Misbehaviour: « Il est important de nous réapproprier notre Histoire et de la raconter nous-mêmes »

Féministes et miss, des trajectoires qui s'opposent mais qui sont aussi des accomplissements inspirants.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Misbehaviour, Philippa Lowthorpe s’empare d’un épisode savoureux de l’Histoire du féminisme en Grande-Bretagne, lorsque des activistes avaient court-circuité en direct le concours Miss World. Entretien.

C’est une époque qui semble désormais bien lointaine, quand Bob Hope débarquait à Long Binh, au Viêtnam, flanqué de Miss Monde devant des nuées de GI chauffés à blanc, et que l’élection de cette dernière constituait un événement suivi par plus de 100 millions de téléspectateurs. Moment où de jeunes militantes du fraîchement éclos Women’s Liberation Movement décideront d’investir en direct le concours organisé au Royal Albert Hall de Londres (et incidemment présenté par ce même Hope), histoire de saper les fondements d’une compétition véhiculant une image dégradante de la femme.

Survenu en 1970, cet épisode savoureux de l’Histoire du féminisme en Grande-Bretagne constitue aujourd’hui la moelle épinière de Misbehaviour (lire notre critique du film), que signe Philippa Lowthorpe, une réalisatrice britannique ayant fait ses armes dans le documentaire et à la télévision. « J’aime m’emparer de faits réels, mais aussi d’histoires de femmes ayant été quelque peu occultées, commence-t-elle, jointe par vidéo. Il me semblait avoir là un fantastique échantillon d’Histoire sociale, quand deux groupes de femmes déterminées mais mues par des idées différentes se sont rejointes dans un même élan: les jeunes féministes qui entendaient occuper la scène par leur action de contestation, mais aussi les participantes au concours, puisque c’est l’année où, pour la première fois, une femme noire l’a emporté, le second prix allant également à une femme de couleur (à savoir Miss Grenade, Jennifer Hosten, et Miss Sud de l’Afrique, Pearl Jansen, NDLR) . La combinaison de ces deux éléments constituait un contexte particulièrement intéressant à explorer. »

Misbehaviour:

Les faits, la réalisatrice, a tenu à les restituer aussi fidèlement que possible, interviewant de nombreuses protagonistes, activistes comme lauréates, et s’attardant sur les motivations des unes et des autres, tout en revenant sur les coulisses de la manifestation. S’y est cependant greffée l’indispensable licence artistique, Misbehaviour abordant des questions sérieuses avec une stimulante légèreté. « Comme l’action était irrévérencieuse, passablement anarchiste et pleine d’esprit et d’humour -il s’agissait après tout de balancer des bombes de farine à Bob Hope sur scène, un acte de provocation avant tout amusant-, il me semblait important que ce ton irrigue le film. Quand j’ai rencontré ces femmes qui sont aujourd’hui dans la septantaine, elles m’ont rappelé qu’elles ne correspondaient pas à l’idée que l’on pouvait se faire de féministes très sérieuses et un peu raides. C’était juste des jeunes femmes d’une vingtaine d’années, débordantes de vie, d’énergie, de joie et d’insolence. Nous avons voulu capturer cette énergie, tout en ménageant des moments de débats sincères et parfois tendus, comme entre l’activiste Sally Alexander et sa mère, ces femmes de générations différentes. »

Au milieu du gué

À 50 ans de distance, ce morceau d’Histoire génère des sentiments divers, allant de l’incrédulité devant un sexisme qui avait alors pignon sur rue – « c’était une façon acceptée de parler des femmes« – à l’étonnement devant l’innocence rafraîchissante ayant présidé à l’action du MLF -« Elles n’avaient pas la moindre idée de l’impact qu’aurait leur geste« . Le film, s’il est par ailleurs assurément stimulant dans sa représentation d’un changement en marche, pose aussi question, dès lors que l’égalité à laquelle aspiraient les jeunes militantes est encore loin d’être acquise, la résonance du propos avec le présent n’étant point à souligner. « On célébrera le cinquantième anniversaire de cet événement en novembre, poursuit Philippa Lowthorpe, et il nous a paru intéressant de porter un regard rétrospectif sur cette époque pour voir comme nous venions de loin, mais aussi combien de chemin il nous reste à parcourir. Le salaire égal à travail égal évoqué dans le film n’est pas encore acquis, et il est bon d’inciter à y réfléchir. Je peux également m’exprimer en tant que réalisatrice. Il y a tellement peu de femmes cinéastes: j’ai consulté la liste des films publiée sur le site du British Film Institute, et depuis les années 30, 94,5% des films ont été réalisés par des hommes. »

Misbehaviour:

Et cela, même si les choses évoluent depuis quelques années dans la foulée du mouvement #MeToo, que l’on peut considérer comme l’héritier de l’activisme d’alors. Misbehaviour en apporte d’ailleurs l’illustration: « Susanne Mackie, la productrice, essayait depuis dix ans de monter ce projet. Et on a constaté soudain que les gens étaient intéressés par nos histoires, mais aussi qu’ils voulaient les entendre de femmes. Je ne peux imaginer Misbehaviour dirigé par un homme, même si ça aurait fort probablement été le cas il y a dix ans. Il est important de nous réapproprier notre Histoire et de la raconter nous-mêmes. De la productrice aux autrices en passant par la réalisatrice et à l’ensemble des cheffes de poste à une exception, ce film a vraiment été porté par une équipe féminine. » Quant aux enseignements qu’il y aurait lieu d’en tirer? « J’espère que les spectateurs se sentiront émus et inspirés par ce qu’ont fait ces jeunes femmes. Pas seulement les féministes, mais aussi Jennifer Hosten et Pearl Jansen, dont l’action constituait à l’époque un énorme accomplissement. Il ne faut pas les juger les unes contre les autres, mais célébrer ces femmes qui essayaient de réussir quelque chose. Et nous en inspirer pour déterminer ce qu’il y a lieu de faire pour rendre notre société meilleure, que ce soit à travers le féminisme ou à travers Black Lives Matter, un autre mouvement d’une importance considérable. La contestation est importante, c’est une bonne façon de faire passer son message! »

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