Quand la BD parle santé

Sophie Standing, illustratrice de Quelle chose étrange trouve des astuces graphiques pour rendre compréhensibles les explications de l'auteur Steve Haines.
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

La mini-série Quelle chose étrange sur le thème de la santé transforme la narration graphique en dictionnaire médical. Et s’affranchit pour une fois de l’autofiction maladive.

Il y eut d’abord la douleur. Puis l’anxiété. Et récemment, le trauma. On ne vous parle pas de votre dernier accident de voiture ou des résultats des examens de votre enfant, mais bien des sujets effectivement anxiogènes qui sont au coeur de la mini-série Quelle chose étrange, éditée depuis quelques mois par les éditions pointues Çà et Là. « Mini » par le nombre actuel de volumes, trois, mais aussi par la pagination de chacun de ceux-ci: 32 pages à chaque fois, dont la lecture vous prendra pourtant bien plus de temps que n’importe quel roman graphique bien dodu. C’est que chacun de ses albums se veut un petit précis synthétique mais très dense autour de notions de santé dont l’essentiel se passe dans la tête et, pour une fois en BD, pas dans le corps de leurs auteurs. Comme l’explique le chiropracteur anglais Steve Haines dans l’introduction de Le Trauma, quelle chose étrange, « le but de ce livre est de constituer une introduction au psychotrauma sans faire peur ». « Pour beaucoup de gens, il est utile de comprendre ce que le cerveau essaie de faire pour les protéger. » Sans faire peur donc, et même si possible en rendant la chose attrayante, ce que s’efforce de faire sa compatriote et illustratrice Sophie Standing.

Depuis quelques années, avec l’essor des autofictions, la maladie n’est plus chose rare en bande dessinée, elle en est même devenu un des thèmes récurrents, avec quelques chefs-d’oeuvre au passage, et une revue d’à peu près tous les maux qu’on peut craindre: Alzheimer dans Le Combat ordinaire de Larcenet, l’épilepsie dans L’Ascension du Haut Mal de David B., la séropositivité dans Pilules bleues de Frederik Peeters, le cancer dans David, les Femmes et la Mort de Judith Vanistendael, la maladie de Crohn dans le Carnet de santé foireuse de Pozla, même l’herpès dans le Monsters de Ken Dahl, jusqu’aux maux intestinaux de John Porcellino dans ses Chroniques cliniques… Une longue liste qui se démarquait donc jusqu’ici par le recours quasi récurrent à l’autofiction voire à la pure autobiographie, mettant de l’émotion et du vécu par-dessus les plaies.

Didactisme « feel good »

Or dans les modes, l’autofiction a désormais laissé pas mal de place aux BD du réel et aux BD didactiques, qui traitent, elles, de l’actualité ou de faits authentiques avec une distance quasi journalistique. C’est ainsi que l’anglais Steve Haines s’empare du sujet, non pas en tant que soigné, mais en qualité de soigneur, puisqu’il enseigne depuis 25 ans la thérapie craniosacrale -une pratique parfois controversée issue de l’ostéopathie et qui consiste, en très gros, à soigner le cerveau pour réparer le corps, via, toujours en très gros, des massages et manipulations facilitant les mouvements du liquide céphalo-rachidien, le tout avec une bonne dose de « feel good philosophy », genre « La guérison ne s’opère pas dans le mouvement, elle s’opère dans la tranquillité« . Et d’explorer ainsi, dans le cas du trauma, cet état psychique qui pousse ceux qui en souffrent vers le stress, l’angoisse extrême voire la dissociation, tout ce qui peut en être à l’origine (à commencer par la naissance), tout ce qu’il provoque dans le corps et essentiellement la tête (comme par exemple un afflux disproportionné d’oxygène, de sang et de sucre vers les grands muscles et notre cerveau reptilien), et surtout tout ce qu’il est possible de faire pour en amoindrir les effets. On cite: « Dresser la liste des choses qui vous font tenir dans la vie, ratissez large, n’oubliez pas votre animal domestique« , « Identifiez des sensations qui vous font du bien à l’intérieur de vous-mêmes« , « Utilisez la technique O-M-G: orient, move, ground (se repérer, bouger, s’ancrer)« . Bref, une sorte de « feel good book » médical focalisé sur les maladies psychosomatiques, qui pourrait être affreusement rébarbatif, réservé aux rayons des sciences humaines ou à n’offrir qu’à vos amis psys, s’il n’était pas, en grande partie, joliment raconté en images. Car c’est là tout l’intérêt de ces Choses étranges, et le pourquoi d’une édition chez Çà et Là: la manière dont son illustratrice, la jeune Sophie Standing, parvient à rendre la chose simple à comprendre et agréable à regarder.

Issue de l’illustration anglaise et classy, avec laquelle elle a entre autres fait ses armes au Royal Opera House, Sophie Standing s’offre avec la série Quelle chose étrange les premiers livres de sa carrière, qui l’obligent presque à chaque case à trouver des astuces graphiques pour rendre compréhensibles les explications parfois complexes de son scénariste. Et si elle ne peut éviter la multiplication des coupes verticales de corps et de têtes, elle use pour se faire d’un pastel, d’une palette de couleurs et d’une esthétique complètement raccords avec le contenu « feel good » de chaque volume, mais capables également de mettre énormément de lisibilité dans chaque page de ces petits précis pourtant très denses. En Angleterre, un quatrième volume de Quelle chose étrange a d’ores et déjà été publié, consacré cette fois au principe du pardon; les éditions Çà et Là n’en ont pas encore annoncé la publication en français, attendant peut-être de jauger du succès de cette première trilogie. Puisse-t-elle ne pas leur provoquer douleur, anxiété ou trauma.

Le Trauma, quelle chose étrange, de Steve Haines et Sophie Standing, éditions Çà et Là, 32 pages. ***

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