« L’exploitation d’un film d’animation reste quelque chose de très compliqué »

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Récit du combat d’une jeune mère pour retrouver son fils arraché aux siens par le régime des Khmers rouges, le premier long métrage de Denis Do, Funan, puise dans la matière intime de sa propre histoire familiale.

Quand on le retrouve début mars à Flagey en plein coeur du festival Anima, d’où il repartira quelques jours plus tard auréolé du Prix du Public, Denis Do est inquiet pour son film. Funan (lire notre critique), en effet, est officiellement sorti la veille en France, et les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu. « Le film devrait être montré dans des salles axées cinéma d’auteur, et au contraire il est diffusé dans des multiplexes aux côtés de gros blockbusters américains. Ce n’est pas sa place. Pire, il est essentiellement projeté à midi et 17h alors qu’il se destine à un public ados-adultes. Ça n’a donc pas de sens de le montrer en journée. L’exploitation d’un film d’animation reste vraiment quelque chose de très compliqué. »

À croire, en effet, que ce vieux malentendu voulant que le cinéma d’animation relèverait forcément du simple divertissement pour enfants a vraiment la peau dure. Primé à Annecy, Bucheon et Los Angeles, Funan est une véritable bête de festivals, mais il n’a hélas pas pour autant trouvé son public dans l’Hexagone. Situant son action au mitan des années 70 dans un Cambodge en proie aux violentes exactions du régime des Khmers rouges, ce premier long métrage souffre en outre d’une méprise d’un autre ordre. Visiblement excédé par les critiques répétées d’une certaine intelligentsia française, Denis Do le martèle pourtant avec insistance: non, Funan ne relève pas d’une démarche de devoir de mémoire. C’est un film à hauteur d’hommes et de femmes qui puise son inspiration dans sa propre histoire familiale. « D’origine cambodgienne, je suis né et j’ai grandi à Paris au milieu des années 80. À la maison, ma mère m’abreuvait littéralement de ces histoires bien réelles qu’elle avait vécues sous le régime des Khmers rouges. Quand, comme la plupart des gamins en Occident, je ne finissais pas mon assiette, elle me disait: « Tu dois tout manger parce que nous, à cette époque, on n’avait rien. Par respect pour les victimes, il faut que tu termines ton repas. » Systématiquement, elle revenait avec ça. C’était un peu notre point Godwin à nous (sourire). Ces histoires suscitaient beaucoup de questionnements en moi. Je n’étais jamais allé au Cambodge et il m’a fallu plusieurs voyages à l’adolescence pour apprivoiser le pays. J’ai commencé à m’intéresser de près au sujet des Khmers rouges et, petit à petit, à comprendre l’ampleur historique de tout ça, à quel point le destin de ma famille n’était qu’une goutte d’eau dans un océan de tragédie. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il faudrait un jour que je travaille sur cet héritage qui était le mien. J’étais doué pour le dessin, alors je suis rentré à l’école des Gobelins où j’ai étudié l’animation. À la fin de mes études, il m’est apparu très clairement que j’allais faire un film qui se nourrirait du vécu de ma mère. »

Le facteur humain

À l’opposé d’un Rithy Panh, dont l’oeuvre témoigne de la volonté de se consacrer à un ambitieux travail de mémoire à travers le cinéma, Denis Do se lance donc dans Funan avec comme objectif unique de rendre compte d’une mémoire intime, familiale, jamais collective ou historique. « Ce que je connais et qu’il m’importe de raconter, c’est le parcours extrême des miens dans un contexte oppressif. Ce film part d’une démarche tout à fait égoïste. Je ne prétends rien enseigner ou renseigner à travers cet objet. Ce n’est pas un témoignage historique. C’est un film qui, tout au plus, peut servir de porte d’entrée. Je ne fais pas d’analyse politique, je m’en tiens au contexte humain. »

Ce facteur humain, Do l’intègre et le questionne jusque dans ses choix de mise en scène, avec une échelle de plans qui alterne entre gros plans sur la peau, le visage de ses personnages et plans très larges où ceux-ci se retrouvent isolés dans l’immensité d’un environnement qui domine et écrase, reléguant les individus à la condition de simples fourmis. « L’animation n’a pas de frontières, elle est universelle. À travers elle, on peut vraiment toucher à l’essence humaine. Et c’est sans doute ce qui explique que des gens d’ethnies très différentes qui ont connu la guerre ou l’oppression viennent souvent me trouver après avoir vu le film en disant que ça a résonné en eux. Le dessin, aussi, permet de magnifier les éléments, et c’était très important pour moi que la nature soit magnifiée dans le film. Ça permet de créer une dichotomie entre la luxuriance de la nature et la violence du monde humain. Même si, par moments, ces deux dimensions se croisent et s’interpénètrent. C’est tout le sens par exemple de ce geste d’affection qui lie le couple d’adultes au coeur du film: l’homme qui souffle dans le cou de sa femme. Ce souffle qui se mélange au vent, c’est la rencontre de l’homme et de l’air, de la terre et du ciel. Pour moi, la spiritualité c’est ça. Quand le monde humain et le monde naturel ne forment plus qu’un. Ce souffle spirituel nous dit simplement: il faut vivre. C’est-à-dire se sentir faire partie d’un tout. Les trois derniers plans du film racontent ça. Il y a d’abord un plan assez sombre, très rapproché, sur le sol. Ensuite, il y a un plan américain avec des pousses de riz qui dépassent du sol et on voit un ciel ensoleillé. Donc on passe de la terre au ciel. Et le tout dernier plan, c’est 50% de ciel et 50% de terre, avec deux personnages, la vie, au milieu.

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