Lastman: l’insolent talent de Bastien Vivès

Girl power au menu du 10e tome de Lastman du surdoué Bastien Vivès. © Casterman
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’auteur-le-plus-doué-de-sa-génération connaît une année faste: déjà célébré pour son roman graphique et intimiste Une soeur, Bastien Vivès revient cette fois avec un 10e Lastman. Qui tabasse à nouveau.

Insolent est, sans doute, un qualificatif qui lui va bien. Bastien Vivès, qui n’a que 33 ans alors qu’on pourrait lui en donner 22, est effectivement insolent. Insolent de talent d’abord: on note peu de fautes de goût dans un parcours déjà long, très personnel et atypique, du Goût du chlore à Polina, en passant par son récent Une soeur, un chemin surtout pavé de gros succès tant publics que critiques, y compris avec sa saga Lastman, aux références japonaises mais à l’esprit bien français, et qui a réussi à imposer aux éditeurs une nouvelle manière de faire de la bande dessinée pour les lecteurs d’une nouvelle génération -il était temps. Du talent donc, et puis cette autre insolence: le surdoué dégage aussi une coolitude et une liberté de ton qui n’appartiennent qu’à lui, et qui ont fait de Vivès un personnage et une petite célébrité autant qu’un excellent auteur. C’est donc en mangeant un bout de salade et en vidant un verre à la récente Fête de la BD qu’on a causé un brin avec le co-auteur de Lastman -pour un volume qui revient aux basics, et tout entier voué à Marianne, sans doute leur meilleur personnage. Avec, pour le dessert, quelques révélations: le 12e volume sera (plus ou moins) le dernier, et on ne le verra jamais, jamais, faire ni du cinéma, ni de la BD du réel.

Tu viens de scotcher tout le monde avec Une soeur, qui tient autant du cinéma de Claude Sautet que de la BD, et là tu continues Lastman, avec un 10e tome dans un genre très -très!- différent. Et d’autres manières de faire…

C’est la première fois de ma vie que je travaille sur une série aussi longue, intense et épuisante, entre le jeu vidéo, le dessin animé, la série à poursuivre… Mais je ne me lasse pas. Je trouve un équilibre entre ces deux extrêmes: sans Lastman et mon travail aux côtés de Michaël Sanlaville, je ne me serais pas senti évoluer comme je peux le faire aujourd’hui, je suis devenu plus solide grâce à eux, grâce à cet effort collectif, qui nourrit ensuite mon travail plus personnel. Et sur Lastman on s’éclate, c’est le principal.

Ça se sent sur ce 10e tome: une ode à Marianne, un des premiers personnages de la série, que vous aviez pourtant tuée après le premier cycle, brisant le coeur de tout le monde…

Marianne, on a toujours su qu’on allait la faire revenir, sans forcément prévoir qu’on allait lui consacrer tout un tome. Mais on adore cette meuf et son histoire faisait vraiment partie de nos principaux repères sur la série. Notre canevas de base sur Lastman, c’était Bambi: il faut que la mère meure! Et on ne la traite pas comme un personnage féminin, juste comme un personnage, un vrai, avec plein de défauts, de mauvaises décisions. On ne vous vend pas une super nana, elle est romantique, revancharde et elle aussi a fait de la merde. C’est ce qu’on essaie de raconter ici, avant de se lancer dans le grand final.

Lastman, c’est bientôt fini?

Oui. Le 12e tome sonnera la fin. On y aura passé cinq ans, une grosse partie de notre vie. Mais il y aura des spin off, des one shots faits par d’autres qui feront le lien entre la BD et l’animation, des sortes de Contes de la Crypte à notre sauce. Et si un jour on y retourne, ce sera pour tout détruire, comme George Lucas!

La suite de ta carrière peut se faire ailleurs? Au cinéma? On vient d’y voir l’adaptation de ton Polina et d’autres font régulièrement le grand saut…

Non, moi jamais je pense. Le cinéma, j’ai essayé d’écrire, je n’y arrive pas. C’est ma première influence, avant la bande dessinée, mais j’ai besoin de liberté et je me sens plus à l’aise avec mon imagination qu’avec les gens. Et puis je commence surtout à connaître les gammes de mon propre métier. Pialat, je ne comprends toujours pas comment il arrive à nous faire ressentir autant de choses. En BD, je crois le savoir un peu plus. Si j’adaptais Une soeur, ça pourrait vite devenir Plus belle la vie!

Et un BD reportage? C’est à la mode, on ne t’a jamais vu là-dessus…

La BD du réel, je la conchie! C’est le cancer de la BD, c’est mauvais, c’est inintéressant au possible. Ça me procure les mêmes sensations que la lecture d’une page Wikipedia, c’est une mauvaise utilisation de bonnes compétences. Quai d’Orsay était un exercice réussi, la preuve qu’il faut faire autre chose. Et les mauvais dessins au service d’une bonne cause, c’est vraiment le pire, ça m’énerve vite.

Lastman 10

de Balak, Sanlaville et Vivès. Éditions Casterman. 216 pages. ****(*)

Lastman: l'insolent talent de Bastien Vivès

Attention, spoiler pour ceux qui n’auraient pas encore découvert la série -les sots. En fin de sixième tome, les auteurs nous brisaient littéralement le coeur avec leur meilleur twist et l’assassinat de Marianne, mère-fondatrice de la série, maman d’Adrian, poule à Richard et MILF parfaite de ce shonen à la française. Une femme forte et un personnage itou, qui avait donc disparu de la saga, laquelle se dispersait un peu elle-même depuis, loin de la Vallée des Rois, et dans des tomes parfois plus adultes qu’ados, et parfois sous acide. Retour donc aux bases et à une icône de Lastman pour ce dixième volume, qui retrouve, grâce à la réapparition de cette mère nourricière, toute sa force et son énergie après déjà plus de 2000 planches et récits. Un tome construit essentiellement -mais pas que!- sur des flashbacks, pour une série qui restera l’une des meilleures de la décennie et qui s’est mise à reculer pour mieux sauter: encore deux tomes et c’en sera bel et bien fini de Marianne, d’Adrian, de Richard et des autres. Du moins avec ce trio d’auteurs à sa tête, la saga étant déjà devenue une franchise avec son jeu vidéo et sa série d’animation, désormais disponible en coffret.

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