Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

XAVIER MUSSAT DÉCORTIQUE DANS L’IMPOSANT CARNATION UNE HISTOIRE D’AMOUR TOXIQUE ET INTIME. UN TRAVAIL DE DISSECTION QUI LUI AURA DEMANDÉ DIX ANS ET 250 PAGES.

Carnation

DE XAVIER MUSSAT, ÉDITIONS CASTERMAN, 250 PAGES.

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C’est ce qu’on appelle un auteur rare. Le dernier -et premier- album solo du Français Xavier Mussat date de 2001: Sainte Famille racontait, déjà dans le détail et sans fard, les relations de l’auteur avec son père. Un récit intime paru naturellement aux éditions Ego comme X, fondées en 1993 par Xavier Mussat lui-même, en compagnie de Fabrice Neaud et Loïc Néhou: des auteurs formés aux Beaux-Arts et au graphisme, bien décidés « à faire de la BD comme on n’en faisait pas« , et ne jurant dans leur revue et leurs publications que par l’autofiction, l’autobiographie et le journal intime, terreau selon eux plus idéal que la simple fiction pour mener leurs recherches narratives et formelles. On pensait que Mussat avait pris ses distances, se consacrant à l’illustration jeunesse et à l’enseignement; il soignait au contraire ce qui a l’allure d’un grand oeuvre, lequel s’impose d’ailleurs d’emblée comme un des grands (et gros) albums de l’année: Carnation dissèque, littéralement, en 250 planches toutes inventives, les contours et les tréfonds d’une histoire d’amour destructrice vécue il y a quinze ans. Du très grand art, fût-il neuvième.

Images concept

Lui sortait du studio d’animation de Kirikou et la sorcière, grande aventure esthétique qui lui laissait un grand vide et peu d’espoir de faire mieux. Elle débarquait à Angoulême sans argent, sans talent et sans contacts, mais bien décidée à y mener une carrière artistique, ou l’idée qu’elle s’en faisait. Elle l’attire, elle le repousse. Il la protège, elle n’en tire aucune satisfaction… Se lie alors peu à peu une relation intense mais exclusive, toxique et hautement destructrice, faite d’attraction-répulsion et de dépendance mutuelle, dont l’auteur mettra des années à sortir et se remettre. On aurait tort, pourtant, de voir dans Carnation une simple catharsis un brin monomaniaque et très égocentrique: Xavier Mussat se sert au contraire du récit intime pour se confronter à cette difficulté de représenter et dessiner ces choses a priori non dessinables que sont les sentiments. Pour ce faire, et de quelle manière, Mussat use de ce qu’il nomme des « images concept »: paraboles graphiques, allégories et métaphores invoquant de multiples mondes animaliers et minéraux, mais aussi toute une palette de techniques parfaitement maîtrisées, de la gravure à l’iconographie scientifique. « La vérité n’est pas l’enjeu de ce livre, explique Xavier Mussat, ni à mon sens d’aucun récit intime. Il s’agit surtout de mettre en images un récit introspectif, de mettre en scène la pensée. Et de le faire avec justesse, sans injustice. »

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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