Si Kanye West reste capable de fulgurances géniales, il s’empêtre dans un dixième album trop long et passablement foutraque.
Il faut au moins reconnaître cette qualité aux fans de Kanye West: la patience. Elle est indispensable pour endurer toutes les extravagances du rappeur. Par exemple celles qui ont à nouveau entouré la sortie de Donda. Comme il en a pris l’habitude depuis The Life of Pablo (2016), le rappeur a fait de son nouveau disque un chantier permanent. Voire un gigantesque boxon.
Annoncé une première fois l’an dernier, il a fait office de feuilleton de l’été, annoncé puis reporté à plusieurs reprises. Entre deux dates, on aura vu passer des photos de l’artiste, cloîtré dans un vestiaire du stade d’Atlanta, enregistrant des sons en last minute; puis livrer, au milieu de cette même arène sportive, deux sessions d’écoute; avant d’en ajouter une troisième au Soldier Field de Chicago, sa ville natale, show durant lequel le rappeur a fait mine de se remarier avec Kim Kardashian, et de s’immoler, devant une réplique de sa maison d’enfance… Finalement, Donda est sorti le 29 août. Le jour où le dernier soldat américain quittait Kaboul, Kanye West livrait un disque qui ressemble à bien des égards à son propre champ de bataille, chaotique et confus…
Brebis galeuses
Intitulé d’après le prénom de sa mère, décédée en 2007 de complications post-opératoires d’une chirurgie esthétique, Donda est d’abord une somme. Une liste à rallonge de 27 titres (dont quatre redites), cumulant quelque 108 minutes de musique. Soit à peine dix de moins que la durée totale des trois albums précédents. C’est évidemment trop, sinon à voir Donda comme un catalogue résumant ses différentes « périodes » -du sampling malin de ses débuts (Lauryn Hill sur Believe What I Say), jusqu’aux inclinations gospel plus récentes (24). À l’intérieur de cet espace artistique désormais clos, le maestro est encore capable du meilleur: No Child Left Behind est étrangement troublant, tandis que des morceaux comme Hurricane, avec entre autres The Weeknd, ou Pure Souls jonglent brillamment avec les contradictions de leur auteur, jamais avare d’une feinte -« Would you shut up? I can’t hear myself drink« , sur Lord I Need You.
Le problème, c’est que West a souvent tendance à troubler le message. À vrai dire, ses meilleurs disques – My Beautiful Dark Twisted Fantasy ou The Life of Pablo- accumulaient déjà les couches. Mais là où ils déployaient de la complexité, Donda sonne trop souvent embrouillé, sans doute pollué aussi par les frasques du troll en chef. Sur Jail, Jay-Z explique: « Je lui ai dit, « enlève cette casquette rouge, on rentre à la maison »« , allusion au soutien de West à Donald Trump. S’il a fait amende honorable depuis, comment comprendre qu’il invite sur Donda deux des personnages les plus controversés du moment -Marilyn Manson, accusé d’agressions sexuelles, et DaBaby, auteur de propos homophobes? Faut-il y voir une énième provoc’ ou une manière d’accueillir les « brebis galeuses » -comme il le suggère à plusieurs reprises au long de Donda? « Everybody so judgemental« , soupire West sur Hurricane. En l’occurrence, le problème de Donda n’est pas de le trouver bon (il l’est en partie) ou mauvais. Mais trop souvent illisible.
Kanye West, « Donda », distribué par Universal. ***
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