Critique | Livres

La BD de la semaine: Lune l’envers, de Blutch

Lune l'envers © Blutch
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ROMAN GRAPHIQUE | Le père du Petit Christian revient en force avec Lune l’envers, fable brillante et drôle sur l’aliénation par le travail et le statut d’artiste. Complètement Blutch.

La BD de la semaine: Lune l'envers, de Blutch

A la première lecture, au premier choc visuel, on vous le dit déjà, le propos restera complexe. Et comme toujours chez Blutch -qui doit son nom à sa dégaine lorsqu’il était ado plus qu’à son amour pour l’auteur des Tuniques Bleues, contrairement à ce que colporte la légende urbaine-, cet opus sera à lire et relire, en possédant quelques clés. L’une d’elles se cache sans doute derrière le titre de son nouveau « one-shot », le premier depuis trois ans: Lune l’envers est une des cartes du tarot normand, pour ce qu’en dit Google. Une carte très trouble, une des plus mauvaises, évoquant lubies, troubles de la conscience, scandales, diffamation… Bienvenue donc dans l’univers « brazilien » et complètement Blutch de Lantz, auteur richissime, pleutre et vieillissant de la bande dessinée Le Nouveau Nouveau Testament. Une bande dessinée qui fait ici tourner toute l’économie capitaliste d’un pays, « dans un monde où on ne sait pas pourquoi on travaille, ni même ce qu’il advient du produit de ce travail… C’est aujourd’hui, dans le futur, au moment où j’écris ces lignes que ça commence… « . Ainsi démarre l’aventure visuelle et intensément graphique de Lune l’envers, fable acide et onirique autour des notions de travail et d’artiste, dans laquelle il mêle évidemment son fétichisme des références (Forest, Lynch, Morris, Eisner, Goossens, lui-même…)… Une oeuvre libre comme rarement. Typiquement Blutch.

Blutch, Blotch, Blütch

Depuis ses premières pages dans Fluide Glacial en 1993 (cultissime Waldo’s Bar), le Strasbourgeois, élu président du festival d’Angoulême 2010, n’a jamais cessé de confirmer, sans doute malgré lui, son statut d’auteur phare, à la fois le plus virtuose de sa génération, mais aussi l’un des plus originaux. Brillant et drôle à la fois, comme ce personage de Lantz et cet album une nouvelle fois hors norme, qui fait revenir Blutch à ses thématiques de prédilection: l’angoisse du vieillissement, la vanité de son métier et les travers qui menacent ses auteurs. En commençant par lui: comme dans Blotch, et comme souvent, un des personnages de sa fable orwellienne se nomme presque comme lui: Blütch. Miroir déformant de ses angoisses d’auteur, comme l’est Lantz, auteur culte mais minable, qui a vendu son âme pour un 42e tome… En 2011, Blutch avait commis Pour en finir avec le cinéma, énorme graphiquement, mais incompréhensible. S’il reste ici complexe et plus que jamais référentiel (son trait rappelle furieusement Jean-Claude Forest, et ses couleurs raviraient Morris), il renoue ici avec une drôlerie féroce et parfois purement jubilatoire. Et il faudra qu’il s’y fasse, à ce statut d’auteur culte.

  • LUNE L’ENVERS, DE BLUTCH, ÉDITIONS DARGAUD, 56 PAGES.

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