Serge Coosemans
Quoi de plus exclusif que l’écriture inclusive?
L’écriture inclusive n’est-elle vraiment qu’une « réforme féministe du langage » ou doit-on plutôt la considérer comme une tentative imbécile de déconditionnement post-marxiste comparable aux méthodes des Khmers rouges? Est-il sinon vraiment possible de mener ce débat à froid alors que la culture du clash invite les outrances, jamais la science? Serge Coosemans pompant allègrement un article de Peggy Sastre, c’est le Crash Test S03E06.
Plus je vieillis (48 ans dans 10 jours, autant arrondir directement à 50) moins j’en reviens des conneries que l’on nous sort à une cadence que l’on ne peut même plus qualifier de soutenue, le tapis de bombes étant désormais permanent. Drôle d’époque, à la fois tragique et hilarante. Un rêve humide post-moderne: tout est faux, rien n’est vrai, et on peut se disputer à propos de tout avec n’importe qui. Une seule obligation: choisir son camp. Un jour « pour », un jour « contre ». N’importe quel débat est de toute façon voué à l’extrême simplification: nazis contre Bisounours, réacs aigris contre progressistes éclairés, Cro-Magnons fils des âges farouches contre utilisateurs de l’iPhone X. Mais attention, complètement interdit de s’en foutre, ou même de relativiser et de prendre le temps de la réflexion avant de balancer son verdict en 140 caractères, 280 si on fait partie du groupe test. Cette culture, ces manies, nous tuent. De plus en plus d’études, des vraies, pas de celles qui ne sont que de la publicité déguisée pour faire boire de la bière ou acheter du chocolat, le confirment: les réseaux sociaux et les addictions qui découlent de leur utilisation rendent non seulement dépressifs et appauvrissent la culture mais préparent aussi le terrain à une idéologie encore en gestation qui pourrait, dans son horreur absolue, n’avoir rien à envier au fascisme et au communisme du XXe siècle.
Ça va vous sembler exagéré mais en me montrant à ce point pessimiste, je pense moins à Trump et à l’Islam radical qu’à, notamment, l’écriture inclusive. L’avenir de Trump m’apparaît tout tracé: une espérance de vie moindre qu’une triple dose de rhum Diplomatico un samedi soir entre les mains de mon bon camarade Kwak. L’écriture inclusive, dans sa proposition contemporaine, n’ira peut-être pas beaucoup plus loin. Certains la considèrent même déjà comme le buzz d’il y a 15 jours, une proposition révolutionnaire avortée. Cela peut toutefois faire davantage de dégâts que Trump. Parce que dès la moumoute blonde blanchie, il n’en restera sans doute rien. C’est un moment de folie collective qui sera suivi de honte, donc d’amnésie volontaire mais surtout, de reconstructions. Alors que l’écriture inclusive, ça reviendra certainement sous une autre forme. Car ce qui sous-entend le projet, ce n’est jamais que la bonne vieille idée de la conversion, éventuellement par l’épée (fût-elle symbolique), à une idéologie persuadée de sa supériorité morale. Autrement dit, on commence par proposer un truc voulu tout mimi la bouche en coeur et dix minutes plus tard, on se retrouve déjà à patauger dans les procès en sorcellerie et les pogroms purificateurs.
Bon, je dois bien avouer que fin septembre, je ne savais absolument pas ce qu’était l’écriture inclusive. Je l’ai vue mentionnée sur des comptes Twitter plus ou moins féministes et j’ai depuis appris que c’était une « réforme féministe du langage », dont on a déjà un peu parlé à la fin des années 1970. En 2017, c’est en France, ce 27 septembre dernier, notamment dans le journal Libération, qu’un docteur en communication du nom de Raphaël Haddad a annoncé avoir sorti un manuel d’écriture inclusive destiné aux enfants, ce qui a directement d’autant plus fait polémique qu’il était censé être assez vite introduit dans le système scolaire obligatoire. « En France, a déploré Haddad, il y a une résistance idéologique parce que la langue est le dernier terrain des masculinistes. » L’idée directrice, c’est donc que dans la langue française, si le masculin l’emporte sur le féminin, c’est parce que les règles que nous utilisons aujourd’hui encore datent d’une époque patriarcale. Évidemment, vouloir les changer accouche forcément d’un débat moderne: avec des « pour », des « contre », des « réacs aigris » et des « progressistes éclairés ». Sur le site de France Info, Eliane Viennot, professeure de littérature partisane de cette réforme a par exemple écrit que « Seul·es les partisan·es de la domination masculine devraient s’étouffer devant l’écriture inclusive! » Face à elle, différents chroniqueurs ont en retour parlé de barbarisme néo-marxiste et de novlangue (on a déjà évoqué ici le Point Pulvar et le Point Geldof, il faudra un jour pondre une bafouille sur le Point Orwell).
Coup de poing dans l’oeil
Moi, l’écriture inclusive, ça me cogne tout simplement d’abord l’oeil. Combiner masculin et féminin dans un seul bloc truffé de points, ça accouche d’un résultat que je trouve avant tout horrible, proche de l’écriture SMS. Si j’ai besoin d’écrire « partisans » alors qu’il faut souligner la présence de femmes dans le groupe, j’écris éventuellement « partisanes et partisans » et je ne vois donc pas la nécessité de ce « partisan.e.s » qui relève non seulement du coup de poing dans l’oeil mais aussi d’une facilité certaine, ainsi que d’un net manque de souplesse avec la langue; ce qui implique d’ailleurs forcément un mode de pensée assez rigide. Comme j’ai l’esprit taquin, j’ai aussi dans ma besace une bonne question de gros troll à balancer aux militantes de la réforme: on fait quoi avec les imbéciles et la charcuterie? Ça marche, les « conna.sse.rd.s » et autres « sauciss.e.on.s »? Mon rejet n’est cela dit pas qu’esthétique. George Perec a écrit un roman entier, La Disparition, pas si court qui plus est, racontant une histoire certes poétique mais surtout cohérente et ce, sans ne jamais utiliser la lettre « e ». Cela relève bien entendu du génie, du travail maniaque de longue haleine et ce n’est pas donné à tout le monde. Mais ça prouve surtout qu’avec une bonne maîtrise de la langue française et l’esprit inventif, il est possible de faire passer énormément de choses, et très élégamment encore bien, sans recourir à des réformes qui se vendent tout de même surtout comme une méthode de déconditionnement mental.
Détricoter (ou retricoter) la langue n’est pas jouette ou moral. C’est dangereux. C’est ce qu’explique brillamment Peggy Sastre, elle-même féministe, sur Slate.com dans un papier intitulé « L’écriture inclusive, ça ne marchera jamais (et tant mieux) ». Le titre est provocateur mais les arguments développés, certes avec un humour bien vachard et quelques piques pour pimenter le tout, sont scientifiques. « Le langage n’est pas une baguette magique qui façonne le monde à sa guise -et à celle de provisoires « dominants »-, mais un outil d’encodage, de description et de retranscription d’un réel qui lui préexiste. Un travail qui s’effectue depuis plusieurs milliers voire millions d’années dans le cadre (alias les limites) de notre « nature humaine », avec ses structures mentales universelles désormais bien connues », écrit Sastre, rappelant et déplorant aussi « l’hermétisme d’une partie des sciences sociales aux connaissances produites par d’autres champs disciplinaires -neurosciences, sciences cognitives, génétique comportementale, psychologie évolutionnaire, entre autres- et son ignorance de l’obsolescence de certaines de ses très chéries théories ».
Le drame de l’époque, c’est qu’on ne remporte pas le débat avec ce genre d’arguments à froid. La défense de l’écriture inclusive s’en tient à l’idéologie, à l’affect, à l’évangélisme et si on veut se faire entendre, il faut se plier à ces règles, soi-même les utiliser, les tordre. « Soit vous êtes pour, soit vous êtes un affreux réactionnaire, nostalgique du temps béni des colonies et de l’époque où maman maîtrisait à la fois l’art du soufflé, du chignon banane et de la fermeture bien serrée de sa bouche (sauf pour pouffer aux plaisanteries forcément dégueulasses de papa avant d’aller lui cimenter le couple en pensant très fort à l’Angleterre) », écrit Sastre. Et c’est vrai. Quiconque méprise cette tentative de « belle avancée égalitaire » sera très vite considéré comme réactionnaire, sexiste, misogyne. L’ennui, c’est que ceux qui s’y opposent dans les médias sont le plus souvent véritablement réactionnaires, sexistes et misogynes. Parce que dans cette culture du clash permanent, les médias n’iraient jamais inviter quelqu’un ayant quelque chose de véritablement intelligent, encore moins de scientifique, à dire. On va plutôt donner la parole aux habitués du cirque: le babouin aux grosses couilles bleues rigolotes, les clown.e.s gaullistes, le tigre à dents de mousse… On ne va jamais partager un savoir mais bien aligner les outrances, histoire que ça alimente durant trois jours les bagarres sur Twitter. Et sur Twitter, dans le feu de l’action, qui donc irait s’avouer que ce qu’il ou elle y branle, ce n’est pas juste perdre son temps ou se fabriquer une conscience sociale, c’est plutôt simplement et pleinement participer au chaos? Un chaos d’où sortira forcément un jour un ordre. Nouveau.
C’est relou en soi mais encore pire si dans le processus, on bazarde le savoir au nom de l’idéologie. « Ce qui est potentiellement grave, écrit Sastre, c’est le mythe culturaliste qui palpite au coeur de l’écriture inclusive: l’être humain serait une page blanche -à l’exception de deux ou trois réflexes vulgaires comme la digestion ou la respiration-, uniquement « déterminé à apprendre ». C’est beau, mais c’est faux et comme le résume Steven Pinker, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un « rêve de dictateur ». Les partisans de l’écriture inclusive n’en sont peut-être encore qu’au stade de la gentille dictature, comme Jonathan Rauch pouvait parler de « gentils inquisiteurs », mais en voulant nettoyer le langage d’éléments qu’ils considèrent nocifs, ils nous proposent le même genre d’ingénierie sociale que les Khmers rouges persuadés que les Cambodgiens n’allaient plus avoir faim en supprimant le verbe « manger » du vocabulaire. C’est à ce titre que l’écriture inclusive doit être combattue et tournée en ridicule, l’une des plus belles armes que nous offre notre cerveau langagier. » Brillant, je suis « pour »! Je n’ai même rien à ajouter, sinon que je me rends bien compte avoir ici exploité le travail d’une femme puisqu’en citant de larges passages de l’article de Peggy Sastre, ça m’a permis de boucler cette chronique beaucoup plus rapidement que d’habitude. La première qui me traite de « FDP dominant » a perdu.e.
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