Sfar et Trondheim relancent Donjon
La saga de heroic fantasy dévoyée, menée par Joann Sfar et Lewis Trondheim, renaît de ses cendres encore chaudes avec deux nouveaux albums, trois sur le feu et surtout deux nouveaux niveaux de jeu.
C’était en 2014, et on y croyait dur comme fer: après seize ans, 36 albums et l’implication d’une vingtaine d’auteurs différents qu’on peut qualifier de crème (Larcenet, Menu, Andreas, Blanquet, Blutch, Blain…), les scénaristes, dessinateurs et vieux amis que sont Lewis Trondheim et Joann Sfar mettaient un terme a priori définitif à leur saga Donjon, entrée dans les annales par son casting cinq étoiles et par l’originalité de son univers, à la fois « multifocal » (plusieurs auteurs, plusieurs points de vue, plusieurs époques) et « multitonal » (si l’hommage (très) amusé à l’heroic fantasy et aux jeux de rôle est aux fondements de Donjon, certains albums n’hésitent pas à virer au tragique). Le grand Mazan avait ainsi été chargé du dessin du bien nommé La Fin du donjon qui clôturait la saga et sa partie « Crépuscule », après, déjà, presque cinq années sans album. Mais les grands gamins que sont Sfar et Trondheim n’ont décidément pas pu résister à retourner vers leur boîte de jeux préférée, en se relançant en force dans la partie. Cinq albums sont d’ores et déjà prévus pour cette année -les deux premiers sont disponibles- et surtout, les maîtres du jeu ouvrent deux nouveaux niveaux de Donjon. Dans cet univers où l’unité de temps est l’album, la saga de Donjon s’étirera désormais de l’an -10.000 à +10.000! De quoi relancer les fantasmes des fans, Trondheim ayant un jour lancé, comme une boutade, qu’il faudrait 20.000 albums pour que la saga soit complète.
En marche ou à zéro
Petit rappel du contexte pour les rares amateurs qui n’auraient jamais lu un Donjon -Delcourt revendique 1,5 million d’albums vendus depuis 1998: la série suit à travers les époques et les cycles l’existence d’un donjon planté dans un univers moyenâgeux où se mêlent dragons, ogres et magiciens, de la création du donjon (la série « Donjon Potron-Minet ») à sa chute (« Donjon Crépuscule ») en passant par son apogée (« Donjon Zénith »). Trois séries principales auxquelles sont venues s’ajouter au fil du temps et des idées du duo deux séries parallèles, l’une constituée de récits humoristiques (« Donjon Parade »), l’autre d’intrigues centrées sur des personnages secondaires (« Donjon Monsters »).
Le premier des retours se fait dans l’univers de « Donjon Zénith », alors que Herbert le canard, Marvin le dragon et Isis la chatte fuient le Donjon tombé aux mains de Guillaume de la Cour (personnage inspiré par leur éditeur Guy Delcourt, un parmi les innombrables clins d’oeil et niveaux de lecture de la série). Seule solution pour déloger les occupants: se procurer du « fugus purit » (en gros un champignon qui sent vraiment la rage). Une nouvelle quête tragi-comique qui se mêle d’un joyeux « Tong Deum » de fiançailles que Marvin, personnage parfait, compte bien célébrer… On l’aura compris, et c’est bien là le seul écueil de cette saga hautement recommandable, difficile d’apprécier à sa juste valeur ce 37e album et 7e du cycle « DZ » sans avoir au moins jeté un jour un oeil sur les précédents albums… Les amateurs, eux, se rueront tant ils seront contents d’y retrouver Boulet au dessin, un fidèle de la saga. On conseillera donc aux nouveaux venus de se diriger plutôt vers le 38e album, qui vient lui aussi de sortir et qui ouvre le nouveau cycle « Antipodes- » (qui sera lui-même suivi du cycle « Antipodes+ »). L’Armée du crâne démarre dans un temps où le Donjon était inexistant et où se succédaient les batailles entre Elfes et Orques. L’occasion de prendre la saga à zéro, en compagnie de deux nouveaux personnages très « sfarien »: un chien d’Orque et un chien d’Elfe que tout oppose (l’un veut absolument retrouver le crâne de son maître, l’autre veut juste retrouver le confort et le parfum de sa vie d’avant) et qui pourtant vont faire équipe et même fonder « l’armée du crâne », qui restera légendaire, même des centaines d’albums plus tard… Ce début de nouveau cycle, vierge de toute référence mais pas d’allusions au reste de la série, est donc une bonne porte d’entrée pour les newcomers, surtout que c’est Grégory Panaccione (Un océan d’amour, Chronosquads) qui s’en est vu confier le pinceau. Et que l’incroyable dynamisme et l’expressivité de ses dessins se fondent à merveille dans l’univers et la narration de Sfar et Trondheim.
Qu’on ne compte plus en tout cas sur ces deux-là pour s’arrêter en si bon chemin: Stéphane Oiry, Vince et Alexis Nesme planchent actuellement sur leur Donjon à paraître cette année encore, et ce, comme toujours avec une grande liberté de création et l’absence totale de « bible ». « Nous n’avons jamais établi de bible« , explique ainsi Trondheim dans un livre d’entretiens avec Thierry Groensteen qui vient de paraître, lui, à L’Association, « sa » maison d’éditions: « Souvent nous avions oublié qui était tel personnage, quel était son pouvoir, où était situé tel lieu… On se disait qu’il nous aurait fallu le numéro de téléphone d’un fan pour pouvoir lui poser des questions sur Donjon, pour éviter de nous planter. Avec Joann, nous nous sommes vus la semaine dernière à Paris pour travailler sur deux ou trois épisodes, et heureusement que sa fille et mon fils étaient là et que nous pouvions les interroger, car nous-mêmes nous sommes nuls en Donjon. »
Donjon Zénith – T. 7: Hors des remparts, de Sfar, Trondheim et Boulet, éditions Delcourt, 48 pages. ****
Donjon Antipodes – T. 1: L’Armée du crâne, de Sfar, Trondheim et Panaccione, éditions Delcourt, 48 pages. ****
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