« Nous nous sommes mis en route sans savoir que la quila avait fleuri cette année-là »

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Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Chaque semaine, un écrivain commente la première phrase d’un de ses romans. Cette semaine: Luis Sepúlveda.

Luis Sepúlveda aime décidément prendre son temps, comme son Vieux qui lisait des romans d’amour: l’auteur chilien publie en 2012 les souvenirs d’un voyage en Patagonie effectué en 1996, en compagnie du photographe Daniel Mordzinski. Le temps de laisser mûrir les bonnes choses -« ce livre que j’écrivais lentement était mon refuge, le lieu où je revenais chaque fois que je me sentais bien »– et aussi de raconter un monde fini – » rien de ce que nous avons vu n’existe plus aujourd’hui comme nous l’avons vécu ». Luis Sepúlveda a néanmoins dû déposer une première phrase au pied de ses Dernières nouvelles. Rencontré au dernier festival de Saint-Malo, coincé entre sa traductrice, une horde de fans et un agenda de ministre, le baroudeur barbu et bourru s’est abandonné à ses souvenirs d’incipit; un moment qui lui rappelle Hemingway, et qu’il aime pour sa difficulté.

La quila est, comme vous l’expliquez ensuite, un bambou andin qui ne fleurit que trois fois par siècle, au pied de la Cordillère. Pourquoi l’avoir choisie comme incipit de la première de vos Dernières nouvelles?

Pour tous mes romans et toutes mes nouvelles, j’aime bien avoir l’histoire entière dans ma tête, et attendre que la première phrase me vienne spontanément -et parfois, oui, ça prend du temps! Comme je le dis dans le livre, la quila en fleur est un événement qui peut être qualifié de prodigieux, elle offrait donc une bonne porte d’entrée vers le livre, son ambiance et ses ambitions. Il s’agit de raconter, raconter (il insiste sur le mot, ndlr) à partir de la première phrase, du premier mot. J’aime que la première phrase soit la porte qui s’ouvre sur tout ce qui va suivre.

Il vous a donc fallu près de 16 ans pour dénicher cette première phrase?

En quelque sorte, oui. Même si dans ce cas-ci, les nouvelles se sont écrites au fur et à mesure des années. Mais une partie du charme de l’écriture réside dans la difficulté. Et le défi, c’est souvent cette première phrase. C’est la plus importante, parce que c’est celle qui va décider le lecteur à continuer à lire, ou non. Moi, en tant que lecteur, si la première phrase ne me convainc pas, je ne continue pas.

Vous vous souvenez de tous vos incipits?

Non, je ne me souviens pas de toutes mes premières phrases. Un livre déjà écrit, on l’oublie. Mais des souvenirs d’autres premières phrases, certainement! (Il se met soudain à réciter de mémoire les premières phrases du Vieil homme et la mer, d’Ernest Hemingway, ndlr): « Il était une fois un vieil homme, tout seul dans son bateau qui pêchait au milieu du Gulf Stream. En 84 jours, il n’avait pas pris un poisson« … La définition absolue d’un personnage dont on va tomber amoureux! Le début de Don Quichotte, aussi, est formidable:  » Dans un certain endroit de la Manche, vivait…  »

Ce recueil est aussi un recueil de photos. Le processus de réflexion et de choix est-il le même pour une première photo et une première phrase?

Comme témoin, je peux juste dire que Daniel a la photo dans la tête avant même de la faire. Mais la manière est différente; à l’origine, il avait l’intention de choisir une photo différente pour chaque édition nationale! Ça n’a pas pu se faire évidemment, mais c’était le fruit d’une réflexion de photographe, pas d’écrivain. Ici, le défi consistait surtout à ne pas tomber dans le pléonasme, comme pour la plupart des livres avec photos, où le texte explique la photo et la photo dit la même chose que le texte. Nous avons voulu raconter les mêmes histoires, mais de deux façons différentes. Qui se complètent plus qu’elles ne se répètent.

DERNIÈRES NOUVELLES DU SUD

DE LUIS SEPÚLVEDA ET DANIEL MORDZINSKI, ÉDITIONS MÉTAILIÉ, TRADUIT DE L’ESPAGNOL PAR BERTILLE HAUSBERG, 2012.

Le sud du monde, comme il n’existe plus -transformé en quelques années « par le temps, les bouleversements économiques et la voracité des vainqueurs ». Un voyage au coeur de la latinité et de l’américanité de son auteur, comme toujours au plus près de ses personnages, aux racines de l’Argentine et de la Patagonie, de San Carlos de Bariloche jusqu’aux confins du Cap Horn. Luis Sepúlveda entonne souvent la même musique, presque les mêmes histoires, comme beaucoup de ses contemporains latino-américains: des récits magistralement écrits, une apparente simplicité sur les espoirs déçus et les indignations vivaces. L’auteur du Vieux…, des Roses d’Atacama ou de L’ombre de ce que nous avions été s’associe cette fois à un photographe et ami argentin pour illustrer son éternelle mélancolie. Un « socio » qui lui fait parfois de l’ombre: ses photos en disent long et beau, aussi, sur ce monde-là.

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