Bong Joon-ho, de l’art de parasiter les genres

Lauréat de la Palme d'or, Bong Joon-ho jongle aves les genres et les thématiques au fil d'une filmographie fascinante.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Palme d’or lors du dernier festival de Cannes avec Parasite, le Coréen Bong Joon-ho a fait du cinéma de genre son terrain de prédilection, histoire de mieux le transcender. Retour sur son parcours.

Le 24 mai dernier, Bong Joon-ho recevait la Palme d’or des mains de Catherine Deneuve, devenant le premier cinéaste coréen lauréat du plus prestigieux des prix de cinéma. Une récompense indiscutable, eu égard à la qualité de Parasite, son septième long métrage, un film qui avait eu le don de faire l’unanimité parmi les festivaliers (lire sa critique), mais aussi à un parcours entamé il y a une vingtaine d’années qui l’a imposé comme l’un des plus brillants réalisateurs en activité.

Originaire de Daegu, où il est né il y a 50 ans, et diplômé en sociologie de l’université Yonsei, Bong Joon-ho compte parmi cette génération de cinéastes sud-coréens découverts au tournant du siècle. Et s’étant exprimés dans les registres les plus divers, le cinéma de genre notamment dont il fera, à l’instar d’un Park Chan-wook, son terrain de prédilection – « le genre est une langue universelle, parlée de tous »-, à quoi un Hong Sang-soo préférera une touche « rohmérienne », un Im Sang-soo une veine plus ouvertement politique.

Briser les codes

Remarqué dès son premier long métrage, la comédie noire Barking Dogs Never Bite, présentée en 2000 au festival de San Sebastian, Bong obtient une reconnaissance plus large trois ans plus tard à la faveur de Memories of Murder. Le cinéaste s’y empare d’une affaire qui avait défrayé la chronique coréenne à la fin des années 80, l’histoire d’un serial killer ayant fait dix victimes féminines dans la province de Gyunggi, pour jouer avec brio des codes du polar qu’il relève d’humour burlesque, non sans passer au scalpel une campagne coréenne ployant sous un régime autoritaire.

Trois ans plus tard, The Host enfonce le clou d’un cinéma mélangeant allègrement… les genres: « Comme dans Barking Dogs Never Bite et Memories of Murder, c’est le conflit entre la quotidienneté et l’imaginaire, entre la réalité coréenne et les caractéristiques du cinéma de genre que j’ai voulu mettre en scène », expliquera-t-il. Le cinéaste s’y attelle cette fois au film de monstre, dont il se joue des figures, comme pour mieux surprendre le spectateur. Mais s’il n’hésite pas à montrer dès les premières minutes du film la créature émergeant de la rivière Han, à Séoul, Bong Joon-ho ne lâche cependant rien en termes d’efficacité ni de virtuosité. À quoi il ajoute, en sous-main, messages politique et écologique, signant une chronique familiale s’attachant aux déclassés tout en dénonçant l’incurie de dirigeants inféodés à l’impérialisme américain. Un classique instantané, doublé d’un triomphe au box-office, The Host rassemblant quelque 13 millions de spectateurs au pays du Matin calme. Après quoi le cinéaste s’offre une parenthèse en forme de participation aux côtés de Leos Carax et Michel Gondry au film collectif Tokyo!, dont il signe le segment Shaking Tokyo.

Concilier les contraires

Si ses longs métrages précédents adoptaient une architecture en arborescence pour déborder sur la société coréenne, Mother recentre pour sa part son propos sur une mère qui va tout mettre en oeuvre (et plus encore) pour prouver l’innocence de son fils accusé de meurtre. Soit le film le plus intimiste de son auteur, et un mélodrame familial aux contours multiples, fusionnant violence et humour noir, chronique sociale et suspense intense -ou l’art de concilier les contraires. Bong Joon-ho n’a pas fini de surprendre, qui décide dans la foulée de délaisser son terrain de jeu coréen pour se lancer dans un projet anglo-saxon, Snowpiercer, adapté de la bande dessinée postapocalyptique Le Transperceneige, de Jacques Lob, Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand. « Je suis littéralement obsédé par les trains. Le Transperceneige m’est apparu comme une oeuvre qui m’était destinée », relèvera-t-il, interrogé sur ce choix. L’histoire se situe en 2031, lorsque les survivants d’une nouvelle ère glaciaire ont pris place à bord d’un train tournant autour de la terre, une hiérarchie des classes s’étant recréée à bord -autant dire que les préoccupations tant écologiques que sociétales du réalisateur sont présentes dans ce film de science-fiction, à quoi s’ajoute un défi de mise en scène qu’il relève haut la main. Okja est travaillé par une même fibre écologique, fable humaniste doublée d’une farce anticapitaliste au départ de l’amitié unissant une fillette coréenne, Mija, à un cochon transgénique géant, Okja, le duo se retrouvant bientôt au coeur d’enjeux les dépassant. Bong Joon-ho y déploie, comme de coutume, un regard aiguisé sur le monde; la réussite est pourtant relative, le film faisant surtout parler de lui en raison de son label Netflix, cristallisant sur son nom le conflit opposant la plateforme de streaming au festival de Cannes.

Une péripétie, toutefois, Parasite venant fort à propos remettre les pendules à l’heure. Le cinéaste cinéphile (il rendit hommage à Claude Chabrol et Henri-Georges Clouzot au moment de recevoir la Palme d’or) signe là une oeuvre-somme, portant son cinéma à quintessence en malaxant des genres divers -satire sociale, comédie noire et thriller, saupoudrés d’horreur-, tout en continuant à scruter la société coréenne et au-delà d’une caméra acérée, les inégalités croissantes et la polarisation en ligne de mire. Le résultat est tout simplement soufflant, modèle de divertissement jouissif réfléchissant le monde. La marque d’un auteur arrivé au sommet de son art, sans avoir pour autant l’intention d’en rester là. Pour notre plus grand plaisir…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content