché de faire de la propagande pour les Windsor. Mais si les gens se prennent subitement de sympathie pour une monarque avec laquelle ils n’ont jamais rien eu en commun, ce n’est pas mon problème. Mon job, c’est de jouer un être humain. »
Anti-people par excellence, pas du genre à perdre son temps sur Twitter ou Instagram, Foy est une bûcheuse décidée qui ne jure que par le travail bien fait. À l’adolescence, elle est frappée d’une tumeur à l’oeil qui menace de la défigurer. De cette épreuve, elle dit avoir développé une profonde méfiance envers la question des apparences. C’est sans doute également l’une de ses grandes vertus: ne pas rechigner à camper des personnages ni forcément aimables, ni bien souvent sexualisés. Aujourd’hui, elle apparaît aussi à l’aise sur le terrain du cinéma indépendant que sur celui du blockbuster maousse, dans un registre aussi sensible qu’athlétique. Actrice complète devant laquelle s’ouvre un éventail théoriquement infini de possibles, celle qui a été… agent de sécurité au tournoi de Wimbledon semble simplement capable de tout jouer. « Désormais, il n’y a que mes propres désirs qui me motivent. Vraiment. Je veux aller là où je le souhaite, au moment où je le souhaite. J’ai besoin de continuer à apprendre, constamment. En ce sens, je suis toujours un peu en quête de nouvelles façons de travailler. Quand Steven Soderbergh est venu me trouver pour jouer dans Unsane , je commençais sérieusement à me lasser de moi-même, de ma façon de travailler. Son approche légère et viscérale avait quelque chose de terriblement rafraîchissant pour moi. Dans la foulée, le tournage de First Man m’est apparu à nouveau comme quelque chose de totalement différent. Damien Chazelle (Whiplash, La La Land, NDLR ) a une conception vraiment visionnaire des choses, hyper documentée, très préparée, il entretient un rapport fort avec le réel. J’ai besoin de sentir que je sors de ma zone de confort, de tenter des trucs, sinon je m’ennuie. Et avec eux, j’ai été servie. »
En ce sens, Foy semble accueillir avec beaucoup de soulagement son départ de The Crown sur Netflix. Dans la troisième et la quatrième saison de la série, c’est en effet la quadra Olivia Colman (Broadchurch) qui campera la reine Elizabeth II dans ses années de maturité. « C’était prévu depuis le début. Il n’était pas question que je la joue sur des décennies avec des couches de maquillage vieillissant. Ça n’aurait rien d’intéressant. Pour tout vous dire, je vois ça comme une vraie bénédiction. À ce stade de ma vie et de ma carrière, je n’ai aucune envie de me retrouver à rabâcher le même personnage des années durant (il est prévu que The Crown s’étende sur six saisons au moins, NDLR). Je suis très satisfaite de ce qu’on a accompli pendant deux ans et je suis ravie que la série continue. Mais sans moi, c’est très bien aussi (sourire) . »
Une femme d’action
Quant au nouveau Millenium, en fan de longue date des bouquins, elle dit avoir notamment accepté le rôle pour toucher au luxe de pouvoir observer et connaître de l’intérieur le personnage de Lisbeth Salander, petite icône de pop culture en soi qui la fascine, mais aussi parce qu’elle lui donnait l’occasion de briller pour la première fois dans un film d’action. « J’ai pris tout ça comme un énorme challenge. Enfant, j’ai connu pas mal de soucis de santé, je souffrais d’arthrite juvénile, et jamais je n’aurais pensé pouvoir un jour réaliser quelque chose d’aussi physiquement exigeant. Je ne suis pas sportive pour un sou, mais j’avais envie de voir si j’en étais capable. Avoir des muscles, sauter et me rouler partout (sourire)… » Guerrière résiliente, vive, instinctive, parfois quasiment mutique, elle y apparaît totalement transformée, proche d’une certaine idée de l’animalité. « Il y a quelque chose de l’ordre de la contradiction chez elle. Lisbeth est très introvertie et tout son langage corporel semble vouloir dire: ne me regardez pas, je ne veux pas être vue. Et en même temps elle dégage quelque chose de très magnétique. La manière dont elle appréhende le monde est très confuse. Elle a été trahie et blessée tellement de fois. »
Ce qui ne me tue pas est la cinquième adaptation cinématographique de la saga romanesque Millenium, après trois films suédois emmenés par Noomi Rapace et le Fincher avec Rooney Mara. « Je suis anglaise et j’ai fait du théâtre, j’ai donc l’habitude d’interpréter des personnages qui ont déjà été joués par d’autres (sourire). Bien sûr que j’ai vu tous ces films, et beaucoup apprécié ces performances, mais j’ai préféré ne pas m’y référer. Les livres ont vraiment été ma bible dans la construction du personnage. Et puis mes propres observations au quotidien. Je suis quelqu’un qui passe son temps à étudier le comportement des gens quand ils pensent que personne ne prête attention à eux. C’est pour ça que j’aime jouer, j’adore réinterpréter les choses que j’ai pu observer. »
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