Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Le Blues de La Harpie, de Joe Meno

Joe Meno © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

POLAR | Un meurtrier revient dans son village natal après avoir purgé sa peine. Un énième récit sur la rédemption qui fait rimer écriture, poésie et originalité.

« La Harpie. Une petite ville. Un spectacle très banal, si vous voulez mon avis. Mais il y avait quelque chose sous la surface. Quelque chose de l’ordre du sang ou de l’or. Quelque chose d’assez petit pour tenir dans votre poche. Comme un cancer du poumon ou une pièce porte-bonheur. » La Harpie, Illinois. Rien à voir, ou tout à voir au contraire, avec les créatures mythologiques du même nom, mi-femmes, mi-oiseaux, divinités spécialisées dans la dévastation et la vengeance. Un nom et un lieu que l’auteur Joe Meno n’a évidemment pas choisis au hasard, puisque ici, depuis le retour de Luce Lemay après trois ans de prison, il sera effectivement question de dévastation, de vengeance et aussi de pardon: celui, surtout, qu’on n’arrive pas à obtenir, de soi-même ou des autres. Ainsi ce Luce Lemay, emprisonné après un premier et minable braquage, mais surtout après un accident de voiture commis pendant sa fuite. Luce Lemay a renversé une mère et son landau, tuant un bébé sur le coup. « Tout ce qui s’ensuivrait germerait dans cette seule seconde désespérée, dans toute la cruauté sans âme de l’espace et du temps. » Luce, pourtant, ne reviendra pas seul à La Harpie. Un ancien compagnon de cellule, Junior Breen, l’y attend pour tenter, ensemble, de se reconstruire un semblant de vie. Mais même les poèmes promotionnels que le duo accroche sur les panneaux publicitaires de leur modeste station-service (« Lait – 1,12$ le gallon/frais et pâle/tel le souffle d’une vestale/qu’exhalent/ des lèvres en pétales« ), et même l’amour naissant entre Luce et la jeune Charlene, ne pourront empêcher le passé de venir pourrir leur présent et plomber leur avenir.

Convenu mais inattendu

[Le livre de la semaine] Le Blues de La Harpie, de Joe Meno

Culpabilité, rédemption et impossible pardon: il n’y a là rien que de très normal pour un polar, qui plus est pour un polar américain, et un polar du Midwest, devenu un véritable genre dans le genre ces dernières années, pour ne pas dire une mode. Ce premier roman traduit en français de Joe Meno (il en a déjà écrit sept aux États-Unis, Agullo annonce le suivant pour l’année prochaine) aurait donc pu se noyer dans la masse, s’il ne s’en distinguait nettement à bien d’autres égards: d’abord en proposant une véritable écriture, porteuse comme rarement d’une tension et d’un malaise n’allant que crescendo. Ensuite, et entre autres, en renversant les habituels clichés du genre: dans Le Blues de La Harpie, sur lequel planent l’ombre et les chansons de Johnny Cash, les « méchants », criminels repentis, le sont moins que les « bons », membres de cette communauté soudée mais incapable de pardon. Hubert Selby Jr., excusez du peu, a beaucoup aimé le livre, taxant son auteur de, on cite, « orfèvre flamboyant« . Pas mieux, en attendant la suite.

DE JOE MENO, ÉDITIONS AGULLO, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA), 288 PAGES. ****

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