Critique | Livres

Le livre de la semaine: La Nuit de Walenhammes, de Alexis Jenni

Alexis Jenni © Catherine Hélie/Gallimard
Bernard Roisin Journaliste

ROMAN | À partir de la vision d’une ville en friches qui n’est plus que chiffres (du chômage), le roman débridé d’Alexis Jenni fait une critique radicale du capitalisme.

Journaliste papier usinant désormais sur le Web, Charles Avril est convoqué par un étrange appel, une carte postale venue de Walenhammes, ville en déshérence du nord de la France qui s’effiloche -à l’image de son propre travail. Une grise cité-frontière (genre Ciudad Juarez), une France de la marge, du fossé, du bas-côté de la route qui mène à la riante Belgique où les briques sont d’un rouge carmin alors qu’à Walenhammes elles ont la teinte du sang séché…

Le livre de la semaine: La Nuit de Walenhammes, de Alexis Jenni

Dans cette ville peuplée de fantômes industriels, des événements dramatiques se déroulent: l’eau de la piscine prend feu, laissant les victimes le bonnet de bain fondu, collé, et un rictus éternel aux lèvres, comme un masque de carnaval. Mais ce sont d’autres masques grimaçants qui sèment la terreur dans cette morne cité, gouvernée de main de fer par un maire costumé de cynisme: des Brabançons à longs manteaux et lunettes noires aspergent la figure de leurs victimes d’une peinture bleue qui leur confère ce même rictus figé…

Et dans cette ancienne cité métallurgique qui connut la prospérité grâce à un capitaine d’industrie téméraire et sans scrupule et où un immigré joue les pythies digitales, quatre Flamands rachètent le peu d’usine qui reste pour la délocaliser aussitôt, tandis que chez Spando, seule activité encore importante de la ville, on produit des lasagnes destinées aux cantines à partir de carcasses, et parfois même d’autre chose que de cheval…

Tableau halluciné et hallucinant d’une Europe marchande à la dérive dans un capitalisme outrancier voire meurtrier, La Nuit de Walenhammes est une sorte de pandémonium à la Jérôme Bosch mâtiné d’Ensor. Alexis Jenni, Goncourt 2011 pour L’Art français de la guerre, dote sa critique acérée de la théorie du libre-échange d’un réalisme magique très belge où un super-héros en cape élimée joue les redresseurs de torts…

Présent imparfait

Livre total, à la fois pamphlet, comédie triste, roman d’amour, social ou de fantasy frisant avec le fantastique, La Nuit de Walenhammes est une kermesse presque héroïque, visitée par les tueurs du Brabant en Golf GTI. Étonnant de voir un écrivain français qui n’a même pas l’excuse d’être du Nord -il est lyonnais-, connaître à ce point l’Histoire sombre, récente et à jamais enfouie de notre pays… Les tueurs y sont le vecteur de la peur, peur qui domine Walenhammes et la France entière, aux institutions désormais vétustes, et toute la société occidentale. Et nos vieilles démocraties de porter au pouvoir des hommes qui usent ainsi de la crainte voire de l’effroi…

A l’inverse de Houellebecq dont le constat s’inscrit presque en creux dans un style linéaire, dépouillé, Jenni décrit la déliquescence occidentale dans une écriture baroque, lyrique, et une faconde parfois éreintante, peuplée d’images industrielles à la Constantin Meunier dans un réalisme social teinté d’étrange. Quand l’auteur des Particules élémentaires a l’air d’un clone triste et aride, son cadet apparaît presque rabelaisien dans sa description de ce présent… très imparfait. L’art français de naguère.

La Nuit de Walenhammes, de Alexis Jenni, éditions Gallimard, 405 pages

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