Un père narre à son fils la véritable histoire de sa cécité, et comment L’Enfer de Dante et un tueur l’ont sauvé de la prison. Une true fiction hachurée de noir.
Il y a d’abord la forme, l’objet, qui fait encore plus parler que son contenu: L’Accident de chasse est la première bande dessinée publiée par l’éditeur littéraire Sonatine, et d’évidence destinée à se mesurer au fulgurant succès de Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, l’énorme récit tout au bic de la Chicagolaise Emil Ferris paru il y a deux ans chez Monsieur Toussaint Louverture. L’Accident de chasse se déroule lui aussi à Chicago, dans les années 30 à 60, et se présente dans un format massif et presque carré de… 472 pages, elles aussi entièrement dessinées à l’encre noire, à coup de milliers, voire de millions, de hachures occupant la plupart des fonds de cases ou de planches. Une esthétique et un graphisme saisissants et particulièrement sombres, à l’image de l’atmosphère de cette histoire partiellement vraie et tragique, mais aussi de la cécité du personnage principal. L’un des nombreux thèmes de ce formidable récit d’une ampleur et d’une forme inhabituelles… qui semblent devenir la nouvelle norme des romans graphiques US.
Cécité, prison et rédemption
Il y a donc ensuite, et heureusement, le fond de cet Accident de chasse sans lequel la forme ne serait que vanité: le scénariste David L. Carlson y narre la vie de son ami Charlie Rizzo, un gamin qui du jour au lendemain s’est vu obligé d’aller vivre chez son père Matt, étrange homme aveugle dont l’existence semblait vouée à écrire une version commentée de L’Enfer de Dante. Sa cécité serait due à un accident de chasse. Il n’en est rien: Matt Rizzo a perdu la vue dans un cambriolage foireux qui l’a mené, alors non voyant, dans la prison de Statesville, et dans la cellule de Nathan Leopold Jr., le croquemitaine de l’époque. Avec son complice Richard Loeb, Leopold avait commis « le crime du siècle »… Un monstre, cette fois bien plus réel que ceux d’Emil Ferris, mais qui contre toute attente va incarner la rédemption de Matt Rizzo, entre enfer carcéral et littérature.
Histoire vraie nourrie par un énorme travail de documentation, polar carcéral dans la plus pure tradition, ode à la littérature, récit initiatique et filial, BD qui utilise tous les codes qui n’appartiennent qu’à elle, grand oeuvre poétique… L’Accident de chasse tient vraiment de tout cela à la fois. Et sa lecture, prenante comme rarement, justifie largement l’existence de ce bel objet et de ses planches maladivement griffonnées par Landis Blair. Comme Matt Rizzo, inoubliable personnage, on peut y aller les yeux fermés, et le coeur grand ouvert.
L’Accident de chasse, de David L. Carlson et Landis Blair, éditions Sonatine, 472 pages. ****(*)
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