L’incontournable de la rentrée est le premier album de Léa murawiec, une inconnue qui ne le restera pas tant son Grand vide est sensationnel.
C’est un monde que l’on pourrait qualifier de dystopique. Une ville surchargée et ultra moderne, au-delà de laquelle, paraît-il, il n’y a rien. Or le rien, ici, est ce qui peut vous arriver de pire, puisque vous n’êtes rien sans « la Présence »: si on ne parle pas de vous, si personne ne prononce votre nom, si trop peu y pensent, c’est la crise cardiaque assurée, comme celle qui menace la jeune et fougueuse Manel Naher, plus d’emploi, pas de petit(e) ami(e), deux amis seulement… « Un miracle que vous soyez encore en vie! » Et surtout, il y a une autre Manel Naher, star de la pop qui accapare toute la notoriété liée à leur nom. « La présence est liée directement au nom des gens, mais elle s’oriente surtout en fonction de la pensée. Quel que soit l’endroit où votre nom sera écrit, à partir du moment où la personne qui lit ce nom le rattache à l’existence et au visage de l’autre Manel Naher, elle pensera à elle et lui donnera de la présence qui aurait dû vous revenir. » Manel n’a donc pas le choix: rejoindre le Grand Vide, ou devenir célèbre à son tour, et peut-être plus que l’autre, jusqu’à en devenir littéralement immortelle. D’ici là, Manel va remonter la pente en se filmant en train de coller des torgnoles à des inconnus dans la rue. Ce sera déjà ça de pris en clics et en reconnaissance… S’il n’y avait eu que le scénario pour en jauger, Le Grand Vide surclasserait déjà pas mal de nouveautés en termes d’intérêt et d’originalité. Mais avec le dessin de Léa Murawiec, l’originalité et l’intérêt de cette première oeuvre deviennent… stratosphériques.
Brazil rencontre Tezuka
On peut rarement dire d’une bande dessinée que c’est du jamais vu. On le dit donc deux fois quand ça arrive: ce Grand Vide est singulier de bout en bout, dans son scénario et ses ambiances à la Brazil, mais aussi, et peut-être surtout, dans l’énergie et le mouvement que la jeune dessinatrice, qu’on connaissait jusque-là -et encore- comme fanzineuse et illustratrice, parvient à mettre dans son récit. Un récit entièrement traité à la main et à l’encre de Chine, trait qu’elle colorise ensuite à l’ordinateur. Et si l’on sent l’influence évidente de ses lectures de mangas, et d’Osamu Tezuka en particulier, Léa Murawiec ne sacrifie jamais la lisibilité à ses idées souvent géniales. Elle use au contraire de tous les outils que le langage de la BD met à sa disposition pour ne jamais perdre ses lecteurs dans ses cadrages plongeants, ses doubles pages vertigineuses, ou dans l’expressivité élastique de ses personnages. Bref, un vrai nouvel univers de fiction et de dessin résolument moderne, et une autrice d’une nouvelle génération de créateurs décidément très prometteuse, à découvrir d’urgence.
Le Grand Vide de Léa Murawiec, éditions 2024, 204 pages. ****(*)
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