Juliette Binoche: « Pour moi, jouer, ce n’est pas mentir. C’est même tout l’inverse »

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Chez Olivier Assayas et son brillant Doubles vies en janvier, tout bientôt du fascinant High Life de Claire Denis et cette semaine dans Celle que vous croyez de Safy Nebbou: triple actualité azimutée pour Juliette Binoche. Rencontre.

« Pour moi, jouer, ce n’est pas mentir. C’est même tout l’inverse. » De mensonges, il en est beaucoup question dans Celle que vous croyez (lire la critique), le nouveau film de Safy Nebbou (L’Autre Dumas, Dans les forêts de Sibérie), où Juliette Binoche incarne une quinqua à la dérive, Claire, s’inventant sur les réseaux sociaux un avatar plus jeune, plus lisse, Clara. Un double virtuel à travers lequel elle s’embarque dans une histoire d’amour moins impossible qu’intangible, la distance et la protection très relatives que lui offre son écran d’ordinateur se muant rapidement en pièges, en leurres de vérité émotionnelle. « Je crois que le sentiment de désamour et d’abandon qu’elle traverse est tout simplement insupportable pour elle, analysait pour nous, mi-comédienne mi-sociologue, Juliette Binoche entre deux films de la dernière Berlinale où, non contente de venir défendre son nouveau bifteck bleu-blanc-rouge, elle présidait le jury international du festival. Et, en un sens, elle trouve dans les réseaux sociaux une façon de s’y soustraire. C’est un moyen commode, immédiat, de traverser sa dépression. Mais qui la plonge dans de nouveaux tourments. Et dans un mirage de vie, d’identité et d’émotion. Elle flirte avec le vide, littéralement. Je pense que, dans l’amour, la physicalité vient confirmer la vérité des sentiments. Si le corps n’est pas impliqué, il est beaucoup plus facile de se laisser piéger par une illusion de l’esprit. Claire, en un sens, se fait prendre par son propre désir de séduction. Ce désir-là, il ne disparaît jamais tout à fait, je crois. Il y a même quelque chose d’un élan vital là-dedans -prenez mon père, à 85 ans, il n’arrête pas de dragouiller ses infirmières (sourire). Mais l’idée, c’est sans doute de parvenir à le vivre sans en être l’esclave. »

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La leçon de piano

De cette double vie où la mythomanie confine à la schizophrénie, le film de Safy Nebbou, comme le roman de Camille Laurens dont il s’inspire, tire le constat d’un schisme parfois irréconciliable entre l’affect et l’intellect. « Claire est un maître de conférence brillant et éloquent. Elle est distinguée, très mûre intellectuellement, mais émotionnellement elle ne l’est pas du tout. Sa détresse affective la ramène vers quelque chose de très enfantin. Et ses échanges amoureux ont d’ailleurs quelque chose de très adolescent. Il y a parfois un monde entre la pensée et l’émotion. Il faut pouvoir s’autoriser à baisser nos défenses mentales, toutes les protections que l’on se construit, pour comprendre ce que l’on ressent vraiment. Mais ce n’est pas sans risques. C’est se rendre très vulnérable, être dans une démarche d’humilité aussi. Nous sommes faits de plusieurs strates, comme un oignon. Il faut parfois laisser une couche mourir pour accéder à la suivante, plus profonde. J’aime l’idée de la vie comme un apprentissage de soi permanent. » Un apprentissage que la comédienne associe à la définition même du métier d’actrice. « Personnellement, j’ai vraiment le sentiment d’avoir acquis une vraie connaissance sensible, oui. J’ai eu la chance de grandir émotionnellement à travers mes rôles au cinéma, c’est certain. Parce qu’en tant qu’actrice, vous êtes habituée à être dans l’analyse, à essayer de comprendre où il faut aller pour exprimer les choses, recréer des éléments de vie. Je me sens comme une pianiste qui sait exactement sur quelles notes appuyer pour créer de l’harmonie. »

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En janvier, on la voyait ainsi jouer une partition plutôt comique, mais pas moins nuancée pour autant, dans l’excellent Doubles vies d’Olivier Assayas, où elle campait tout en ambivalence faussement badine une… actrice trompée et trompant. « J’ai demandé à Olivier comment il voyait le rôle, s’il avait des attentes particulières. Et il m’a dit de me sentir libre de composer ce que je voulais. J’ai donc essayé de rendre le personnage le plus vivant possible. Parce qu’on est là dans une dynamique de comédie et que ça doit pétiller. D’une manière générale, je mets beaucoup de sérieux dans mon travail, mais j’éprouve également beaucoup de joie à jouer. Je ris beaucoup sur les plateaux. »

Comme sur celui de l’hypnotique odyssée SF High Life de Claire Denis, qui atterrira sur nos écrans le 20 mars prochain, et où elle prend littéralement son pied en grande prêtresse séminale de l’espace. Un film hautement singulier, exigeant, à la limite de l’hermétisme, qui confirme sa volonté de se forger une carrière qui embrasse large, et bien. « Ma carrière? Qu’est-ce que c’est qu’une carrière? Vous savez, je suis très instinctive dans mes choix de rôles, pas du tout calculatrice. J’essaie d’être toujours à mon écoute. La carrière, elle se construit un peu malgré vous. Au fil de choix, certes, mais qui, le plus souvent, sont de simples réponses à des propositions. Je ne me projette pas très loin en avant. Et je ne suis pas non plus du genre à beaucoup regarder en arrière. Je vis vraiment dans le présent. »

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