Noah Van Sciver, indé à suivre

Noah Van Sciver auto-croqué. © Noah Van Sciver
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le jeune auteur américain parachève en beauté sa trilogie Fante Bukowski chez L’employé du Moi. Un personnage d’écrivain maudit qui lui ouvre grand les portes du marché francophone.

« Fante est né comme un gag, dans un de mes sketchbooks. J’étais dans un petit festival de fanzines chez moi, dans le Colorado, et il y avait là quelques écrivains ratés qui essayaient de vendre très sérieusement leur très mauvaise poésie, comme moi j’essayais de vendre mes BD. Je les connaissais bien, quelques gars qui voulaient tous devenir Charles Bukowski sans le talent ni le boulot que ça demande, persuadés qu’il fallait surtout boire plutôt qu’écrire. Alors je me suis dessiné un personnage qui les résumait tous, juste pour le fun. C’était Fante. Au début, dans ce qui est devenu le premier livre, je voulais juste faire de l’humour, me moquer de lui et de ce milieu littéraire à la fois arty et fauché, mais j’ai eu tellement de retours que j’ai voulu continuer, aller plus loin que le rire, lui donner de la profondeur. Apprendre à le connaître, à le comprendre et finalement à l’apprécier, ce qui était un vrai défi: Fante est quand même un gros connard. Mais au moins, maintenant, on sait pourquoi! »

Noah Van Sciver, indé à suivre

On sait aussi que Noah Van Sciver a fait du chemin depuis ces petits festivals fauchés où il tentait de vendre ses BD autoproduites. C’est au festival d’Angoulême qu’on rencontre l’auteur américain de 34 ans, alors qu’il vient d’achever à L’employé du Moi le récit hilarant mais au final très émouvant de son écrivain maudit. Van Sciver se trouve ici à l’aube d’une nouvelle étape dans sa carrière internationale: « Un roman graphique paraîtra bientôt chez Delcourt, ainsi que d’autres récits. Aux USA, j’ai déjà publié une douzaine de romans graphiques, j’ai de la réserve, et je voudrais qu’ils soient tous publiés en français. » Pour des raisons plus cyniques que romantiques, conformément au ton général de ses récits, souvent piquants, qu’ils soient de fiction, d’autofiction ou historiques: « C’est important d’être édité ici, pour le statut aux USA. La BD, chez moi, et pour les éditeurs, c’est avant tout un business. Si on a plusieurs éditeurs dans le monde, ça limite les frais, les risques, et ça les encourage. C’était pareil pour commencer: pendant des années, j’ai dû m’autoproduire, et j’ai d’ailleurs beaucoup autopublié parce qu’aucun éditeur ne voulait de moi. Ils n’ont accepté de le faire que lorsque je me suis construit ma propre réputation et ma propre audience. Ça marche comme ça mais j’en ai besoin: je veux pouvoir ne m’occuper que de mon histoire à raconter. »

Ghost writer et thérapie

Celle de Fante Bukowski s’achève donc avec ce troisième album, édité dans un format plus proche du roman que de la BD, pour donner un écho de plus à la forme artistique que ce « beautiful loser » de Fante (qui s’appelle en réalité Kelly Perkins, fils d’avocat) s’est choisie pour exprimer un talent qu’il n’a pas. Pathétique, le roi des poseurs boit, glande, se plaint et ne paie pas son loyer, mais même les losers ont, peut-être, droit au miracle: un éditeur inconscient lui propose de devenir « ghost writer » pour le compte d’une starlette dont il devra écrire l’autobiographie. L’occasion pour Fante d’enfin fanfaronner auprès de son père -qui lui a coupé les vivres- et pour les lecteurs de découvrir qui était Kelly Perkins avant de devenir Fante Bukowski. La charge prend alors de la chair et même une certaine gravité: « Au final, je me rends compte que j’ai écrit une étude de caractère en trois livres. On sait maintenant pourquoi il est qui il est, on connaît ses motivations, ses raisons d’être, et j’espère que vous l’aimerez un peu plus. On m’a souvent dit qu’en BD, il fallait avoir des personnages sympathiques, mais moi je fais toujours le contraire, je pars de personnages horribles! » Un changement de regard et une exploration des circonstances que Noah Van Sciver a nourris, comme souvent, de sa propre histoire et parfois, de ses propres tragédies: il y a beaucoup de lui et de son vécu dans la relation toxique que Fante entretient avec son père, personnage important de ce troisième et dernier volet, dont on ne voit pourtant jamais le visage, mais dont on ressent cette fois tout le poids.

Noah Van Sciver, indé à suivre

Une manière de faire -tremper sa fiction dans de l’autofiction- que l’auteur assume user telle une thérapie personnelle, à la manière d’un Robert Crumb ou d’un John Porcellino, deux de ses références: « Ado, j’ai vu un documentaire sur Robert Crumb qui expliquait comment il utilisait sa propre vie pour nourrir ses créations. J’en ai fait ma manière. J’ai aussi beaucoup traîné à Denver avec John Porcellino (ses Chroniques cliniques sont également éditées à L’employé du Moi, NDLR). Il était très malade mais parvenait à capturer des petits moments de vie dont on n’a plus conscience quand on est en bonne santé. Je trouvais ça très puissant. Et j’ai pu constater une chose: quand je dessine un souvenir, j’arrête de m’en souvenir. En dessinant, on évacue les choses qu’on porte dans sa tête, on vide son sac. J’ai réalisé une BD sur mon enfance, qui arrive bientôt en français, pleine de souvenirs très déprimants. Mais je me suis senti beaucoup plus léger quand j’ai eu fini. Là, à 34 ans, c’est comme si j’étais une nouvelle personne. J’ai grandi dans un milieu si pauvre, si éloigné, j’étais supposé rester au New Jersey avec un job de merde, et me voilà! Les comics m’ont beaucoup aidé. Mais je vous rassure, j’ai encore assez de souvenirs horribles pour en tirer plusieurs livres. »

Fante Bukowski (3/3) – L’échec était parfait, de Noah Van Sciver, éditions L’employé du Moi, 176 pages. ****(*)

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