Critique | Livres

Sepúlveda, auteur d’ici et d’ailleurs

© Métailié
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’éternel exilé chilien nous revient avec un recueil de textes. Qui éclairent ses romans, et quelques fondamentaux de la littérature hispano-américaine.

HISTOIRES D’ICI ET D’AILLEURS, DE LUIS SEPÚLVEDA, ÉDITIONS MÉTAILIÉ. TRADUIT DE L’ESPAGNOL (CHILI), 148 PAGES. ****

Le premier des 25 textes de ce nouveau recueil, 10 ans après Les Roses d’Atacama, se nomme Portrait de groupe sur fond d’absence. En 1990, Sepúlveda revient au Chili après la chute de la dictature et près de 10 ans d’exil. Dans sa poche, une photo de 5 gamins, prise à l’époque, dans la banlieue ouvrière de Santiago. Une photo qu’il va tenter de reprendre à l’identique en retrouvant, s’ils vivent encore, ses modèles… Le dernier récit, lui, évoque ce footballeur paraguayen de seconde zone et de troisième division qui, à chaque goal, s’écriait « C’est pour toi Soraya!« . Personne ne s’était jamais posé la question de savoir qui était cette Soraya. Luis Sepúlveda, lui, en tire comme toujours une splendide histoire, drôle, émouvante et inattendue, qui évoque tour à tour l’exil, la rage et le romantisme des perdants qui ne perdent jamais… Entretemps, et dans des récits extrêmement courts, l’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour aura évoqué la genèse de ce premier et fameux roman (le Vieux existe, Sepúlveda lui-même l’avait rencontré lorsqu’il vivait avec les Indiens Shuars), des retrouvailles avec d’anciens guérilleros et companeros (qui donneront corps à son dernier roman, L’Ombre de ce que nous avons été), beaucoup d’amis morts, un chien punk, l’amour des livres, un inventeur maudit et même Berlusconi… Mais toujours, que la plume soit féroce, émue ou juste belle, il évoque les mêmes thèmes, creuse le même sillon: celui des vaincus qui refusent la défaite. Ces Histoires d’ici et d’ailleurs sonnent comme un parfait résumé de toute son oeuvre. Laquelle est elle-même un magnifique exemple de ce que son continent d’origine est capable de produire en littérature.

Romantisme révolutionnaire

La vie de Sepúlveda, largement dévoilée ici, ressemble donc bien à ses romans: une Histoire et des histoires faites de combats et de convictions, qui le mèneront d’Allende jusqu’au maquis nicaraguayen, et sur lesquelles viennent s’imprimer la nostalgie de ce qui aurait pu être, mais ne sera jamais. Ce romantisme révolutionnaire, omniprésent dans toute la littérature hispano-américaine à l’image de l’Histoire du continent, s’accompagne chez Sepúlveda d’une puissance narrative étonnante. Le Chilien exilé à Paris, Hambourg et désormais aux Asturies, évoque des drames terribles, des souvenirs sanglants et une réalité sociale souvent glaçante. Ses mots, pourtant, sont toujours d’une incroyable fluidité. Ils sont beaux, simplement beaux. Une beauté qu’exhale un homme de 60 ans, costaud, bourru, barbu, rompu aux combats, gants de boxe aux mains, et toujours prêt à se battre. La littérature sud-américaine lui doit beaucoup. Ses lecteurs encore plus.

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