ROMAN GRAPHIQUE | Larcenet boucle l’épopée graphique, existentielle et criminelle de Polza Mancini. Un anti-héros obèse et tragique qui aura marqué son auteur et son temps.
Le dernier tome de Blast, attendu par beaucoup, démarre comme les trois précédents et formidables opus: l’interrogatoire de Polza Mancini, l’être obèse et parfois halluciné accusé de l’agression, devenue meurtre, de Carole Oudinot. Un interrogatoire déjà formidable d’ambiance et de gris, mais qui, très vite, nous plonge dans le parcours criminel et surtout existentiel de ce personnage hors-norme, rongé par la haine de soi, la fuite en avant et le rejet de toutes les conventions. Dès Grasse Carcasse en 2009, Mancini faisait face à ses accusateurs, et racontait son histoire, rarement voire jamais vue en BD. Un homme qui, à la mort de son père, décide de fuir la société, vagabond punk et auto-destructeur à la recherche du « Blast », moment de transe, shoot de drogue et repos de l’âme dont les flashs ressemblent à (et sont) des dessins d’enfant…
Une virée en enfer particulièrement glauque, brutale et pavée d’abîmes, mais -et c’est là tout le talent de son auteur et l’intérêt de ses Blast- qui ouvre aussi la voie à une formidable fable naturaliste et humaniste, marquée par des moments de paix et de beauté graphique juste époustouflants. Comme si, pour renouer avec les hommes, Manu Larcenet avait eu besoin de quatre Blast pour décortiquer toute leur bestialité. Et boucler sa propre boucle.
Côté obscur
Le virage obscur de Manu Larcenet fut entamé dès Le combat ordinaire. Lui qui, dix ans durant, fit gondoler les foules et les amateurs de BD avec ses Bill Baroud et ses Retour à la terre, avait visiblement besoin d’autre chose, tant graphiquement que narrativement. Une autre chose qui, avec Blast, a mis tout le monde d’accord sur le talent certes torturé du bonhomme. Larcenet s’est offert dans cette aventure de 800 pages un moment rare de création en bande dessinée, imposant plus que jamais le terme de roman graphique: riche et ample comme les meilleures oeuvres littéraires (le texte est important) mais aussi graphiquement prodigieux. Alternant noir et blanc et explosion de couleurs, naturalisme et onirisme, trait et collages, Larcenet explore ici tous ses possibles. Et semble, doucement, avec ce dernier tome, revenir à la lumière, après avoir si bien capturé la noirceur des hommes, et sans doute touché le fond de la piscine de ses propres angoisses: dans ce dernier Blast, asphyxiant et anxiogène comme les autres, Larcenet intègre néanmoins de courts strips de Ferri, son complice dans l’humour. Une bouffée d’air et de légèreté dans une ambiance viciée, dont l’auteur lui-même semble désormais avoir fait le tour. Un dernier Blast, avant autre chose.
Blast (tome 4)
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